Le Monde et vice versa - James Morrow

James Morrow est un auteur américain de romans aussi caustiques qu'irrévérencieux . Après son drolatique Lazare attend , il revient, encore Au Diable Vauvert, avec Le monde et vice versa , traduit par Sara Doke. Ici et maintenant, sans doute. La planète qu'habite Eamon Keen est la nôtre, avec ses inégalités et son réchauffement climatique. Eamon fut longtemps porte-plume pour des politiques de tous bords. Un exemple de ses œuvres : « il travailla à rendre le jeune sénateur d'Ohio, un républicain intelligent et cultivé nommé Dudley Prong, suffisamment rustre et bibliophobe pour être réélu à une large majorité » . Finalement, dégoûté de n'être qu'un mercenaire sans idéologie comme son père avant lui, Keen lâcha tout. Il tente depuis d'écrire un roman de fantasy épistémologique (de la fantasy qui se la pète, comme on en voit hélas tant) et à son grand dépit n'arrive à convaincre aucun éditeur de publier un texte sans doute aussi chiant que pompeux. Un soir de ...

A head full of ghosts - Paul Tremblay - Indigeste


"A head full of ghosts" est un roman d’horreur récent de Paul Tremblay. Stephen King en dit : « Scared the living hell out of me, and I'm pretty hard to scare ». Ben, il ne lui en faut pas beaucoup !

De quoi s’agit-il ?
Les Barrett sont une petite famille américaine, de cette shrinking middle class que la mondialisation et le capitalisme financiarisé ont laminé. John, le père, a perdu son emploi et n’en retrouve pas, alors que les mensualités de la maison continuent de courir. Le salaire de Sarah, la mère de famille, ne suffit pas à payer le crédit et à faire vivre le couple et ses deux filles, Marjorie 14 ans et Merry 8 ans. L’ordinaire est maigre, l’avenir incertain. Jusque là, rien qui puisse intéresser l’auteur de Carrie ; mais voilà que Marjorie est possédée par un démon.

"A head full of ghosts" est un roman dans lequel Merry raconte, quinze ans après, l’histoire de ces moments à Rachel, une écrivaine qui veut en tirer un livre. Une histoire qui avait déjà été racontée, presque en direct, dans un show télévisé auquel avait participé la famille Barrett, un show qui culmina dans l’exorcisme de la jeune fille.
"A head full of ghosts" est donc un livre sur l’écriture d’un livre sur une affaire qui a eu lieu et qui avait été télévisée dans un mélange de reconstitutions avec acteurs et de séquences confessionnal. On y lit le récit que Merry fait à Rachel, récit des faits réels autant que de l’intrusion au long cours d’une équipe de production dans la maison des Barrett, entrecoupé de notes de blog (dont l’auteur n’est autre que Merry sous pseudo) qui déconstruisent ex-post la présentation que la télévision a fait des évènements. Le lecteur accède donc aux faits privés, à la fabrication de la reconstitution publique, et à la critique argumentée de la crédibilité de la reconstitution publique.

Que croire ? C’est la question du roman.
Marjorie est-elle vraiment possédée ? Souffre-t-elle d’une maladie mentale ? Veut-elle juste emmerder ses parents ?
John Barrett est-il le seul à comprendre ce qui arrive ou est-il un homme en déshérence cherchant une explication à un monde qu’il ne comprend plus ? Prend-il le pouvoir dans sa famille ou est-il une victime brinquebalée par les évènements ?
Dans quelle mesure la famille est-elle manipulée ? Par l’équipe de télévision ? Par le prêtre de John ?
Dans quelle mesure est-ce la famille qui instrumentalise la situation ?
Qu’est ce qui est vrai de ce dont Merry se souvient ? Et de ce qu’ont vu les téléspectateurs ?

Avec ces thèmes et un peu de travail sur la fabrication de l’angoisse, "A head full of ghosts" aurait dû être un bon roman. Et, de fait, il commence bien. Les face-à-face entre une Marjorie inquiétante et une Merry effrayée mais compatissante sont vraiment stressants car on craint de voir jusqu’où Marjorie pourrait nuire à la vulnérable Merry, physiquement ou psychologiquement. La tension monte progressivement, parallèlement avec la volonté de démêler le vrai du faux.

Hélas, le projet finit par échouer, pour plusieurs raisons.

D’abord, dans sa volonté de rester dans un entre-deux explicatif, Tremblay balance tout arithmétiquement comme le font les débats télévisés. Il y a le père qui croit au diable et la mère qui n’y croit pas, le psychiatre rationnel et celui qui a la foi, la petite Merry qui croit puis ne croit plus puis ne sait plus que croire, le tout sous le regard « neutre » de la télévision. C’est trop net, ça fait trop construit.

De plus, et là on comprend que King (s’il a lu le roman en entier ce qui est difficile à croire au vu de son praise) ait aimé, le roman est affublé d’un gros ventre mou central qui se perd dans ce genre de détails dont raffole le maitre de l’épouvante et qui encalminent le récit. On commence à s’ennuyer un peu, puis un peu plus, jusqu’à s’ennuyer ferme. Comme chez King, si tous ces détails écrits étaient effacés par un passage à l’image dans le cadre d’une adaptation cinéma, le récit serait sans doute intéressant. A lire, il est pénible.

Ensuite, la déconstruction bloguesque de la reconstruction télé est trop longue, farcie de name dropping à un niveau rare dans son passage en revue de tout ce que les récits de possession ont apporté à la pop culture (à tel point qu’ici je ne citerai pas, pour reposer mon esprit), et, de fait, ennuyeuse. Mais son défaut majeur est que la critique du récit au sein même du récit, autrement dit par celui-là même qui a écrit le récit, est un procédé atrocement artificiel. Quand Houdini (name dropping, désolé) démontait les trucages spirites, lui et le truqueur étaient deux personnes distinctes. Ici, Tremblay raconte par la bouche d’un personnage ce qu’aurait vu le lecteur, puis fait expliquer par le même personnage plus vieux que ce qu’ont vu les téléspectateurs, et que le lecteur n’a pas vu, a été « truqué » par l’usage notamment de cadrages que le lecteur, par définition, n’a pas vu. Or, dans tous les cas, c’est Tremblay qui raconte. Je ne suis pas de ce qui croient que les personnages vivent leur vie ; ça fait truc, illusionnisme facile.

Enfin, passé le premier tiers en gros, le livre n’est plus inquiétant, ce qui est problématique pour un livre vendu comme Horror. Trop peu de twists, trop de chemins de traverses et de descriptions au long cours, trop de narration par une femme de 23 ans qui s’exprime comme une petite fille de 8 ans. L’horreur en littérature ne peut pas venir de ce qui est raconté mais de la manière dont ça l’est. Ici, la manière n’y est pas. Même le twist final ne sauve pas le roman car il arrive trop tôt après l’information qu’il remet en cause qui, elle, arrive donc trop tard. Sans compter un moment féministe qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe. Mais j’arrête là et n’en jette plus.

Dans "A head full of ghosts" il y a beaucoup de bonnes idées, peut-être trop. C’est la réalisation qui pêche. Parfois on peut avoir les bons ingrédients et se tromper dans le dosage ou la cuisson.

A head full of ghosts, Paul Tremblay

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