La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Le Club Aegolius - Lauren Owen


Fin du XIXe siècle. James Norbury, jeune rural et prétendant poète, quitte son Yorkshire natal, et, après un passage anonyme à Oxford, décide d'aller tenter sa chance à Londres. Il laisse derrière lui une tante qui l'admire, Mrs Chickering, une sœur qui l'aime tendrement, Charlotte, et une belle propriété que la mort de leurs parents et des revers de fortune les a rendus incapables d'assumer. Reste de la fortune familiale une rente qui lui permet de vivre sans travailler et de prendre tout son temps pour faire le poète – on connaît pire dans la ville de la Révolution Industrielle.

Peu après son arrivée, James s'installe en colocation avec Christopher Paige, un autre jeune oisif issu d'une famille bien plus installée. Christopher, extraverti et solaire, connaît la vie et le monde, James, introverti et peu assuré, est un campagnard qui peine à s'insérer dans le tourbillon de la vie londonienne. Entre les deux – qui évoquent Lord Henry Wotton et le jeune Dorian Gray – naît une amitié qui devient rapidement plus. Jusqu'au drame et à l'enlèvement incompréhensible de James. Jusqu'au départ pour Londres d'une Charlotte qui, n'écoutant que son courage, se lance à la recherche de son frère disparu.


"Le Club Aegolius" est le premier roman de Lauren Owen. Mélange de roman victorien et de littérature gothique, spécifiquement ici vampirique, il contient beaucoup de qualités qu'altère un gros défaut.


D'abord, il est très bien écrit. Les pages se tournent pour le seul plaisir de la lecture et, alors qu'il ne se passe rien que de très normal durant les cent premières pages, on lit sans impatience les pérégrinations de James, de sa petite enfance dans un manoir qui se dégrade sans cesse à sa vie de jeune adulte partie d'un couple forcé à la clandestinité. Car c'est bien écrit, car c'est émouvant.

La qualité de l'écriture se note aussi à l'adéquation de celle-ci au personnage sur lequel le focus est mis lors des différentes parties du roman, très différentes l'une de l'autre. Elle rend l'exaltation, la névrose, le manque, la nostalgie, dans le ton de la classe de celui qui les pense, tombant juste à chaque fois.


Ensuite, il met en lumière une Londres joliment décrite dans sa vérité de l'époque.

On la voit, on la respire, on y est. On perçoit combien elle pouvait être impressionnante pour un nouveau venu, alors que la modernité s'y installait et que la plus grande richesse côtoyait la misère la plus abjecte.

Ainsi, aux grandes inégalités héritées d'une société aristocratique bien loin de sa fin s'ajoutent celles engendrées par les effets de la Révolution Industrielle. La Londres d'Owen, c'est l'électricité dans les hôtels de luxe et du gin frelaté dans les taudis de l'East End. La Londres d'Owen, ce sont des fêtes et des pièces de théâtre mais aussi des ouvriers fatigués, des enfants misérables, et des femmes contraintes de se vendre pour survivre.

Et il y a plus. Dans la Londres de la fin du XIXe, les inégalités de classe ne sont pas seules à fracturer la société. S'y ajoutent les inégalités de genre, avec statut juridique inférieur et « dressage » des femmes par une socialisation qui installe sur celles-ci le carcan hypocrite des convenances.

Quant à l'homosexualité, rappelons simplement qu'elle mena Oscar Wilde en prison.

Le corset social est serré et la sanction sociale s'abat sans faiblesse sur ceux qui tentent de s'en extraire. Tout ceci, Owen le montre par petites touches explicites.


De plus, on trouve dans le roman une société vampirique originale qui est en même temps un décalque de la société humaine de l'époque. Du très exclusif Club Aegolius aux vampires misérables de l'Alia qui évoquent Dickens, les vampires forment un monde secret pas plus égalitaire que celui des humains et traversé comme lui de mortelles luttes de pouvoirs. Un point commun entre tous, une animalité qui les rend dangereux pour tout humain, qu'ils ne parviennent à contenir qu'à grand peine tant est grande la soif de sang et immense le mépris que suscite en eux cette humanité vivante dont ils lisent les peu ragoutantes pensées.


