Le XIXème siècle, un siècle extraordinaire durant lequel le monde se transforma à une vitesse sans précédent. Découvertes scientifiques en cascade, merveilles de l'ingénierie, transformations sociales et politiques, le siècle, traversé par une idée du Progrès humain qui se fracassera sur le naufrage du Titanic et les tranchées de 14, est aussi celui du romantisme.
Amour du moi, foi en l'avancée illimitée de la science, mort de Dieu certaine ou à venir, égyptomanie, le XIXème siècle était prêt pour une montée en puissance scientifique de cet embaumement que les humains pratiquaient sporadiquement depuis l'Antiquité.
Alors que Mary Shelley se demandait s'il était possible de vaincre scientifiquement la mort, et que Bram Stoker rêvait d'une vie éternelle fondée sur le surnaturel, de nombreux scientifiques tentèrent, durant ce siècle de tous les possibles imaginés, de donner à la mort les allures de la vie. C'est cette histoire que raconte le petit opus de Nicolas Delestre intitulé "
Petite histoire de l'embaumement en Europe au XIXè siècle".
En 80 pages, Delestre y passe en revue la folie embaumeuse qui saisit le siècle.
Les quelques premières pages rappellent les pratiques antiques, de l'Amérique du Sud
(quelques milliers d'années avant notre ère) à l'Egypte, en passant par les embaumements réalisés un millier d'années avant JC dans les îles Hébrides ou les rares occurrences concernant l'Empire romain. Au Moyen-Âge, des pratiques existent aussi, dont la fonction est de permettre le retour du cadavre d'un grand homme des terres lointaines où il trouva la mort
(Frédéric Barberousse par exemple). Nécessitant toujours au minimum une éviscération, elles offrent alors aussi la possibilité d'ensevelir en plusieurs lieux distincts les restes épars des grands hommes, un privilège que conservèrent les rois de France en dépit d'une condamnation précoce de la chose par les autorités catholiques.
Profitant des avancées de la science anatomique, le XIXè vit apparaître l'embaumement par injection de solutions ad hoc, une technique qui présentait l'avantage de ne pas nécessiter d'actes aussi invasifs que les éviscérations.
Une course s'engage alors entre médecins fascinés par la possibilité de faire « survivre » le corps mort. Chacun développe sa (ou ses) solution(s) chimique(s) et son procédé de préparation des corps. Chacun revendique le meilleur résultat, c'est à dire la meilleure tenue dans le temps des corps embaumés. De Ruysch aux frères Hunter en passant par les Néerlandais De Graaf ou Swammerdam, tous embaument à bras raccourcis, des pièces anatomiques ou des corps entiers. Tous protègent jalousement leurs secrets de fabrication, car prestige et fortune peuvent en résulter.
D'autres les suivent, avec encore d'autres techniques, jusqu'à la démonstration, en 1834, du « sang artificiel » à base d'arsenic de Giuseppe Tranchina. Simple et peu chère, cette méthode semble pouvoir mettre l'embaumement à la portée du plus grand nombre.
En France, Gannal sent le filon commercial et tente de breveter, en vain, le procédé Tranchina. L'interdiction de l'arsenic et la faible qualité de son procédé personnel condamneront les espoirs de Gannal. C'est le docteur Boissié et sa solution au chlorure de zinc qui occupent dans les années 1840 le haut du pavé français, même si, ironiquement, c'est le livre de Gannal qui popularisera l’embaumement aux USA.
D'autres suivent encore, jusqu'aux méthodes par formol gazeux puis par injection de formol, avec même une tentative commerciale de louer aux particuliers des appareils d'embaumement individuels.
Parallèlement, on tente de « pétrifier » les corps. Segato, Comi, Gorini, ce sont des Italiens qui travailleront sur ces procédés auxquels on ne trouve guère d'utilisation pratique. Marini, un Sarde, développe, lui, une méthode de pétrification réversible qui impressionne même Napoléon III et le rend célèbre dans l'Europe entière. Boitel, un agronome français, s'essaie aussi à la pétrification, sans grand succès – il ne faisait que déshydrater les tissus.
Soucieux de mettre la « vie éternelle » à la portée de tous, le Suisse Mathias Mayor invente l'anthropo-taxidermie, procédé qui consiste à préserver seulement le visage
(et parfois les mains) d'un cadavre, qu'on remplit ensuite ensuite comme le sont les animaux empaillés, et qu'on habille comme demandé par la famille. Cette technique disparaît avec Mayor, même si restent les cas célèbres – et réalisés par d'autres – de «
l'Espagnol de Montbrison » ou de «
El Negro de Banyoles »
(rendu depuis à son pays natal).
Il y eut bien sûr enfin un peu d'anthropoplastie galvanique
(toujours attirant, le galvanisme, à l’époque) avec Variot et sa technique de métallisation électrique des cadavres.
En dépit de certaines réalisations intéressantes, aucun de ces « pionniers » ne dépassa vraiment le stade de la gloire transitoire et aucun n'obtint de position académique sérieuse. Puis, le siècle changea, la mode passa, elle ne revint que dans les années 60 avec la thanatopraxie contemporaine.
Ce n'est pas pour l'écriture ou pour la construction qu'on lit ce petit livre, mais quand, comme moi, on ne connaissait rien de cette histoire, on en sort éclairé et amusé.
Petite histoire de l'embaumement en Europe au XIXè siècle, Nicolas Delestre
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