Descente - Iain Banks in Bifrost 114

Dans le Bifrost 114 , on trouve un édito dans lequel Olivier Girard – aka THE BOSS – rappelle que, en SF comme ailleurs, un part et un autre arrive. Nécrologies et anniversaires mêlés. Il y rappelle fort justement et pour notre plus grand plaisir que, vainquant le criminel effet de génération, Michael Moorcock et Big Bob Silverberg – les Iguanes de l’Imaginaire – tiennent toujours la rampe. Long live Mike and Bob !! Suivent les rubriques habituelles organisées en actualité et dossier : nouvelles, cahier critique, interview, biographie, analyses, bibliographie exhaustive, philofiction en lieu et place de scientifiction (Roland Lehoucq cédant sa place à Alice Carabédian) . C'est de Iain Banks qu'il est question dans le dossier de ce numéro, on y apprendra que la Culture n’est pas seulement « ce qui reste quand on a tout oublié ». Dans le Bifrost 114 on pourra lire une jolie nouvelle de Iain Banks, intitulée Descente et située dans l’univers de la Culture (il y a des Orbitales)

Summerland - Hannu Rajaniemi - Ectolivre


Le XIXème siècle. L’âge d'or du spiritisme. Une folie spirite qui gagna le monde et séduisit jusqu'aux plus grands esprits (ne parlons sur ce blog que de Conan Doyle par exemple).

Et bien, imaginez un monde dans lequel les délires spirites du XIXème siècle auraient été autre chose que ce charlatanisme à grande échelle que traqua Houdini, pour ne citer que lui, sa vie durant. Imaginez un monde dans lequel les séances dirigées par Eusapia Palladino auraient convaincu le physicien Oliver Lodge, au point de lui faire oublier sa rivalité avec Guglielmi Marconi pour s'associer à ce dernier afin de faire entrer le monde dans « l'Age Etherique ».
Les deux scientifiques, et d'autres, mirent au point les dispositifs techniques qui permettent depuis lors une communication aisée avec le monde des esprits ainsi que les « Tickets » mathématiques qui assurent à leurs détenteurs d'y aller après leur mort dans de bonnes conditions de sûreté. L'idéologie suivant la technique, le courant Dimensioniste devint dominant en Grande Bretagne (le premier ministre actuel est l'un de ses fondateurs), d'autant qu'il fallait s'extraire de l'horreur des tranchées de 14 et que les toutes nouvelles armes ectoplasmiques (ectotanks et ectoflyers, terrifiants car ils se nourrissent des âmes) donnaient à ceux qui les maîtrisaient un avantage décisif sur le terrain.
C'est donc à une pure uchronie, matinée d'un peu d'urban et de steam, que nous convie Hannu 'Quantum Thief' Rajaniemi avec "Summerland", un roman d'espionnage éthérique dont l'action se déroule en 1938.

Ne pas trop en dire ici, car c'est d'espionnage qu'il s'agit, que donc tout le monde ment, et que le lecteur ne doit pas le savoir.

Le monde de 1938 est bien différent du nôtre. De la guerre de 14 sont sorties victorieuses la Grande-Bretagne et l'URSS.
De l'Allemagne, il semble ne pas rester grand chose d'utile. Pas d'Allemagne, pas de nazisme. Quant à la France, elle paraît peu hors-jeu.
L’église catholique a pour pape Pierre Teilhard de Chardin, car ses conceptions de l'homme et du divin collent bien à un monde mortel cohabitant avec celui des esprits, dans lequel Dieu est plus un aboutissement possible qu'un point de départ.
Enfin, une puissante URSS contrôle l'Est, jouant l'influence discrète et s'impliquant directement dans la guerre civile espagnole.

En Grande Bretagne, le monde réel est maintenant constitué de deux « parties ». D'une part, la Grande-Bretagne terrestre, celle que nous pourrions aller visiter, d'autre part, Summerland, la Grande-Bretagne des esprits – à la fois cité polymorphe et forteresse antédiluvienne –, à laquelle on n'accède que si on a un Ticket (distribués sur la nase d'un système méritocratique jamais vraiment décrit mais dont on peut imaginer qu'il fait la part belle à la haute société et aux civil servants méritants). Ce n'est pas un lieu de repos, pas même une société sans classe, on y travaille au service du monde physique, mais, au moins, on a vaincu la mort, et on peut continuer à communiquer avec l'en-haut par ectophone ou ectomail, même le visiter, mais sans pouvoir y agir. Si c'est de l'action qu'on veut, il est possible de posséder temporairement un médium rémunéré afin de pouvoir faire affaire dans le monde physique.

