La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Le Premier Souper - Alexander Dickow


"Le Premier Souper" est le premier roman d'Alexander Dickow.

C'est une épopée mythique qui oscille entre l'outrance rigolarde d'un Rabelais et le sens du décalage politique d'un Swift, entre le fantastique filigrané des Rémy dans Les soldats de la mer et l'imagerie gore d'un Barker qui projetterait ses fantasmes hors de cercles restreints jusqu'à pervertir la Terre entière.

C'est aussi un texte constitué en partie d'extraits d'un roman, Le Premier Souper, écrit en 1927 (avant ou après quoi ?) par Ronce Albène, un grand intellectuel modéré dont on verra qu'il paiera tant sa modération que la rédaction même de son livre. "Le Premier Souper" de Dickow est l'histoire du Premier Souper d'Albène et celle des réalités qui permirent (ou imposèrent) son écriture.


En ouvrant "Le Premier Souper", lecteur, tu entreras dans trois mondes décrits par flashes (rythme de l'épopée évoquant de très grands événements à l'aide de personnages récurrents qu'on voit progresser d'un épisode pertinent pour le récit au suivant) :

  • d'abord un monde désolé dans lequel se confrontent les mineurs et les habitants de l'Ouvert,
  • puis un monde embrumé où, de la brume même, surgissent des monstres extra-dimensionnels qui s'en prennent à la chair des vivants,
  • enfin, l'empire aurède, une civilisation au bouquet antique écartelée par une guerre entre orthodoxie et hérésie.


Premier monde, les mines, au cœur du désastre environnemental.

On y trime durement et on y meurt. On y mange littéralement des cailloux, modifiés qu'on est par une opération visant à réduire les coûts de nourriture des mineurs (abaissant ainsi plus que Ricardo ne l'a jamais rêvé le « salaire de subsistance » et augmentant d'autant la plus-value extraite), pour le plus grand bien des profits des propriétaires de la mine.

Dehors vivent les Ouverts (des « loups », relativement aux « chiens » de la mine), des non-prolétaires même pas dignes d'être exploités. Plus libres certes mais vivant encore plus mal, privés qu'ils sont même du piètre réconfort qu'offre le viatique minéral des mineurs exploités.

Car c'est d'exploitation (au plein sens marxiste) qu'il s'agit, d'une exploitation qui, une fois « dévoilée », ne peut conduire qu'à la révolte puis à la révolution (qui, on le verra, « n'est pas un dîner de gala »). Un monde plus juste naîtra peut-être, mais au prix de combien de violence ? Et de compromissions ? – ce qui est pire.

Ceci Ronce Albène l'a vu ou su, il le narre dans un passage du Premier Souper.


Deuxième monde, le conflit dans les brumes.

Un univers vaguement médiéval, rationnellement administré. Quand survient l'incroyable : on y est attaqué par des monstres de l'au-delà qui arrachent littéralement la chair vivante pour se sustenter et s'en vêtir afin de s'incarner. Des monstres idéels capables de martyriser la chair au nom de la supériorité de l'Idée sur la matière, une certitude qui se trouve coïncider avec les intérêts bien compris d'eux-mêmes qui la professent et la nourrissent.

Des décennies de guerre, de victoires puis de défaites, de relations de plus en plus étroites, d’interconnaissance croissante qui jamais ne vainc ni l’hostilité ni les préjugés, utilisée qu'elle est à obtenir d'éphémères avantages stratégiques. Et pourtant il y a une attirance, mais elle ne parvient jamais à passer une forme métaphorique de « barrière des espèces ». Crise coloniale qui ne dit pas son nom et ne se révèle que dans le discours, « civilisateur ».

Ceci Ronce Albène l'a vu ou su, il le narre dans un passage du Premier Souper.


Troisième monde, l'empire aurède, l'univers de Ronce Albène.

La règle y est l'autophagie, pilier et fondement de la religion d'Etat de la Sainte Victime ; s'y ajoutent une reproduction mitotique et l'obligation morale de pratiquer l'alimentation en privé, hors de la présence de tout spectateur. Quand apparaissent puis se multiplient les citoyens allophages – des plus tranquilles herbivores jusqu'aux odieux « cannibales » en passant par les déjà très douteux carnivores – la cité perd sa cohésion et il est temps pour les tenants de l'orthodoxie d'anéantir les hérétiques. Intrigues politiques, machinations et complots, tout est fait pour aller vers un local Incendie du Reichstag qui permettra de déchaîner toute la rigueur de l'orthodoxie avec l'aide et l'assentiment des foules scandalisées.

Guerre de religion, guerre de résistance à la modernité aussi.

Jusqu'à la régénération, avec l'aide intéressée des barbares aux marges, comme décrit en d'autres temps par Ibn Khaldoun.

Ceci Ronce Albène l'a vécu, il le narre – en partie – dans un passage du Premier Souper.


Si dans le premier monde le « pouvoir en place » ne peut pas détruire son « ennemi » sans entraîner sa propre chute, dans le deuxième c'est envisageable si rationnellement utile, et dans le troisième la guerre d'extermination est inévitable car aucune société ne peut avoir deux sources différentes de légitimité ni, pour parler comme l'autre, deux superstructures concurrentes (c'est le fondement même de ce « monopole de la violence légitime » qu'aujourd'hui chacun – devenu philosophe politique amateur – met à toutes les sauces, notamment les plus ratées).

Tout serait tellement plus simple si on acceptait de « se laisser engloutir par les autres » jusqu'à ne faire plus qu'un, comme le préconise le mutique préfacier du Premier Souper d'Albène. Mais comme c'est difficile.


Pas plus de détails ici. Il faut dévorer "Le Premier Souper" pour en découvrir les personnages, tous finement croqués bien que chacun n'ait que peu de pages à se mettre sous la dent. Il faut le lire comme on mange avec les doigts pour en tirer la substantifique moelle. Il faut le lire pour profiter jusqu'à l'indigestion d'une écriture terriblement inventive, qui multiplie les styles et abreuve le lecteur d'images aussi audacieuses que bien troussées, lui permettant ainsi d'entrer sans peine dans des mondes, au premier regard, aussi étrangers au sien qu'il est possible de l'être.

PS : l'auteur remercie Damasio, artisan de mondes. Tu me connais, lecteur, alors tu comprendras à quel point "Le Premier Souper" doit être bon pour qu'après avoir lu ce remerciement j'ai écrit, enthousiaste, cette chronique.


Le Premier Souper, Alexander Dickow

Commentaires

Baroona a dit…
Pour être intrigant, c'est intrigant. J'ai peur de manquer de connaissances pour en saisir la substantifique moelle, mais c'est intrigant.
Gromovar a dit…
Nul besoin de connaissance. Tu peux y aller.