La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

V pour Vendetta - Moore entre son cauchemar et son rêve


Sur FB, ce matin, j’ai qualifié de trois mots ce que m’avait inspiré ma relecture récente de "V for Vendetta" : Puéril – Pompeux – Petit-bourgeois. C’est très court, je l’admets. Trop sans doute. A fortiori concernant une œuvre que beaucoup considèrent comme culte. Développons donc un peu.
Note liminaire : J’ai écrit un mémoire d’IEP sur la régulation sexuelle dans les totalitarismes utopiques. J’ai écrit un mémoire de DEA sur les Mouvements de soutien aux sans-papiers. J’ai même porté un badge Anarchie épinglé au revers de mon Perfecto, et j’écris cette chronique en écoutant Anarchy in the UK ;)
Soyez donc sûrs que le message d’Alan Moore ne m’est pas, à priori, antipathique. Mais il y a ce qu’on dit, et il y a comment on le dit.

1997. L’Angleterre vit depuis 5 ans sous le joug d’une dictature fasciste venue au pouvoir au milieu des soubresauts d’une guerre nucléaire. Le régime, autoritaire plus que totalitaire imho, a instauré une société de surveillance dans laquelle les citoyens (le mot est-il encore le bon ?) vivent tous sous le regard permanent des caméras de surveillance, sont écoutés jusqu’à leur domicile, sont abreuvés de propagande par ce qui fut un jour la BBC, et subissent au quotidien le joug d’une police brutale qui doit plus à la SA qu’à ce que fut Scotland Yard. Dans ce bien triste fantôme du pays qui inventa l’Habeas Corpus, apparaît un terroriste, un révolutionnaire, un espoir peut-être. L'homme masqué signe V, assassine méthodiquement les caciques du régime, détruit par l’explosion d’emblématiques bâtiments publics, reste insaisissable en dépit d'une intense chasse à l'homme. Qui est-il ? Que veut-il ? Quid de la jeune fille qu’il a enlevé pour la mettre à l’abri de la violence policière ? Et surtout, vaincra-t-il le régime ?
Voilà pour le fond. Les détails vous les connaissez sûrement, sinon allez lire la dithyrambique critique de Nicolas Winter qui en explique long, notamment sur la construction, en actes et mouvements, de l’œuvre.

A priori que du bon donc, pour l’amateur de dystopie. Alors pourquoi Puéril – Pompeux – Petit-bourgeois ?

Commençons par le plus facile. Petit-bourgeois à cause des différentes mini affaires sexuelles qui parsèment le récit. Les turpitudes cachées des puissants sont un gimmick tellement convenu, tellement commun, dans l’imaginaire populaire, qu’il est navrant d’user de tels artifices quand on a le talent d’Alan Moore. La domination par le sexe existe bien, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans V, juste des turpitudes de ceux qui détiennent du pouvoir. Et dans le seul cas où la domination sexuelle est une force motrice du récit, c’est dans le cadre vaudevillesque d’une sexualité de couple contrariée qu’elle s’exprime.

Pompeux et Puéril, les deux vont ensemble, dans l’ordre qu’on veut. Que nous dit Alan (V) Moore ? Que nous dit ce jeune homme révolté des années Thatcher ? Que peut-il dire à quelqu’un qui se souvient avoir acheté une de ces cartes, qu’on vendait à Londres dans ces années-là, sur lesquelles était écrit que le porteur refusait absolument de recevoir la visite de Margaret Thatcher en cas d’accident de train, d’avion, ou autre ? Que nous transmet-il, le grand Alan Moore ?

Il est intéressant à titre historique quand il nous parle des années Thatcher. De la peur du SIDA et des solutions extrêmes envisagées par certains à l’époque. De la grève de la propreté menée par l’IRA avant que ne soient laissés à mourir de faim Bobby Sands et ses compagnons de lutte.

Il nous instruit sur ses névroses quand il vit ces années comme les prémisses d’un fascisme qui vient (et qui n’est jamais venu).