L'existence de Summerland a changé bien des choses dans la société britannique. Certes on peut communiquer avec ses chers défunts, mais ce n’est pas l'essentiel. La reine et sa cour se sont donnés la mort et règnent depuis l'au-delà. Beaucoup de hauts fonctionnaires ont fait de même. Summerland est the place to be.
Car il y a une promesse d'immortalité dans l'au-delà, même si celle-ci est soumise au risque de l'Effacement. En effet, chaque esprit est constitué de luz (son essence) et de vim (sa vigueur). Si le luz semble éternel, le vim s'use progressivement et ceci d’autant plus vite qu'on agit. Il faut donc s'en recharger régulièrement pour ne pas devenir un esprit sans identité ; une telle recharge (non expliquée) n'est pas gratuite, ce qui explique et justifie l'existence d'une économie du monde éthéré.
En sus de l'immortalité, les pouvoirs que donnent le statut d'esprit sont bien supérieurs à ceux d'un humain moyen. L'avantage est donc double.

La conséquence dans l'en-haut de la prééminence de Summerland est que la mort y perd de son sens, que les relations familiales – si délétères soient-elles – ne cessent vraiment jamais, que la médecine est en quasi-standby, et, pour ce qui nous concerne, que les espions du Winter Court ont le sentiment – plutôt justifié – que c'est le Summer Court éthéré qui a la dragée haute dans l'équilibre des pouvoirs.

"Summerland" raconte l'histoire d'un complot mis à jour par Rachel White, une exécutive du Winter Court. Mal mariée à Joe, un homme qu'elle aime et qui l'aime mais qui est rentré de la guerre traumatisé et hanté par les horreurs auxquelles il a été partie, victime de surcroît d'un drame personnel, White doit subir le malheur chaque jour renouvelé d'être une femme dans un monde d'hommes et, pire, une femme dans un service d'hommes. Et voilà que par un acte audacieux elle obtient un renseignement important sur la présence d'une taupe au sein des services. Ce renseignement vital, son supérieur le met en doute, jouant sans vergogne pour ce faire sur les stéréotypes de l'émotivité et de la faible rationalité féminines. Quant White ne veut pas lâcher, elle se retrouve placardisée. Aussi sûre de son fait que rendue folle de rage par l'injustice dont elle est victime, elle se lance alors dans une enquête non autorisée afin de démasquer la taupe et de prouver ainsi ses dires et sa valeur. D'autant qu'au-delà de son honneur à laver, il s'agit d'éviter une guerre entre la Grande-Bretagne et la cocotte-minute qu'est devenue l'Espagne, intrication de franquistes et de Républicains de tous poils, POUM, Communistes, et autres, tous infiltrés et manipulés par le NKVD et les soviétiques dissidents.

Commence alors pour White une aventure trépidante conduite entre l'en-haut en l'en-bas. Une enquête dans laquelle Rajaniemi s'amuse à brouiller les pistes, à multiplier les doutes, et à faire monter la paranoïa tant pour la jeune femme que pour le lecteur.

Rajaniemi, taquin, s'amuse aussi à créer un monde parallèle dans lequel il brouille l'histoire officielle de cette période.
Ainsi Lénine, passé dans l'Afterlife, est devenu La Présence, une entité super-rationnelle dans laquelle vont se perdre les âmes des morts qui subissent la procédure Termin, y perdant toute individualité mais augmentant la puissance de calcul de La Présence.
Pas de Trotsky visible mais un Staline à contre-emploi.
Et puis des références nombreuses, certaines utilisées comme leur contrepartie réelle, d'autres comme fausses pistes. On croise ainsi un Unschlicht, un Otto (Katz ?), les Cinq de Cambridge (dont le célèbre agent-double Kim Philby) – et ici Rajaniemi illustre fort bien le mécanisme par lequel ces cinq agents ne furent pas démasqués ; issus de la haute société, diplômés d'Eton et/ou de Cambridge, membres incontestables du sérail, ils étaient de ceux qu'on ne pouvaient décemment soupçonner. Pointilleux et imaginatif, Rajaniemi charge la barque en doublant dans le roman la consanguinité sociale d'un consanguinité biologique.
Enfin, l'auteur se permet d'envisager une alliance Est-Ouest de raison, semblable à celle qui prévalut contre le nazisme, résolvant en tour de main le Paradoxe de Fermi de l'Afterlife dans une approche de type Forêt sombre et ouvrant peut-être la voie à une ère de paix obligatoire.

C'est amusant, dynamique, joliment référencé, et original. Les personnages sont construits et attachants. "Summerland" est une bonne lecture pour les vacances, ou après (car si vous avez un Ticket, ce dont je ne doute pas, vous avez l'éternité ou presque devant vous, il vous suffira avant le grand saut d'éctophotographier le roman pour en obtenir une version éthérique lisible à Summerland).

L'avis de Feyd Rautha et d'Apophis.

Summerland, Hannu Rajaniemi

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