La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Les sept morts d'Evelyn Hardcastle - Stuart Turton


Petit matin. Un homme se réveille, confus, amnésique, dans un bois inconnu. Un seul souvenir lui vient tout de suite : « Anna ». Comme en réponse, non loin de lui, un cri de femme « Aidez-moi ! ». Une femme, un poursuivant, un coup de feu. Puis plus rien. Le temps que l'homme ait retrouvé ses esprits tout est fini. Plus personne en vue, plus de bruit. Juste le remords, écrasant, de n'avoir rien tenté. Trente secondes d'inaction fatale.
Quelques instant plus tard. L'arrivée d'un homme, derrière, dans la pénombre, impossible à identifier. La peur. L'homme donne un compas argenté et dit simplement « Est » avant de disparaître. Confus et effrayé, l'amnésique part dans la direction indiquée. Jusqu'à Blackheath House, un manoir perdu au cœur de la forêt.

Là, il découvre qu'il s'appelle Sebastian Bell, qu'il est médecin, et qu'il est l'un des invités d'une grande réception donnée par les Hardcastle.
Là, il découvre qu'en fait il n'est que l'occupant temporaire du corps de Bell, que ce soir à 23 heures Evelyn Hardcastle sera assassinée, que son meurtre aura l'air de ne pas en être un, qu'il a huit jours pour trouver le meurtrier d'Evelyn et donner son nom à l'inquiétant Plague Doctor qui lui explique les règles du « jeu ». Qu'alors seulement il sera libéré de Blackheath House et pourra reprendre sa vraie vie, celle d'Aiden Bishop, un inconnu pour lui.

"Les sept morts d'Evelyn Hardcastle" est le premier roman de Stuart Turton. C'est un mix étonnant de cosy mystery (pas si cosy vu l'état de la famille Hardcastle qui rappelle plus Nous avons toujours vécu au château que Farthing) et de boucles temporelles.

La presse écrit : Downtown Abbey rencontre Le jour de la marmotte. Pas faux.
A une différence importante près, Bishop se réveille chaque jour dans un hôte différent ; c'est donc sous huit identités différentes qu'il va vivre huit fois la journée de la mort d'Evelyn.
Et à une autre différence près, Bishop a trois concurrents dans le « jeu » et seul le premier à trouver la solution sera libéré. Il lui faut donc se méfier de tous, même de ceux qui pourraient être des alliés.

C'est donc à un roman policier très particulier qu'est convié le lecteur. Précisions suivent.

Le personnage de l'investigateur change régulièrement pour revivre la même journée, nanti de la mémoire de ce qu'il a découvert dans son incarnation précédente. Il y a ici un effet d'expérience utilisé de manière intéressante car, au fil de la progression de l'enquête, Bishop comprend de mieux en mieux les tenants et aboutissants des événements en cours. Il comprend aussi, tout court, certains messages cryptiques reçus d'autres protagonistes. Il sait donc de mieux en mieux quoi faire pour atteindre son but, découvrir ce qui existe et qu'il ignore encore, voire changer de manière limitée la journée – du moins pour les parties qui l'impliquent directement.
Accumuler les informations sans se retrouver noyé par la multiplicité des points de vue, c'est le défi auquel est confronté Bishop, il le dit lui-même : « Too little information and you're blind, too much and you're blinded. »

Les capacités physiques, compétences, et personnalités des hôtes de Bishop sont variées, l'ordre dans lequel Bishop les investit n'est pas dû au hasard. Il s'agit de tirer le meilleur parti des caractéristiques spécifiques d'un hôte donné au moment où la masse des informations détenues rend ces compétences les plus utiles.
De plus, les hôtes ont des instincts que Bishop ne contrôle qu’imparfaitement. Chaque incarnation est donc la somme fluctuante de l'hôte et de son marionnettiste, chacun tenant plus ou moins la barre à un moment donné. Les joueurs de jeu de rôle connaissent ce mix, plus ou moins réussi, du joueur et du personnage. Bishop le vit.

Le roman pose aussi les questions importantes qui se posent à Bishop.
Faut-il laisser un meurtre se commettre pour gagner sa liberté ? A qui accorder sa confiance ? Sur quelle base ? La punition est-elle faite pour amender le puni ? S'amende-t-on jamais vraiment ? A quel moment cesse-t-on d'être qui on est pour devenir autre ? Le passé est-il la fondation de l'avenir ou un obstacle à surmonter ?

Surtout, "Les sept morts d'Evelyn Hardcastle" est un vrai bijou de construction.
Impossible de prendre en défaut la construction millimétrée des faits dans leur récurrence. C'était la condition du succès, elle est remplie. Il faut, certes, un peu de mémoire et d'attention (ici la lecture en numérique est un plus - fonction Recherche), mais le lecteur est payé par sa compréhension de plus en plus grande de l’enchaînement parfait des situations. Chacun est là où il doit être au moment où il doit y être. Chacun fait ce qu'il doit faire, utilisant avec efficacité les spécificités de la boucle temporelle, par exemple pour laisser un message à un hôte précédent. Les connaissances accumulées et les plans qu'elles permettent expliquent au fil de la lecture pourquoi tel ou tel événement, apparemment illogique ou proprement absurde, faisait en fait sens dans un contexte plus large. C'est du bien beau travail.

Deux bémols, mais ils sont mineurs par rapport aux qualités du roman. D'abord, un des hôtes – le majordome – est une boite aux lettres un peu facile et proprement ad hoc dans ce rôle. Ensuite, la succession des hôtes et l'incertitude sur la personne même de Bishop font que l’implication émotionnelle est limitée ; "Les sept morts d'Evelyn Hardcastle" est un pur plaisir intellectuel, un Cluedo géant avec sauvegardes plus qu'un roman chaud.

Mais qu'importe ! L'histoire est passionnante, son déroulement ne déçoit pas, les facilités scénaristiques sont évitées, et c'est à une belle description d'aristocratie anglaise en décrépitude que le lecteur est convié pour résoudre un mystère qui plonge ses racines dans un passé et des turpitudes bien plus lointains que les huit jours de l'enquête.
A lire.

Les sept morts d'Evelyn Hardcastle, Stuart Turton (lu en VO)

A noter pour rire : l'un des personnages, obèse, exècre son état. D'où les déplorations de la  « grossophobie » du livre dans certaines des critiques. Sache-le, auteur, tu dois écrire des obèses positifs !

Commentaires

Lhisbei a dit…
Scrogneugneu, j'ai lu en diagonale ton billet et j'ai quand même réussi à me spoiler toute seule. Je savais que j'aurais du me contenter de ton accroche FB.
Gromovar a dit…
T'inquiète. Y'a plein de choses que je n'ai pas dites.
Lianne a dit…
Je vois que tu l'as autant apprécié que moi au final !
Je viens de le terminer donc mon avis n'arrivera pas avant un mois, mais il sera aussi positif :)
Gromovar a dit…
Un grand plaisir oui;

Et j'attends ton avis donc.
shaya a dit…
Oh mais ça a l'air très chouette ça, en bonne fan de polar je ne peux que noter ce roman dans un coin !
Gromovar a dit…
Je le conseille plus que vivement. Et en plus il est super beau.