La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Bienvenue à Sturkeyville - Bob Leman


Saluons la sortie récente de "Bienvenue à Sturkeyville", un recueil inédit de Bob Leman, traduit par Nathalie Serval, superbement illustré par Stéphane Perger et Arnaud S. Maniak, le tout rendu possible par un crowdfunding des éditions Scylla. La mise en lumière d'un auteur trop méconnu, dans un écrin qui lui rend justice.

Sturkeyville est une petite ville tranquille blottie aux pieds des Appalaches du Nord. Bâtie autour de sa forge industrielle, la ville est une Amérique en réduction, avec ses dynasties, ses riches industriels, ses banquiers, ses notables membres d'un grand nombre d'associations qui sont autant œuvres de bienfaisance que nexus de réseautage, ses commerçants, son shérif, ses ouvriers honnêtes, et ses marginaux qui occupent tant les marges des conventions sociales que celles de la ville elle-même. Et puis il y a les monstres, qui sont bien réels ici et pas du tout engendrés par le sommeil de la raison. Des monstres qui sont, comme tout le reste dans l'autosuffisante Sturkeyville, un linge sale qu'on lave en famille – ni Devil's Reef, ni Red Hook ici.

Sturkeyville, c'est un peu un Twin Peaks de la côte Est, un Twin Peaks dans lequel la corruption serait moins celle des hommes que celle d'une terre encore parcourue par des créatures inhumaines.
Si on vaut être plus littéraire, disons que la petite ville, prospère sans ostentation, est une Samarra qu'auraient visitée les mondes de Twilight Zone.

Dans le temps long de Sturkeyville, étendu du milieu du XIXe aux deux-tiers du XXe, la permanence de la communauté – en dépit des guerres mondiales et des dépressions – masque les soubresauts qui affectent les vies personnelles et les fortunes familiales ; des tribulations dont l'origine est toujours fantastique, au meilleur sens du terme.

Leman dévoile donc à son lecteur, dans La saison du ver, la vie tragique de la famille Lawson, plongée dans un cauchemar qui rappelle L'invasion des profanateurs de sépultures.

Il présente un vampire aussi « réaliste » que « noble » dans La quête de Clifford M., une créature qui se découvre une ascendance insupportable, comme le faisait le héros malheureux des Rats dans les murs d'HPL.

Il lorgne fortement vers le Lovecraft du Cauchemar d'Innsmouth dans Les Créatures du lac. Et quelle impressionnante description d'une déchéance !

Il offre un spectacle de lignes temporelles brisées dans Loob, une histoire originale et très bien construite qui est aussi le seul récit où les malheurs d'une famille affectent par ricochet l'ensemble de la communauté – d'atroce façon dans les deux cas.

Il raconte une terrifiante histoire de deuil, d'obsession, et d'emprise, dans Viens là où mon amour repose et rêve ; c'est à Shirley Jackson qu'on pense ici.
Et le tout est réussi.

Seule Odila, sur des thèmes semblables – lignées, alliances, perpétuation –, est un peu en-dessous, en raison de dialogues qui semblent trop cosy et policés au égard à des enjeux aussi colossaux que des protagonistes dont la croissance, en dépit de sa lenteur, peut évoquer L'Abomination de Dunwich.

Puisant à de nombreuses sources classiques, Leman en tire le meilleur sans oublier de rendre explicitement hommage à ses devanciers – lorsqu'il place le domaine Philipps près du lac Howard par exemple.
Écrivant autant comme un auteur fantastique que comme un de ces auteurs américains qui décrivaient avec le même brio les communautés humaines que les espaces naturels qui ceinturaient leurs villes, Leman parvient à faire entrer sans solution de continuité l'incongru dans le prosaïque – comme s'il plaçait les roulottes des Freaks au bord, mais tout juste au bord, des limites de la ville.

Il livre ainsi, avec cette Sturkeyville qu'on a l'impression de bien connaître une fois le recueil terminé, une histoire fantasmée de l'Amérique rurale qui intrigue autant qu'elle émeut, dans un style classique qu'on qualifiera de bon aloi.

Bienvenue à Sturkeyville, Bob Leman

L'avis de Lhisbei

Commentaires

lutin82 a dit…
J'ai également beaucoup aimé, surtout le style adapté à cette Amérique lambda, ces vies de tous les jours, secouées par l'irrationnel.
Gromovar a dit…
Oui, du fantastique classique très bien réalisé.
Vert a dit…
Hâte de le lire ! Si j'avais su que ça serait pareil galère d'aller le récupérer chez Scylla j'aurais choisi la livraison xD
Gromovar a dit…
Moi j'ai pris le numérique, plus de place en bibliothèque.