L'Enfance du monde - Michel Nieva

Je suis surchargé de travail, lecteur. Résultat : des lectures et des chroniques en retard et peu de temps pour rattraper. Alors chroniques courtes, faisons ce qu'on peut dans le temps qu'on a ; as Chaucer said, time and tide wait for no man. Fin du 23ème siècle, sud de l'Argentine entre autres. Suis-moi, lecteur, nous allons rencontrer l'enfant dengue ! L'Enfance du monde est le premier roman de Michel Nieva. C'est une fable, un conte dystopique d'effondrement lent, d’effondrement en cours. C'est l'histoire de l'enfant dengue, un hybride enfant-moustique né d'on ne sait quel étrange miracle. L'enfant dengue, de père inconnu, vit avec sa mère, une femme de ménage pauvre du sud de l'Argentine, dans cette Patagonie que la montée du niveau des mers a radicalement transformé – comme le reste de la Terre. D'immenses zones – dont la capitale Buenos Aires et sa région entière – ont été inondées et perdues pour toute vie terrestre, le...

Fledgling - Novice - Octavia Butler - Pour eux ce sera très dur


"Fledgling" - Novice en VF - est un roman de vampire d’Octavia Butler, publié en 2005, son dernier. C’est un roman étrangement construit - même s’il a de nombreuses qualités - qui a des points communs avec la novella Bloodchild, Nebula best novelette 1984 et Hugo best novelette 1985, ce qui prouve que la dame a de la suite dans les idées.

"Fledgling", c’est l’histoire de Shori, une jeune vampire de 53 ans seulement, dont la famille a été exterminée par un groupe inconnu lors d’un assaut qui l’a laissée pour morte, très gravement blessée et complètement amnésique. C’est l’histoire de sa construction d’une vie nouvelle, de sa recherche des responsables, de sa réappropriation de son histoire personnelle et raciale.
C’est, dans la première moitié du texte, un récit d’action très efficace, un vrai page turner (l’urgence des premières pages est littéralement palpable).
C’est, dans la seconde moitié, un récit plus lent, moins dynamique, entre explications - destinées tant à Shori qu’au lecteur - et scènes de procès light.

"Fledgling", c’est aussi une réinvention - parmi d’autres - du mythe du vampire. Les Ina, l’espèce à laquelle appartient Shori - dont elle retrouve peu à peu les autres membres, amis ou ennemis - est aussi ancienne que l’espèce humaine, et ils ne sont en rien magiques. Ils vivent en familles élargies, en communautés concrètes, dans la discrétion. Ils sont organisés comme une camarilla. Ils survivent en buvant du sang mais sans tuer, en « puisant » dans les veines de symbiotes humains avec qui ils cohabitent.
La morsure du vampire ici est à la fois moyen de contrôle et source de plaisir intense. La relation vampire/symbiote est une servitude volontaire qui rappelle aussi ce qu’Aristote écrivait sur l’esclavage. Servitude car, une fois engagée, la relation est si addictive qu’un retour en arrière n’est plus possible et que c’est le vampire qui y domine. Volontaire car, globalement, la relation n’est initiée qu’après avoir été proposée au symbiote et acceptée par celui-ci. Pour ce qui est d’Aristote, la codépendance vampire/symbiote matinée de bienveillance, même si elle est ici non pas naturelle mais élective, engendre une situation qui ne peut qu’évoquer ces lignes du livre I de La Politique : « L'intérêt de la partie est celui du tout; l'intérêt du corps est celui de l'âme; l'esclave est une partie du maître; c'est comme une partie de son corps, vivante, bien que séparée. Aussi entre le maître et l'esclave, quand c'est la nature qui les a faits tous les deux, il existe un intérêt commun, une bienveillance réciproque; ». C’est une symbiose acceptée que Butler décrit, mais une symbiose inégalitaire dans laquelle les deux parties n’ont pas le même degré de liberté, justifiée par les différences de capacité physique entre les deux espèces.

Si "Fledgling" a une qualité, c’est sa capacité à retourner les stigmates et les hiérarchies socialement établies. Shori est une vampire de 53 ans mais elle a - particularité morphologique de son espèce - l’apparence d’une enfant de 10 ans. Pour les siens, elle est jeune, trop par exemple pour prendre des conjoints. Pour les humains, elle est une petite fille. Sa peau est noire car elle est le produit d’une expérimentation génétique familiale visant à la rendre moins sensible à la lumière du soleil en mêlant ses gènes vampiriques à ceux d’une humaine noire. Pour la même raison, Shori est plus petite que les vampires du même âge, semblant donc fragile, amoindrie diraient les plus conservateurs des représentants de son espèce.
Orpheline, petite, noire, Shori rappelle la blague de Coluche sur les hommes petits, noirs, et moches pour qui ce sera très difficile. Cerise sur le gâteau, c’est une femme.

Et ici, les déterminismes commencent à se retourner.
La société vampirique est matriarcale. Les femelles y sont plus puissantes, leur venin salivaire est plus fort. Shori appartient de facto au sexe dominant.
D’autre part, elle est noire, dominée donc aux USA (et ailleurs), mais cette couleur de peau lui donne une supériorité sur les autres vampires car elle peut être active en journée. Certains la méprisent pour cela, d’autant que cette couleur de peau inédite résulte d’un métissage et font donc d’elle - qui fut pourtant créée pour être plus qu’un vampire - moins qu’un vrai vampire pour ses adversaires.
Enfin, elle est jeune, et handicapée par son amnésie totale.
Et pourtant elle est forte, brillante, et parviendra à ses fins contre l’opposition organisée de ses ennemis.

Le message de Butler est sans doute là, dans cette possibilité de dépasser les évidences et les préjugés après avoir revisité sa propre histoire, même si l’existence du mutualisme déséquilibré vampire/symbiote le rend ambigu.

Butler a aussi, c'est peut-être annexe, l’estomac de décrire une société sexuellement libre, polysexuelle ou polyamoureuse avant que ces termes ne soient devenus grand public. Elle n’hésite d’ailleurs pas à donner une sexualité active à Shori, qui en dépit de ses 53 ans en parait 10.

Au rang des bémols.

D’abord le défaut de toute histoire d’urban fantasy (si on considère comme moi que tout récit de communauté vampirique large est intrinsèquement de l’urban), à savoir des moments qui paraissent un peu too much, quelques situations dans lesquelles on se dit que les humains standards sont bien naïfs ou aveugles ou que le déséquilibre de puissance entre les espèces est trop grand pour être viable.

Ensuite, l’impression que Butler n’a pas vraiment choisi entre deux approches, entre la première moitié du livre et la seconde, ce qui peut déconcerter et rend le récit un peu bancal.

Enfin, la partie « procès », basée sur les déterminations de vérité presque automatiques permises par les sens exacerbés des vampires, manque singulièrement de ce qui fait le charme de ce genre, à savoir la confrontation des preuves et des arguments.

Néanmoins le roman est agréable à lire. Il est original. Il introduit un personnage pas si courant de femme noire vampire. Il pose un point anti-préjugé de manière ludique, et c’était peut-être seulement ce à quoi visait Butler.

Fledgling, Novice VO, Octavia Butler

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