Mon cœur est une tronçonneuse - Stephen Graham Jones

Jade Daniels est en dernière année de lycée dans la petite ville de Proofrock, Idaho. Demi-indienne par son père (tendance Blackfeet) , mal dans sa peau, JD, qui vit avec ce paternel indien alcoolo qu’elle déteste, est une espèce de punkette locale que tout le monde connaît, et pas en bien. Seul plaisir d’une vie très solitaire, JD adore les films de slashers , qu’elle regarde passionnément et dont elle a une connaissance encyclopédique. Et voilà qu’elle pense repérer des signes identifiant les débuts d’activité d’un de ces tueurs solitaires dans sa ville même. Entre cinéma et réalité, JD va tenter de négocier au mieux cette menace existentielle. Mon cœur est une tronçonneuse est un roman de Stephen Graham Jones. C’est un hommage à un genre cinématographique qu’il adore et auquel il a déjà donné un excellent roman : Un bon indien est un indien mort . Qu’en est-il ici ? Cette chronique de Mon cœur est une tronçonneuse est garantie sans spoiler ni sur le qui, ni sur le pourquoi, ni sur

Cérès et Vesta - Greg Egan - Retour de Bifrost 86


Cérès et Vesta, les deux plus gros astéroïdes de la Ceinture, entre Mars et Jupiter. Vesta est un gros rocher, Cérès une boule de glace. Chacun est riche de ce dont l'autre manque ; chacun doit donc échanger pour pouvoir exister. Différentes géologiquement, les deux entités le sont aussi sur le plan politique. Alors que Cérès abrite une société libérale et tolérante, Vesta, qui l'a aussi longtemps été, a cédé depuis à un populisme revanchard et anti-intellectuel qui martèle comme une évidence l'existence d'une dette fondatrice qu'aurait une partie de la population envers les autres parties. Le trouble agite Vesta, entre tensions « racistes », « terrorisme » à bas bruit, contestation de la discrimination, ou soumission à celle-ci dans l'espoir d'un solde de tout compte. Rien d'étonnant alors si des milliers de réfugiés fuient Vesta pour Cérès, un voyage de plusieurs années, long et dangereux, qui emprunte les mêmes voies de communication que le commerce interastéroïde. Sur Cérès, on accueille bien volontiers ces réfugiés même si on les connaît peu. Le temps et la bonne volonté permettent de donner nom et visage à ceux qui n'avaient qu'un statut.

Mais voilà qu'un jour, Vesta, pour récupérer des ennemis politiques embarqués sur un vaisseau à destination de Cérès, menace de provoquer la mort de tous les réfugiés en transit, bien plus nombreux. Bluff ou pas ? Et si c'est vrai, que faire ? Comment choisir entre les 4000 et les 800 ?

Avec ce texte, finaliste Sturgeon et Hugo 2015, Egan ne peut pas être davantage dans l'actualité. La ressemblance entre la situation décrite au-dessus et celle de notre monde est criante. C'est donc un texte politique que livre Egan, auteur originaire d'un pays qui gère par l'éloignement son problème de réfugiés. Il pourra peut-être ainsi toucher des lecteurs qui ne liraient pas de textes contemporains sur la question et montrer que la SF prend position dans le débat public (même si Egan s'est toujours explicitement démarqué de cette approche).

Egan remet aussi au goût du jour un classique de l'éthique : le dilemme du tramway. Il se formule ainsi : si un tramway n'a que deux choix, continuer sur sa voie et écraser dix hommes, ou dévier pour aller sur une autre voie où ne se trouve qu'un seul homme qui sera donc sacrifié, que doit faire le conducteur ? Expérience de pensée qui est motif à discussions sans fin (et qui revient en force avec les choix en temps réel que devront faire les voitures autonomes), le dilemme a une solution utilitariste simple : mieux vaut tuer un que dix. Il se raffine à l'infini si on suppose des individus de valeurs différentes, la première des questions étant celle de la possibilité d'une évaluation éthique de la valeur individuelle, et met en évidence les apories d'une pensée utilitariste pure. C'est à ce dilemme qu'est confrontée Anna, la directrice du port de Cérès, en raison du chantage exercé par les Vestans. S'y mêle l'incertitude sur la réalité de la menace et les propres sentiments positifs d'Anna à l'endroit des réfugiés vestans. Nul n’aimerait être à sa place ; il faudra pourtant bien décider.

Ce texte riche est, comme toujours chez le brillant Greg Egan, une vraie nourriture pour l'esprit. On pourra néanmoins regretter que les personnages n'aient pas plus de temps pour prendre chair, en dépit de tentatives méritoires de l'auteur pour aller dans ce sens. Il y manque quelques pages.

Cérès et Vesta, Greg Egan

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