La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

An absolutely remarkable thing - Hank Green


"An absolutely remarkable thing" est le premier roman de Hank Green. C'est une histoire SF, située ici et maintenant, qui démarre à NY sur la célèbre 23rd et y passe un temps non négligeable.

April May est une étudiante en art de 20 ans. Elle vit avec Maya qui est d'abord sa colocataire et accessoirement quelque chose entre une sex friend et une vraie relation. Une nuit, alors qu'elle rentre à son appartement, elle tombe sur une vision incroyable : sur le trottoir devant le Chipotle (chaine de restos mex. NdG) de la 23rd se dresse une sculpture inédite représentant un robot humanoïde de 3 mètres de haut, immobile, silencieux, cryptique. Installation ? Teaser marketing ? Va savoir.

Quoi qu'il en soit, saisie tant par la beauté que par l'étrangeté de la chose, elle appelle son ami et condisciple Andy, un Youtuber, pour qu'il en fasse, peut-être, sa première vidéo virale. Peu à l'aise devant l'objectif, Andy demande à April May d'être le visage et la voix qui présentent le robot ; les quinze minutes de célébrité promises à chacun par Andy Warhol sont peut-être à portée de la jeune femme. Mais, quand il s'avère que le même robot – qu'April May avait prénommé Carl dans sa première vidéo – est apparu, la même nuit, dans plus de cinquante grandes villes du monde, le mystère autour de l'engin s’épaissit et l'intérêt pour celui-ci s’accroît en même temps que la notoriété d'April May, qui devient une star du Net puis des médias. Quand l'hypothèse d'une création humaine ne pourra plus tenir, l'humanité entière devra tenter de s'accorder pour répondre aux questions que posent la présence des Carl et/ou répondre à la menace qu'ils pourraient représenter.

"An absolutely remarkable thing" est une histoire de Premier contact, originale en ceci qu'elle met au centre du récit une très jeune femme qui n'a rien de spécial, aucune relation dans les cercles du pouvoir, qui n'est même pas une scientifique, une nobody. L’extraordinaire événement bouleversera sa vie et la planète entière, mais le focus restera toujours sur April May.

Racontée à la première personne, l'histoire est l'autobiographie d'April May. Le ton est casual, conversationnel, au bon sens du terme. April May est cash et plutôt drôle. Elle écrit comme elle parle, et s'adresse même régulièrement à son lecteur comme s'il était un ami à qui elle ferait des confidences. Elle établit des listes aussi, pour organiser sa pensée et la rendre accessible à son audience. Et, de fait, on peut vite s'enticher d'April May.
D'abord, parce qu'elle est fondamentalement une personne bonne. Ensuite, et c'est là que le roman livre un personnage intéressant, parce qu'elle est aussi affublée d'autant de faiblesses et de mesquineries humaines que quiconque (instabilité relationnelle, impulsivité, ou narcissisme modéré, entre autres) ; mais, à la différence de beaucoup, elle n'hésite pas à les énoncer de manière explicite par souci d'honnêteté. Et ses efforts pour les surmonter, pas toujours couronnés de succès, ainsi que son autodérision constante, la rendent profondément sympathique.

La célébrité et la richesse associée tombent sur une April May qui n'y était pas préparée. Elle en goûte les privilèges et en découvre les travers. Dans De la visibilité, la sociologue Nathalie Heinich montrait que la célébrité moderne consistait à être vu et reconnu. C'est ce qu'expérimente April May. Outre les contrats, l'argent, les agents, le changement important pour elle c'est qu'on la reconnaît dans la rue, qu'on lui demande des selfies, qu'on la laisse accéder librement aux robots, qu'elle passe sur toutes les télés comme « spécialiste », que la Présidente des USA même juge qu'elle doit être vue avec elle.
April May monte consciemment les marches de la célébrité – y compris en travestissant certaines parties de son identité quand nécessaire – et s’enivre de la drogue qu’elle constitue. Une drogue exaltante ; dangereuse aussi. Dangereuse car la descente est si dure qu'on serait prêt à tout pour qu'elle n'arrive pas, dangereuse encore car elle finit par découvrir que si, maintenant, tous la connaissent et la reconnaissent, tous ne l'aiment pas, loin s'en faut. Certains la haïssent, en font une traîtresse à son espèce, une idiote utile de l'invasion alien, une personne à éliminer. Ils le clament, le hurlent, l'écrivent, partout où ils le peuvent.

Et là, le roman bascule sur la description d'une société divisée entre Pour et Contre, Eux et Nous. Cette société, c'est celle des réseaux sociaux et de leur absence total de filtre ou de procédure de validation des « informations » qui engendrent et amplifient fake news et bulles cognitives. Celle de la multiplicité des médias aussi, organisateurs de débats-combats de boxe, et dont la conception de l'objectivité est, comme le dénonçait Godard, « Cinq minutes pour Hitler, cinq minutes pour les Juifs ». Méfiance et hostilité ou confiance et collaboration, c'est le dilemme auquel les Carl confrontent l'humanité. Emportée – sans avoir eu besoin d'être poussée bien fort – par le mouvement, April May sera actrice et victime de cette confrontation (et aucun rapport avec Trump, roman commencé avant, même si un éditeur roué ne manquera pas d'imprimer le bandeau qui va bien).

Ce n'est ni les Chronolithes ni Spin. Ce n'est pas non plus un The Day the Earth Stood Still. Le focus, intimiste, ne quitte jamais la narratrice et son entourage dont on ne sait que ce qu'elle-même raconte. Porté par un grand mystère et un personnage charmant, "An absolutely remarkable thing" est un roman attachant qui surfe plutôt bien sur l'air du temps. A la lecture on pourrait penser, mutatis mutandis, au Journal de Bridget Jones, mais la volonté, l’opiniâtreté, la fragilité, et l'humour, d'April May m'ont surtout rappelé la très émouvante Zhuang Xiao Qiao du Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants de Xiaolu Guo.

"An absolutely remarkable thing" est un page turner SF intimiste doublé d'un roman charmant. Est-il YA ? Je l'ignore. Si oui, c'est alors le bon côté du YA (il y en aurait donc un !) qui s'y manifeste.

An absolutely remarkable thing, Hank Green

Commentaires

Alias a dit…
Intéressant, je me le note sur un coin de wishlist.
Gromovar a dit…
Très sympa bouquin.