Jean Baret : Mes Utopiales de B à V

Comme chaque année, vers Walpurgis, se sont tenues les Utopiales à Nantes. 153000 visiteurs cette année, et moi et moi et moi. Ne faisons pas durer le suspense, c'était vraiment bien !!! Genre grave bien !!!! Un Bar de Mme Spock plus accueillant que jamais. Une Salle 2001 toujours aussi impressionnante. Une scène Shayol toujours aussi, well... Un Roland Lehoucq toujours aussi salle pleine. Des tables rondes toujours aussi...concaves, je vous assure, vus du public les intervenants forment une concave. 10 tonnes de livres installés en deux jours dans la plus grande librairie du monde par les libraires les plus courageux du monde – c'est pour ça qu’il fallait acheter beaucoup, pour limiter le remballage. Et des démos scientifiques, des jeux, des démos, des films (longs et courts, pas dingue ça?) , des Prix dont un Prix Exceptionnel pour Francis Berthelot , des kilolitres de bières, des tombereaux de pâtisseries et de sandwiches. Et les macarons de Madame R. Et des anecdotes

Vertèbres - Morgane Caussarieu


Avril 1997, Vieux-Boucau-les Bains, dans les Landes.

Jonathan dit Jojo, un écolier de dix ans, est enlevé, emmené dans une camionnette par une « femme à barbe » si l'on en croit les témoignages de Sasha et Brahim, ses deux amis présents au moment des faits. Après une semaine d'inquiétude sourde pour la population de la petite station balnéaire – et singulièrement pour Sasha, Brahim, et Marylou, la mère de Jojo – l'enfant reparaît. Retrouvé par la gendarmerie sur une aire d'autoroute, Jojo est hagard, mutique, il a une vilaine blessure au flanc, et surtout, surtout, il a perdu toute la graisse qui faisait de lui un obèse morbide, diabétique entre autres pathologies. Réapparaître spontanément après un enlèvement est déjà étrange, mais réapparaître en ayant perdu 50 kilos en 7 jours, là, on dépasse l'entendement de quiconque.

Qu'importe, dans l'immédiat, ce « détail ». La gendarmerie est contente d'avoir retrouvé un enfant vivant après 48 heures, ses amis sont soulagés, sa mère est littéralement extatique.


Car il faut dire que si toutes les mères (ou presque) aiment leurs enfants, le lien que Marylou entretient avec Jojo est d'une nature peu commune. Fils d'un compagnon décédé accidentellement, unique humain partageant la vie de Marylou, Jojo est un enfant sur-couvé par une mère qui l'allaita jusqu'à plus de quatre ans en faisant fi de l’opprobre générale. Affublés de diverses pathologies allant de l'obésité au diabète en passant par des problèmes au tympan et une prétendue maladie orpheline dont Marylou est sûre de l'existence, Jojo est de ces enfants sur qui s'abat à l'école l'absence de bienveillance de ses condisciples. Et ce n'est pas mieux pour ses deux amis : Brahim est arabe, Sasha une fille orpheline de mère qui a le sentiment et l'ambition d'être un garçon. Ajoutons à cela que Jojo, Brahim et Sasha sont tous les trois pauvres dans une ville où la pauvreté n'est pas la norme ; à Vieux-Boucau, la « bande des super amis », comme ils se nomment, n'a pas fière allure.


Quand des examens médicaux démontrent que Jojo, non content d'avoir perdu un poids impossible, est maintenant doté d'une vertèbre supplémentaire au niveau du coccyx, Marylou est bien obligée d'admettre que quelque chose d'étrange s'est produit durant les sept jours que Jojo a passé avec la mystérieuse « femme à barbe ». Mais qu'importe ? C'est son Jojo, son fils, et elle l'aime plus que tout.


"Vertèbres", le dernier roman de Morgane Caussarieu, est présenté comme un Chair de Poule pour adultes.


Chair de poule, sans doute. Quand le fantastique s'invite dans la vie de Sasha, Brahim, Marylou, ils l'acceptent, chacun à sa manière et en fonction de sa relation avec Jojo, sans en faire plus de cas. Comme dans ces histoires où des enfants découvrent que l'un d'entre eux est devenu un fantôme et continuent à jouer avec lui comme si de rien n'était.

Racontée par Sasha à son journal intime, avec le ton que peut avoir une enfant de neuf ans si futée soit-elle, l'histoire de Jojo est une histoire d'amitié entre enfants paumés, entre petits stigmatisés car hors normes. Les familles de Jojo, Brahim, Sasha, ne sont guère reluisantes, l'amour y est absent, mal exprimé, ou à trop bas bruit, au sein de fratries dysfonctionnelles encadrées par des adultes tellement en souffrance, chacun à sa manière, qu'ils ne peuvent décemment jouer leur rôle de parents. Chacun des enfants est alors pour les autres la famille qu'il aurait voulu, alors que l'enfance prend fin et qu'une autre époque s'ouvre.


Pour adultes sûrement quand, un fil sur deux, c'est Marylou qui parle – à la deuxième personne – et qu'un malaise grandissant saisit le lecteur au fil de ses confidences. Car si les familles de Sasha et de Brahim ne font guère envie, le « couple » que forment Marylou et Jojo est clairement sordide. Possessive, exclusive, manipulatrice jusqu'à... (lire le roman), Marylou est de ces mères qui, telle la Clémentine de L'arrache-coeur, ont une relation pathologique à la maternité. Prête à tout pour protéger un fils qu'elle est la seule à avoir le droit d'abîmer, Marylou – par ailleurs une pauvre femme à la biographie chargée, une solitaire sans doute plus à plaindre qu'à blâmer –, ira jusqu'à des extrémités délirantes au « service » de Jojo et de sa sûreté.

Pour adultes encore quand le gore s'invite, après que le sexe l'ait fait, et que s'exprime le langage très cru qui est celui de personnages en manque de mots qui ne soient pas des armes.


C'est d'ailleurs le contraste entre les mots d'enfants de Sasha et ceux, pathologiques, de Marylou, entre la candeur naïve des enfants et la dureté implacable du monde qui les entoure au plus proche, entre les rêves simples de Sasha, Brahim et Jojo et la misère matérielle et morale des familles dans lesquelles ils évoluent, qui fait la force de ce roman réussi qui dit en fait quatre choses :

  • que tous les monstres n'ont pas l'air de monstres
  • qu'on a raison aussi d'avoir peur des monstres qui ont l'air de monstres
  • que l'enfance n'est pas une protection contre le monde, que celui-ci soit surnaturel ou pas
  • que les adultes souffrent aussi mais qu'en souffrant ils font parfois des dégâts collatéraux


Bourreaux qui sont des victimes et victimes qui sont des bourreaux. Alors on garde Adultes, on vire Chair de poule (sauf pour le ton de Sasha), on ne fera pas lire ce roman aux enfants, ni aux femmes enceintes ;)

Et je plains les rédacteurs auto-désignés de trigger warning, ils vont avoir du boulot, autant qu'ils en auraient eu pour Je suis ton ombre, un précédent roman de Caussarieu, Prix Planète-SF 2015, auquel, dans un genre très différent, "Vertèbres" fait penser.


Vertèbres, Morgane Caussarieu

Commentaires

Anonyme a dit…
J’avais aimé la lecture de Vilain chien. Une histoire très poignante d’un petit garçon.
C’était en rayon jeunesse,mais les adultes peuvent aussi le lire.
Je prends note de celui-là.
Gromovar a dit…
On est bien d'accord sur le fair qu'il n'est pas Jeunesse ?
Anonyme a dit…
Oui c’est noté merci.