La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Cyber Mage - Saad Z. Hossain


"Cyber Mage" est le troisième roman – et quatrième texte – de Saad Z. Hossain. Il se situe dans le même univers que ses écrits précédents. Il se place, dans la chronologie de cet univers, après Bagdad, la grande évasion !, quelque part vers un siècle après Djinn City (tous les deux publiés par les éditions Agullo, les bienfaits du Très Miséricordieux soient sur leurs têtes !) et immédiatement avant le toujours non traduit (Agullo ! Que la peau des yeux leur pèle !) The Gurkha and the Lord of Tuesday.


Dahka, Bangladesh. Une ville divisée entre des habitants/actionnaires – qui ont des droits, de vote notamment – et une foule énorme de sans titre qui vivent à sa bordure, dans les trafics, la violence, la maladie et la privation de tout droit.

Une ville parmi d'autres dans un monde que changement climatique, déplacements de population et nanites incontrôlés ont rendu en partie inhabitable après avoir provoqué la chute des Etats et l'inévitable repli, pour ceux qui eurent la chance de survivre aux années de trouble, sur des villes conçues comme de mini-souverainetés non démocratiques et non égalitaires, des villes-firmes habitées en leur confortable centre par des habitants/actionnaires.

Les autres... On en tolère un certain nombre pour raison sanitaire dans des ghettos surpeuplés (voir ici pour les détails du monde, nanites, Echo, PMD). Les surnuméraires, eux, n'ont qu'à mourir au-delà même des marges de la ville, ce que nombre d'entre eux ont déjà fait, et je parle ici que de ceux qui n'ont pas muté sous l'effet des polluants.


A Dahka, Marzuk – de la devenue moins qu'illustre famille Khan Rahman – est un adolescent en surpoids émancipé légalement de ses parents depuis peu. Il est aussi, mais ça ses parents l'ignorent, le hacker mondialement célèbre Cyber Mage, fameux pour avoir détourné un satellite et l'avoir fait s'écraser sur la maison d'un rival. Il est aussi désespérément amoureux de la belle Amina, qui ne lui accorde qu'un intérêt très modéré.

Marzuk n'a que peu d'amis : il y a ReGi, une hackeuse dont il ignore l'identité réelle et qui est sans doute sa meilleure amie, et les collègues du célèbre et ultra-select cercle de hackers Black Line, parmi lesquels le fameux et vraiment show-off  Yellow King. C'est à peu près tout, d'autant que Marzuk n'est pas seulement asocial, il est aussi déscolarisé depuis longtemps. Et ceci change au début du roman car, pour se rapprocher d'Amina, il hacke son inscription dans l'une des écoles privées les plus exclusives de Dahka.


A Dahka sévit aussi un terrifiant tueur psychopathe, Djibrel, qui coupe, à l'aide d'un talwar visiblement augmenté, les têtes de ses victimes avant de les emporter avec lui dans quel sinistre dessein.

Marzuk, rencardé par ReGi, suit les pérégrinations de Djibrel sur les innombrables caméras de surveillance hackées qui font de la ville entière, sous le regard de Marzuk, un monstre à mille yeux. Se rencontrent alors deux mondes qui n'auraient jamais dû se croiser : celui, cyberpunk, des hackers dont Cyber Mage est l'une des étoiles, et celui, bien plus ancien, menaçant et sombre, des djinns qui, cent ans après les événements de Djinn City, ne cessent toujours pas d'intriguer et d'interférer dans le monde des hommes.


Si "Cyber Mage" est une suite lointaine de Djinn City, je pense qu'il est possible de le lire de manière indépendante, même si, c'est logique, plaisir et compréhension sont un cran au-dessus si on les a lus dans l'ordre.


Comme ses autres textes, "Cyber Mage" est un mashup. Il y mélange allègrement et sans vergogne une vraie histoire cyberpunk avec IA menaçantes et prodiges de netrunners lâchés irl avec un récit de fantasy urbaine où des djinns aussi hauts en couleurs qu'incroyablement puissants côtoient goules, golems et dragons dans une présentation tellement plus cool et excitante que tout ce qu'offre Djeli Clark, le tout au sein d'un monde que l'effondrement des Etats et le désastre environnemental a rendu largement inhabitable. Ici, lecteur, on ne conduit pas des trams, ici, lecteur, on a barboté l'ISS.

Mélanger les genres, les faire entrer en collision, Hossain le fait avec gourmandise et jubilation. Il dispose dans sa palette – et en use généreusement – d'un humour constant, d'un grand sens du rythme, de l'action, et, pour tout dire, du spectacle, de personnages dont l'outrance sert le récit au lieu de lui nuire, de side quests improbables telles que la quête de l'amour d'Amina ou la vengeance contre le bully qui harcèle Marzuk dans son nouveau lycée.

Et je n'oublie pas ici qu'une bonne partie de ce roman dont la dédicace est « This one is for my gamers. » se passe lors d'une guerre sans merci entre joueurs à l'intérieur du MMORPG Final Fantasy 9000, une guerre dont l'enjeu est de décider de la liberté ou de l'asservissement de la cité de Dahka.


De bout en bout, avec "Cyber Mage", Hossain prouve encore une fois qu'il est un auteur sans surmoi. Rien, absolument rien, ne limite son imagination. Et le lecteur est chanceux d'avoir accès au pays des merveilles qui vit dans le crane de l'auteur bangladeshi.

A tangenter trois cent pages durant l'improbable, tout n'est pas sans défaut, mais la logique interne du récit est impeccable et il y a un tel entrain à pousser le bouchon trop loin qu'on ne peut qu'être séduit par le texte d'Hossain. On se trouve, avec "Cyber Mage", dans du cyber-divin à la McDonald, rebooté sous amphet. par les Monty Python associés aux Wachowsky. Ce gars a créé un genre à lui tout seul. On en redemande tant c'est original, furieusement joyeux, et délicieusement ironique.


Cyber Mage, Saad Z. Hossain

Commentaires

Luigi Brosse a dit…
Très content de voir qu'on partage le même avis / ressenti. Et ca m'a aussi permis de découvrir ton blog !
Gromovar a dit…
Nous sommes deux, et bientôt nous serons légion ;)

Et bienvenue ici :)