La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

La Loterie - Shirley Jackson


Sortie du recueil "La Loterie et autres contes noirs", treize textes courts d'une des maîtresses du fantastique américain, Shirley Jackson.

Le fantastique de Shirley Jackson tient plus au weird qu'au fantastique au sens classique du terme. Le monde de Jackson est (pas toujours, mais souvent) un monde de petites villes américaines, de communautés qui paraissent soudées et solidaires, où on se prénomme Ethan, Ethel, ou Margaret, où il fait apparemment bon vivre. Et c'est précisément là que le bât blesse.

Car le monde que raconte Jackson, dans une écriture aussi simple que directe, celui qu'elle perçoit et qui lui paraît pertinent à dire, est un monde de proximité étouffante, de pression à la conformité oppressive (en tout cas pour elle à l’époque, et sûrement pour nous aujourd'hui), de contrôle social permanent.
Un monde de faux-semblants normé par des conventions sociales qui permettent de produire l'image de l'harmonie mais dans lequel la vérité, pas toujours criminelle mais bien souvent peu ragoutante, se dissimule dans l'esprit des individus.

Un monde holiste où le fait social durkheimien est si puissant que le suicide fataliste que le sociologue décrivait en 1897 est parfois l'une des seules issues possibles, quand il n'est pas sublimé dans cette mort sociale qu'est l'exil, la fuite hors de la communauté.

Un monde, qui plus est, où les femmes subissent une régulation sociale supérieure à celle déjà intense que vivent les hommes. L'obligation implicite du mariage, celle de la virginité d'abord puis de l’exemplarité ensuite. A la régulation que tous subissent s'ajoute pour les femmes seulement un niveau élevé de répression sexuelle.

Un monde donc où le mal n'est pas surnaturel (à une exception près dans le recueil) mais vit larvé au cœur de la communauté humaine et des esprits humains, n'attendant que le moment opportun pour se dévoiler et nuire.

Dans le monde de Jackson, l'enfer c'est les autres, tous les autres (et ils sont si nombreux), et plus les autres sont proches (du voisinage jusqu'à la famille), plus ils sont dangereux et nuisibles.

Ce qui précède raconte ce que voulait dire Jackson, encore fallait-il qu'elle arrive à le rendre captivant. Sache, lecteur, qu'elle le fait à merveille. Dans ses nouvelles – souvent à chute – la normalité des situations subit un léger décalage initial qui ne fait que grandir au fil des pages, intrigant puis inquiétant de plus en plus le lecteur, jusqu'à une conclusion terrifiante. En terme de construction d'angoisse, c'est de la dentelle, de la très belle ouvrage. Et s'y ajoutent, cerise sur le gâteau, des techniques de détournement d'attention efficaces utilisées pour surprendre le lecteur.

On lira dans le recueil :

La loterie, texte archi-connu même de ceux qui ne l'ont jamais lu, qui choqua ses premiers lecteurs, et dans lequel on voit le mal dissimulé dans la bonhomie d'une situation sociale banale. Un texte qui dit la force du groupe sur l'individu et préfigure René Girard. Un texte un peu décevant aussi car sa réputation même fait qu'on sent venir la chute de loin.

La possibilité du mal raconte l'histoire d'une vieille dame obsédée par la possibilité du mal, qui impose son obsession à tous ses voisins. Un texte Clouzot-esque. Bon sans être excellent.

A partir de là, tout est brillant, dans des genres différents.

Louisa, je t'en prie, reviens à la maison est un texte d'exil qui dit assez comment l’éloignement change les gens jusqu'à les faire devenir autres, et comment, en matière de relations humaines, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.

Paranoïa prouve à son lecteur que même les paranoïaques ont parfois des ennemis.

La Lune de miel de Mrs Smith est un texte déprimant à souhait qui met en scène une femme heureuse d'avoir atteint son objectif assigné, quoi qu'il lui en coûte.

L'apprenti sorcier réalise ici encore mieux qu'ailleurs la base de toute magie, détourner l'attention du spectateur du lieu véritable de l'action. Joliment fait.

Le bon samaritain oppose la générosité et la solidarité à la noirceur qui gît dans toute âme humaine.

Elle a seulement dit oui montre la réaction uniquement égocentrée d'une « honnête femme » à une tragédie. Misère des conventions et de la façade sociale, qui rappelle le Goffman de « La mise en scène de la vie quotidienne ».

Quelle idée, quand le suicide fataliste n'est pas la voie choisie pour fuir l'enfermement mais qu'une autre, plus créative, vient à l'esprit puis s'impose comme une évidence.

Trésors de famille dit le monde des petits secrets et des petites malveillances.

La Bonne Epouse est une histoire de domination, de manipulation, de corruption intime, d'enfermement dans le couple, encore.

A la maison, la seule avec un élément fantastique – une histoire de dame blanche –, rappelle autant La maison hantée par son thème que Nous avons toujours vécu au château par l'écart et la morgue « bienveillante » qui opposent ex-citadins et ruraux. Quand deux classes partagent le même voisinage.

Les Vacanciers dit aussi l'écart entre ville et campagne et l'incompréhension qui sépare deux groupes humains qui semblaient cohabiter en bonne intelligence.

A noter, une postface passionnante de Myles Hyman qui signe par ailleurs une couverture parfaitement représentative de l'ambiance des textes.

A lire et à faire lire, absolument.

La loterie et autres contes noirs, Shirley Jackson

Commentaires

Vert a dit…
Intéressant, je note ça dans un coin (coin qui commence à être bien rempli mais passons...)
Gromovar a dit…
Oui mais c'est dans le Bon Coin.
Lune a dit…
Je lirai après ma lecture ! (ceci est un test !)
Lune a dit…
Génial, comme prévu. J'ai adoré. Quelle maîtrise en si peu de pages.
Gromovar a dit…
Yep. Du très beau boulot.
Lune a dit…
Je me suis rendue compte que la postface est essentiellement tirée de celle de l'adaptation de La Loterie en BD (quasi du copier coller de paragraphes) en feuilletant celle-ci au boulot tout à l'heure !