Mariana Enriquez - Un lieu ensoleillé pour personnes sombres

Des voix magnétiques, pour la plupart féminines, nous racontent le mal qui rôde partout et les monstres qui surgissent au beau milieu de l’ordinaire. L’une semble tant bien que mal tenir à distance les esprits errant dans son quartier bordé de bidonvilles. L’autre voit son visage s’effacer inexorablement, comme celui de sa mère avant elle. Certaines, qu’on a assassinées, reviennent hanter les lieux et les personnes qui les ont torturées. D’autres, maudites, se métamorphosent en oiseaux. Les légendes urbaines côtoient le folklore local et la superstition dans ces douze nouvelles bouleversantes et brillamment composées, qui, de cauchemars en apparitions, nous surprennent par leur lyrisme nostalgique et leur beauté noire, selon un art savant qui permet à Mariana Enriquez de porter, une fois de plus, l’horreur aux plus hauts niveaux littéraires. Un lieu ensoleillé pour personnes sombres , le dernier recueil de nouvelles de Mariana Enriquez, sort en VF aux Editions du Sous-Sol dans une trad...

De l'autre côté du lac - Xavier Lapeyroux


Lotissement de la Colline. Sans doute à peu près maintenant, sans doute (mais est-ce sûr?) en France, quelque part.
Hermann vit avec sa femme Soma et sa fille Sam dans une belle maison proche d'une forêt et d'un lac. Leurs plus proches voisins sont les Jessen, Erik, sa femme, et leurs deux adolescents jumeaux.
Et voilà qu'un jour, dans ce paisible havre classe moyenne, le drame. En jouant avec une arme à feu, Oscar tue accidentellement son jumeau Pierre.

"De l'autre côté du lac" est un roman weird de Xavier Lapeyroux. On y plonge dans la tête d'Hermann qui s'exprime pour le lecteur à la première personne.

Rompant avec certaines conventions narratives, Lapeyroux balance son déclencheur avant toute exposition. Poursuivant dans une imprécision descriptive volontaire, il met le lecteur dans la situation du rêveur qui assiste au récit mais ne saurait jamais vraiment situer l'espace-temps dans lequel il se déroule. Il y a bien quelques indices géographiques ou musicaux mais guère plus.

Cette impression de flou cotonneux sur le hic et nunc oblige le lecteur à s'accrocher à la seule certitude dont il dispose, l'existence d'Hermann, et ce que lui et lui seul décrit du monde, des autres, des événements.

Que décrit-il donc ?

Mort d'un jumeau, obsèques, rapprochement de Sam et d'Oscar, enlèvements supposés d'enfants du quartier, contacts inédits (et suspects) entre Erik Jessen (le père) et Soma (l'épouse d'Hermann). Voilà pour la vie privée.
Pour la vie pro, Hermann, éducateur en foyer, travaille avec intérêt mais sans excès auprès d'un collègue, Denis, qui respecte bien peu les procédures de l’institution. Les deux s'occupent – tant bien que mal – d'un petit groupe d'adolescents en difficulté. Mais les problèmes personnels d'Hermann vont occuper une part de plus en plus grande de son attention et de son temps.

Quels sont-ils ces problèmes ?

« L'un des jumeaux est mort mais l'autre est toujours là, en vie, comme un fils de rechange. »
C'est par cette phrase que commence le roman. C'est de ces quelques mots que naissent le trouble d'Hermann et la solution qu'il finira par entrevoir à l'issue d'un parcours éprouvant de bascule mentale.

De l'autre côté du lac est un chemin de paranoïa. Sur un terreau sûrement propice (Hermann joue à un jeu schizophrénique avec Sam dans lequel chacun prend la parole pour l'autre), le choc initial d'une mort qui s'invite comme un coup de tonnerre dans un ciel pur lance Hermann sur une trajectoire paranoïaque qui ne cessera de s'aggraver. Hermann, peu à peu, prend peur de tout. Peur de l'orage, des ondes électromagnétiques, de l'hypothétique infidélité de Soma (sa drogue apaisante), d'un enlèvement que subirait sa fille, des faits et gestes d'Erik et d'Oscar, d'Ossip, le frère violent d'une des pensionnaires du foyer où il travaille, d'un molosse qui rode, etc.

Hermann, de page en page, va de plus en plus loin dans une inquiétude qui se nourrit d'elle-même. D'autant que l'homme est impacté plus que de raison par les soucis du quotidien ; « tout l'afflige et lui nuit et conspire à lui nuire ».
Le monde, tant celui qui existe que celui qu'il imagine, lui pèse comme une menace constante dont il doit se protéger.

Et puis il y a cette nouvelle maison qui « apparaît » de l'autre côté du lac, cette maison qui ressemble étrangement à la sienne et où vit une femme seule.
Et Chan, cette nouvelle ado en difficulté placée dans le foyer pour jeunes, qu'Ossip, son frère violent, tente de récupérer manu militari.

Incapable de supporter une tension de plus en plus hégémonique, passionné, obsédé même, par le Blow Out de De Palma dans lequel l'amour ne suffit pas à sauver l'objet aimé, et où la confiance donnée conduit à la mort, ainsi que par cette Invasion des profanateurs dans lequel des doubles étrangers prennent la place de chaque être humain sur Terre, Hermann, contrairement au héros du Bugs de Friedkin que sa paranoïa délirante conduit au suicide et au meurtre, trouve inconsciemment la solution à son problème dans une substitution qui est tout sauf prosaïque.
Lâcher la proie pour l'ombre, pour Hermann le joueur d'échec en solitaire, ce n'est jamais que tourner l’échiquier pour prendre l'autre couleur et passer ainsi du camp perdant au camp gagnant. Quand on n'a pas de jumeau disponible, on peut s'en imaginer.

Intrigant, tendu, nerveux, "De l'autre côté du lac" est un livre prenant, un rêve dérangeant et doux-amer qui éveillera sûrement chez son lecteur des souvenirs ou des angoisses propres.

De l'autre côté du lac, Xavier Lapeyroux

Commentaires