La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

The Gone World - Tom Sweterlitsch - Halluciné·ant


1997. Shannon Moss est une agent du NCIS pas tout à fait comme les autres. Elle fait partie du programme top secret Deep Waters, dont la finalité est d'explorer l'espace lointain et les avenirs possibles. Non pas hypothétiquement mais en y envoyant des agents en mission solo ou des vaisseaux entiers en tournée d'exploration.
Ne me demandez pas comment les technologies nécessaires sont devenues accessibles à l'humanité, l'auteur ne l'explique pas. Sachez seulement que, depuis au moins le début des années 80 et grâce aux « Brandt-Lomonaco Quantum-Foam Macro-Field Generators », le plus secret des services secrets US envoie des explorateurs vers des galaxies lointaines ou expédie des enquêteurs dans des avenirs possibles pour en ramener des informations utiles ici et maintenant. En général ça fonctionne. Parfois non.

Enorme problème : les agents en mission dans l'avenir ont détecté une apocalypse finale d'origine inconnue, le Terminus, qui entraîne la fin de toute vie terrestre dans des conditions atroces. L'humanité est confrontée à la perspective d'un anéantissement total, et seuls les membres de Deep Waters le savent.
Plus énorme problème encore : la date de survenue du Terminus ne cesse de se rapprocher du temps présent. D'abord repéré en 2666, il est situé en 2199 lors du prologue qui ouvre le roman. Moss, en mission d'étude sur zone, a manqué y perdre la vie et y a quand même laissé une jambe.

1997 donc. Moss est appelée sur la scène d'un crime particulièrement odieux. Un ex-Navy SEAL, Patrick Mursult, est soupçonné d'avoir massacré sa famille à l'arme blanche. Lui est introuvable, et l’aînée des enfants, Marian, a disparu aussi. La traque est lancée, il faut tenter de retrouver Marian en vie, et parvenir à arrêter Mursult. Mais si la disparition de Marian, enlevée et peut-être assassinée, est compréhensible, l'existence même de Patrick Mursult ne l'est pas car l'homme est porté disparu avec tout l'équipage du vaisseau d'exploration Libra depuis 1985. Enquêtant, Moss découvrira que les deux événements tragiques sont liés et que l'ensemble n'est pas sans rapport avec le Terminus et son approche inexorable. Il lui faudra faire plusieurs allers-retours entre présent et futur proche pour avoir une chance, si minime soit-elle, de résoudre les mystères liés auxquels elle et le monde font face.

Ici et là, on peut lire que ce roman est un mix de NCIS et de X-Files. Non. Pas de Gibbs ici (même si une allusion très bien amenée y est faite), et pour ce qui est de l'aspect science-fictif, on est plus près de Men in Black (l'humour en absolument moins) que de X-Files. En effet ici, les services spéciaux ont accès à des technologies très avancées dont le grand public n'a pas connaissance.

Thriller haletant, "The Gone World" est un roman extrêmement bien construit. Les histoires de voyages dans le temps sont souvent difficiles à crédibiliser. Il est délicat de ne pas tomber dans les différents paradoxes qu'impliquent ces voyages. Je n'ai pu repérer aucun problème de cohérence ici. Au contraire.

Dans "The Gone World", le voyage temporel est au cœur du développement de l'intrigue. Sans lui, pas de roman possible dans sa structure même. Dans Isolation, Egan décrivait un homme qui avait appris à effondrer la fonction d'onde probabiliste à son avantage, ici, Sweterlitsch utilise le concept autrement. Utilisés pour voyager dans le temps, les « Brandt-Lomonaco Quantum-Foam Macro-Field Generators » permettent de « descendre » le long d'une probabilité, d'aller visiter un futur probable puis de revenir dans le présent. Si chaque futur probable est différent, les grandes lignes historiques, amenées par les probabilités les plus fortes, y sont les mêmes. Il est donc possible d'aller quelques années dans le futur chercher des indices, des informations non disponibles aujourd’hui mais qui le deviendront, puis de revenir dans le présent pour accélérer ou débloquer des enquêtes. Dit comme ça, "The Gone World" peut sembler n'être qu'un police procedural un peu original (ou paresseux). Erreur grave. Car chaque aller-retour (long et compliqué, je rassure d’éventuels lecteurs contre la crainte d'un Deus ex Machina facile) modifie la situation présente et modifie donc en retour les futurs probables lors des voyages suivants. A nouvelle réalité, nouveaux développements. Régulièrement on comprend à la lecture qu'un fait ou une phrase échangée à un moment t explique un événement déjà connu ou prépare une situation nouvelle. C'est impressionnant de cohérence.

