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    Demchuk, son premier. Intitulé The Bone Mother en version anglaise,
    il a remporté le Scotiabank Giller Prize 2017.
  
  
  
    Tournée une couverture sombre et peu explicite, le lecteur tombe sur
    Maia, un texte d'une page très inquiétant par ce qu'il suggère. Puis,
    il lit Boris, qui en quatre pages introduit l'usine de porcelaine et
    pose les caractères weird et noir des récits à venir ; c'est par des moyens
    bien peu ragoutants que sont fabriqués les très fameux dés à coudre Grazyn
    dont même la tsarine use, et la relation de commensalisme qui lie l'usine
    aux trois villages environnants qui lui fournissent son personnel est
    fondamentalement malsaine.
  
  
  
    Suivent 24 textes, de longueurs variables, qui mettent chacun en scène un
    personnage, humain ou pas. Tout est weird, tout est sombre, Demchuk convoque
    le peuple de la mythologie slave, il place son usine entre Ukraine et
    Roumanie, en un lieu menacé moins par les créatures de la nuit slave ou
    yiddish que par les exactions staliniennes (la famine notamment) ou
    la brutalité mortelle de la Police de Nuit, une milice cryptofasciste
    capable d'agir même à l’étranger pour rattraper ceux qui crurent lui
    échapper en s'exilant à un océan de distance.
  
  
  
    Le père de Demchuk est d’origine ukrainienne. L'auteur – qui jongle à
    travers les continents et les époques, de la moitié du XIXe siècle aux temps
    présents – a donc puisé tant à la source d'un folklore ancestral qu'au cœur
    de l'histoire familiale pour montrer un monde en transformation dans lequel
    les monstres sont plus souvent des humains que ceux que leur physique ou
    leurs pouvoirs conduit à décrire comme tels. Il est à noter d'ailleurs que
    la seconde partie du fix-up 'La Police de Nuit' est plus convaincante et
    engageante que la première 'L'usine de porcelaine Grazyn' ; après beaucoup
    de freaks et de magie arcanique, le retour des organisations humaines et de
    leurs crimes volontaires remettent de l'enjeu dans une énumération de
    personnages et de situations qui, à la longue, commençaient à faire un peu
    rengaine, d'autant que certaines chutes laissent le lecteur sur sa faim.
  
  
  
    Alors il y a, certes, plusieurs textes intéressants car vraiment surprenants
    ou dérangeants – une très émouvante histoire de golem par exemple –, il y a
    aussi quelque jolies phrases « Tricoter est une bonne façon de passer le
    temps quand on attend que quelqu'un meure », il y a enfin une plongée
    torturée dans une mythologie moins connue ici que les grecques ou
    scandinaves – entre strigoi, rusalka ou dame des bois. Il y a encore,
    disons-le, une collection de photos (une par texte) réalisées
    par un photographe roumain dans la première moitié du XXe siècle, qui
    donnent un ton et créent une ambiance. Mais l'accumulation, si elle sert à
    ancrer un lieu, fut-il mythologique, dans la réalité perçue du lecteur, met
    aussi en évidence le manque d'un vrai fil directeur qui l’entraînerait d'une
    introduction vers une conclusion. Certains fix-up passent le test de cet
    écueil avec succès, ici le nombre élevé des textes et leur petite taille
    rend l'exercice plus périlleux.
  
  
  
    Et puis, il faut parler traduction. Je ne sais pas si les fautes de
    traduction tiennent à la traductrice ou aux particularités de la langue
    québécoise, qu'importe finalement, mais lire « Il a été frappé par une auto
    » pour décrire un accident de piéton ou onze fois au fil des pages « Je suis
    correct » ou « Es-tu correct ? » pour traduite « It's ok »
    (et j'en passe bien d'autres) rend la lecture pénible car les
    imperfections langagières sautent trop aux yeux. Dommage.
  
 
L'usine de porcelaine Grazyn, David Demchuk
 
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