Mais sur l’invention dystopique, sur les caractéristiques de la dégradation d’une Angleterre soumise au désastre, rien d’innovant. Que des choses que nous savions déjà. Déjà dites, souvent mieux, par d’autres. Jamais originales.
Une démocratie peut facilement basculer dans le fascisme en cas de crise. L’Histoire l’a prouvé. V le montre d'ailleurs lui-même à ses concitoyens.
Le malheur a besoin de boucs émissaires. On peut aller lire Girard ou se remémorer les grands totalitarismes du siècle.
Des hommes ordinaires peuvent sans difficulté devenir des bourreaux. Arendt l’a dit, Adorno a tenté de le quantifier, Milgram l’a démontré.
La plupart des hommes sont prêt à sacrifier leur liberté à leur sécurité. Faisons simple. Hobbes.
On ne tue pas une idée. Elle est indépendante de son porteur contingent. Les Etats confrontés à des guerres de décolonisation l’ont tous appris à leurs dépens. Spike Lee le montre à la fin de Malcolm X lors de la scène de la classe.
Il faut détruire avant de pouvoir créer. C’est littéralement ce que disent les Sex Pistols de l’anarchie, ou Schumpeter du capitalisme.
Voilà pour l’état des lieux. Mais après tout, ces ingrédients pourraient être bien cuisinés et donner une œuvre réussie.

Hélas, Moore a un projet, un message, dont il est si sûr qu’il l’exprime d’une manière atrocement pompeuse, aveugle qu’il est à son didactisme, à son lyrisme grandiloquent, à ses limites.

Au cœur du projet de V/Moore, exprimé dans sa harangue au peuple anglais, il s’agit d’exhorter le peuple à reprendre en main sa destinée. C’est un cri, un appel à la (re)prise du pouvoir politique par un peuple qui en a été dépossédé. J’eus un âge où je trouvais ça romantique. Et ces envies prennent force aujourd’hui dans le monde, d’où l’appropriation du masque de V par les Anonymous.

Vœu pieux. Et certainement puéril. Comme si on demandait aux guerres de cesser, au cancer de disparaitre, à l’amitié de régner.
C’est sans compter sur la loi d’airain de l’oligarchie, partout et toujours, même chez ceux qui précisément luttèrent contre elle et ne firent rien d’autre qu’en remplacer une par une autre.
C’est vouloir croire avec Rousseau ( « Sitôt que le service public cesse d’être la principale affaire des citoyens, et qu’ils aiment mieux servir de leur bourse que de leur personne, l’État est déjà près de sa ruine… Dans un État vraiment libre les citoyens font tout avec leurs bras et rien avec de l’argent. Loin de payer pour s’exempter de leurs devoirs, ils paieraient pour les remplir eux-mêmes. Je suis bien loin des idées communes; je crois les corvées moins contraires à la liberté que les taxes. Mieux l’État est constitué, plus les affaires publiques l’emportent sur les privées dans l’esprit des citoyens. Il y a même beaucoup moins d’affaires privées, parce que la somme du bonheur commun fournissant une portion plus considérable à celui de chaque individu, il lui en reste moins à chercher dans les soins particuliers. Dans une cité bien conduite chacun vole aux assemblées…L’idée des représentants est moderne: elle nous vient du gouvernement féodal, de cet inique et absurde gouvernement dans lequel l’espèce humaine est dégradée, et où le nom d’homme est en déshonneur. Dans les anciennes républiques et même dans les monarchies, jamais le peuple n’eut de représentants; on ne connaissait pas ce mot-là. ») que les citoyens concrets sont des genres de monomaniaques obsédés par l’implication dans les affaires publiques, et qu’il suffit de leur rendre la parole pour qu’ils la prennent, tous, en masse, avec enthousiasme et créativité. Mais les citoyens concrets, ceux que je côtoie en tout cas, ne sont pas passionnés par les affaires publiques. Certains s’y intéressent, certes, comme d’autres à la pèche à la mouche ou au badminton. Mais dans ces conditions, avec seulement un petit nombre de citoyens rousseauistes, impossible de sortir de la représentation, qu’elle soit régulée comme dans les démocraties modernes (qui, je l’admets, auraient besoin d’instances de contrôle bien plus efficaces) ou arbitraire comme dans les dictatures, fussent-elles populaires.

Le rêve de V est, hélas sans doute, une chimère. Et V l’énonce de la manière la plus pompeuse qui soit, soliloquant et déclamant sur un ton qui oscille entre celui du slogan politique et celui, compassé, de ces phrases de pseudo sagesse orientale qu’on peut lire dans les livres de développement personnel pour occidentaux stressés. Demandant l’impossible, il affaiblit son message, d’autant que le ton sur lequel il le fait n’aide guère à lui accorder crédit. Quoique veuille V, Rousseau lui même lui répond par delà les siècles : « S'il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes ». Il semble que l'homme masqué ne soit pas allé jusqu'à cette page.

V pour Vendetta, Moore, Lloyd

Commentaires

Vert a dit…
Ca me console de lire ton article, j'ai lu ce comic y'a quelques années et j'ai vraiment eu du mal à rentrer dedans (en fait au risque d'être brûlée en place publique je lui préfère même l'adaptation en film xD).
Gromovar a dit…
Content d'avoir fait au moins une heureuse :)