Si le moteur du récit est le voyage temporel, le pilote involontaire en est Shannon Moss. Elle est au centre de l'histoire non seulement parce qu'elle en est le personnage principal mais aussi et surtout parce qu'elle met et garde en mouvement l'intrigue par son existence même. Les coïncidences qui parsèment le roman n'en sont pas, elles trouveront toutes leur explication au fil des pages, à un point même qu'elle n'aurait jamais imaginé.
Très développée, dotée d'une vraie profondeur, Shannon est un personnage qui sacrifie sa vie (au sens biographique du terme) à sa mission. Courage et détermination sans faille la caractérisent, même lorsqu'il faudra abandonner tout espoir de survie pour espérer sauver ce qui peut l'être de l'avenir humain.

Car l'avenir est sombre, définitivement sombre. Mêlant habilement éléments historiques et « spéculations crédibles »,  Sweterlitsch crée des futurs possibles terrifiants qu'il dépeint avec une noirceur qui ne déparerait pas chez Thomas Ligotti. Invoquant le Christ mort d'Holbein ou le Naglfar nordique, il met en scène une conspiration diabolique qui s'avère plus complexe dans ses motivations qu'il n'y paraît au premier abord. Il emmêle volontairement tous les fils de l'intrigue avant de les dénouer un par un pour le lecteur. Il conclut superbement en restant dans le droit fil de son développement.

Je voudrais en dire plus mais je risquerais de spoiler. Et je crois vraiment qu'il faut ici se laisser porter par une histoire qui pousse à tourner les pages à vitesse grand V pour en découvrir soi-même toutes les finesses et voir à quel point le tout est bien ficelé.

Juste, pour le plaisir, un extrait du début, non loin du Terminus : « She screamed when she saw the crucified woman. The woman had been crucified upside down, but there was no cross; she was suspended midair, hovering above the black water. Fire burned at her wrists, her ankles. The woman’s rib cage was stretched, protruding, her body diminished, thinned to the point of starvation; her legs were striated black with gangrene. Her face was livid, purple, a pooling of blood, and her hair, pale blond, dangled low enough to touch the surface of the water. She recognized herself as the crucified woman and she fell to her knees on the shore of the black river. »

The Gone World, Tom Sweterlitsch

 A noter que le roman devrait être adapté au cinéma.

Commentaires

Anonyme a dit…
Tiberix : C’est du très bon. Tout ce qui fait que je n’avais pas accroché à Annihilation est là superbement évité.
Gromovar a dit…
Excellent en effet.
Gilles Dumay a dit…
Les éditions Albin Michel ont acquis les droits pour leur département éditorial Albin Michel Imaginaire de The Gone World de Tom Sweterlitsch.
Zentak a dit…
Merci pour cette recommandation.

Je viens de finir le livre, dévoré très vite.

C'est sombre, très sombre, mais encore plus impressionant de virtuosité dans l'intrigue.
Des indices pour lesquels je m'attendais à avoir des révélations n'en étaient finalement pas, aucun personnage n'est caricatural (cf Hyldebrugger ou je ne sais plus quoi, et le reste de son équipe), on est mené d'un bout à l'autre dans une progression maîtrisée parfaitement, l'auteur ne se permet aucune facilité...

Bref, à lire sans hésitation.

Merci encore.

Lucas D.
Gromovar a dit…
Content que ça t'ai plu.
Et merci pour ce retour :)
Gurzeh a dit…
Je commence
Gromovar a dit…
C'est un grand voyage que tu entames.