Enfin, Owen crée une galerie de personnages dont beaucoup sont détaillés et qui sont, imho, la grande force du roman. Revue incomplète de détails :

James, torturé et brisé par ce qui lui arrive, comme le Louis d'Entretien avec un vampire.

Christopher, radieux et sûr de lui. Catalyseur involontaire de la situation.

Arthur, un Américain plongé dans un cauchemar inouï, qui cherche son courage pour être à la hauteur des événements ; l'opposé presque parfait du vaillant Quincey Morris de Dracula.

Augustus Mould – « Docteur Couteau » –, qui passe une vie entière à étudier et servir les vampires, comme un fils incestueux de Van Helsing et de Renfield.

Shadwell, aussi digne que l'autre ne l'est pas, qui étudie aussi les vampires, lui pour les combattre tant il sait le mal qu'ils peuvent faire.

Si j'ai cité les hommes en premier, c'est afin de garder le meilleur pour la fin. Dans "Le Club Aegolius", toutes les femmes sont fortes, toutes ont su ou dû sortir de leur condition et des attentes sociales pour s'adapter à une réalité indicible. Toutes soutiennent ou entraînent les hommes qui les entourent et dont elles sont, de fait, la force motrice.

Charlotte, grande et gauche, qui ne correspond pas aux canons de l'époque, qui est très imprégnée des convenances victoriennes, et qui fait tout voler en éclat pour tenter de sauver son frère. Charlotte qui mènera ensuite sa vie comme elle le décide – fut-ce avec un homme.

Adeline, une acrobate entraînée comme une guerrière, prête à tout pour contrer la menace vampirique, au péril même de sa vie. Adeline aussi qui mène sa vie comme sa sexualité, librement.

Mrs Price, la chef des Alia. Moitié daronne et moitié chef de gang, en lutte constante contre les aristocrates du Club Aegolius.

Liza, l'une de ses protégés involontaires. Une petite fille vampire rouée et compétente, une Claudia d'Entretien avec un vampire, que les nécessités de la survie ont transformé en une petite guerrière efficace et décidée.

Femme ou homme, on s'attache à eux, on souffre avec eux, on est navré de les quitter à la fin. Et il y a en a bien d'autres encore, secondaires, qui occupent moins souvent la lumière et que je ne détaillerai pas ici.


Où est le problème alors ? L'excès. De pages comme de faits.


Trop de personnages sans doute dont on lit les backgrounds en flashbacks. Trop de notes sur les vampires tirées de carnet du Docteur Mould. Trop de rebondissements trop proches les uns des autres peut-être. Trop de narration à la troisième personne non omnisciente, ce qui qui engendre des allers-retours sur les mêmes faits vus par des personnages différents et parfois une certaine confusion en ce qui concerne la position, les motivations, ou les actions des uns et des autres – je ne sais pas si l'effet « brouillard de guerre » était voulu mais il est régulièrement gênant.

Le tout fait un roman assurément trop long pour ce qu'il dit, ce qui est d'autant plus ennuyeux qu'il abandonne pourtant en cours de route certains personnages ou certaines problématiques qui auraient mérité mieux.


Et pourtant, c'est avec une forme de tristesse que j'ai tourné la dernière page et laissé les personnages à la suite de leurs existences. Ils sont clairement les points forts du roman par l'attachement qu'ils créent.

Le focus mis sur les femmes aussi est passionnant. Il prouve, s'il en était encore besoin, qu'on peut écrire un texte objectivement féministe sans se rouler dans un pédagogisme militant ; il suffit de montrer des femmes fortes et de créer des backgrounds qui expliquent logiquement qu'elles le soient.

Enfin, la tentative de métanarration sur le mythe du vampire est intéressante aussi.

Alors, lire ou pas ? Je suis tenté de dire oui car le bilan me parait globalement positif, en sachant qu'il faudra supporter le caractère parfois too much du texte.


Le Club Aegolius, Lauren Owen

Commentaires

Il est dans ma PAL. J'avoue que le coté dilué du récit me fait y aller à reculons mais tous les points positifs que tu mentionnes m'intrigue, je pense que je me laisserai tenter !
Gromovar a dit…
Je ne peux pas t'aider plus que par la chro. d'autant que si je te dis, Essaie, les premières pages, loin de te dissuader, t'inciteront à continuer.
Mais ça vaut le coup d'essayer. On s'en reparle.