La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

The Haunting of Tram Car 015 - P. Djèli Clark


Qui aime bien châtie bien, dit-on. Après avoir littéralement porté aux nues P. Djèli Clark pour son époustouflant Ring Shout, je vais dire un mot sur "The Haunting of Tram Car 015".

Le Caire, à la fin du XIXe.
Le savant fou al-Jahiz (du nom d'un grand savant arabe du IXe siècle, qui pourrait même avoir voyagé dans le temps) a percé le Kaf, le voile qui isole les djinns (presque tous, certains des plus dégourdis l'avaient franchi depuis longtemps, d'où les légendes arabes sur ces êtres surnaturels tantôt amis des humains, d'autres fois serviteurs ou ennemis) du monde naturel des humains.
Pour l'Egypte ce fut une bénédiction. Grâce aux innombrables djinns aux formes et aux consciences aussi variées que celles des animaux de la création, le royaume a pu gagner de nombreuses batailles, se libérer de la domination britannique, obtenir une juste indépendance, et se développer au point que les Européens, après avoir raillé ces manifestations d'irrationalité orientale, se sont ralliés à l'étude de la magie et du surnaturel.

Avec de grand pouvoirs viennent de grandes responsabilités. Certains djinns (voire d'autres esprits car en affaiblissant le Kaf, al-Jahiz a affaibli l'ensemble de la structure) sont néfastes, agressifs, meurtriers, d'autres aussi sont contrôlés pour être utilisés à de bien sinistres fins.
L'Egypte a donc dû créer un Ministère de l'Alchimie, des Enchantements, et des Entités Surnaturelles. Et, quand le récit commence, deux des agents de ce ministère répondent à la requête du Surintendant de la Sûreté et de l'Entretien des Trams. Cet homme, Bashir pense qu'un de ses trams, le 015, est hanté.
Les agents Hamed et Onsi se mettent en chasse ; ils doivent comprendre qui ou quoi hante le tram et trouver un moyen de l'en chasser. Ce ne sera pas une mince affaire.

Avec "The Haunting of Tram Car 015", Clark livre un texte rythmé qui se lit comme on regarde un épisode de série télé. Un problème, une enquête, un combat, une neutralisation, fin du problème. Après de réelles péripéties, force sera rendue à la loi. On peut y prendre plaisir et, honnêtement, je n'ai pas eu à me forcer pour continuer à lire. C'est cohérent, rythmé, et on y croise des personnages plutôt sympathiques même si cookie-cutter.
On peut même, si on veut, s'esbaudir de l'uchronie (modeste), se réjouir d'apprendre un peu sur cette Egypte ou cohabitent Musulmans, Coptes, exorcistes Zar, and so on., et apprécier à quel point les questions qui se posent à la société égyptienne imaginée sont proches de celles qui nous occupent.

Et pour moi, c'est là que le bât blesse.
L'urban fantasy est un genre qui impose presque toujours ce qu'on trouve dans "The Haunting of Tram Car 015".
On y plaque notre monde sur un monde magique.
Il y a des ministères (de la Magie) avec des noms pompeux et des titres ronflants (c'est sensé être drôle j'imagine), des problèmes de budget (là, reconnaissons que Stross fait de même avec la Laverie), des problèmes d'administration (idem). Chaque salaryman pourra s'y reconnaitre.
Il y a bien sûr des suffragettes dans l'histoire (qui d'ailleurs participent indirectement à la résolution de l'affaire), même des djinns féminins sont suffragettes. Dans un pays arabo-musulman peu de temps après l'indépendance !!! Mouarf !
Il y a des djinns syndiqués, et une sorcière traditionnelle marxiste qui veut l'émancipation des eunuques mécaniques.
Il y a un réseau de trams mus par des djinns liés (version locale de la fée électricité j'imagine).
Il y a souvent aussi (et donc ici aussi) un personnage féminin fort en gueule et original dans un monde d'hommes qui rappelle dans la manière dont il est présenté la façon dont il y avait toujours aussi un enfant grande gueule dans un monde d'adultes dans les séries télé françaises des années 60. Féminisme de bazar.
L'urban – à de rares exceptions près, sinon les adorateurs de Gaiman vont me tomber dessus – est de l'Imaginaire feignant, peut-être pour feignants. Harry Potter a ouvert une voie dans laquelle trop, hélas, s'engouffrent.
Pour dire à quel point ces tropes m'insupportent par leur paresse, j'avais lu il y  des mois (avant le Grand Confinement, une autre époque) A Dead Djinn in Cairo, l'autre nouvelle de Clark située dans le même monde (et dont les personnages se croisent ici comme dans un crossover télé), et je ne l'avais pas chroniquée tellement je ne trouvais rien d’intéressant à en dire.

Donc on peut lire oui, je l'ai fait, on peut y prendre plaisir, je l'ai fait aussi, mais qu'on sache qu'on n'est dans rien d'autre que dans l'épisode d'une série télé à l'écriture paresseuse.

The Haunting of Tram Car 015, P. Djèli Clark

Commentaires

Thomas Day a dit…
T'es en grande forme ! Ça fait plaisir...
lutin82 a dit…
J'avais beaucoup aimé, sans doute ai-je été plus charmée par l'exostisme que toi ! ;-)
Gromovar a dit…
Sans doute, oui ;)