La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Les Anglais parlent aux Anglais


Londres, 1952. La Grande Bretagne est en paix depuis plus de dix ans avec le Troisième Reich. La débâcle de Dunkerque et la perte des zones scandinaves en 1940 ont amené le gouvernement britannique, conduit par Lord Halifax, à signer une paix séparée avec l’Allemagne nazie afin de protéger sa sécurité et son empire. Churchill, d’abord associé au pouvoir, en a été progressivement écarté au profit d’une alliance entre conservateurs durs et fascistes explicites. Après quelques années de faux semblants, les dernières élections générales, en 1950, ont balayé toute illusion sur le caractère légitime, voire seulement légal, d’un gouvernement, dirigé maintenant par le populiste Beaverbrook, à la politique de plus en plus collaborationniste, brutale, et antisémite.
Quand à Churchill, « Le Dernier Lion », plus ancien des combattants anti nazi dans la caste gouvernementale anglaise et adversaire acharné de la politique d’apaisement de Chamberlain, il a fini par entrer dans la clandestinité d’où il dirige la résistance intérieure.

Quand un savant américain en visite privée laisse échapper un considérable secret militaire dans les oreilles bien fragiles de son frère Frank, celui-ci et l’information qu’il détient deviennent l’enjeu d’une course de vitesse dans laquelle s’affrontent Chemises Noires anglaises, Gestapo, et Résistance britannique.

"Dominion" est une uchronie de C. J Sansom. Le point de divergence est la nomination au poste de Premier Ministre du réticent Lord Halifax au lieu de combatif Churchill, le 9 mai 1940, après que Chamberlain eut démissionné. Pas de « Dernier Lion » pour diriger la Grande Bretagne donc, pas de discours promettant des sangs et des larmes ni de lutte à mort contre l’Allemagne nazie, pas de « We shall never surrender ». De l’absence de Churchill aux manettes découle une paix séparée, proche de celle que signe la France, l’occupation militaire en moins. Moins impliqués émotionnellement du fait de l’inexistence de la Bataille d’Angleterre, les USA gardent une position isolationniste, et l’Allemagne, débarrassée du front de l’Ouest poursuit depuis plus de 10 ans sa guerre à l’Est, dans une Russie dont la résistance est toujours aussi vive en dépit de la chute du régime soviétique, et qui noie, vague après vague, les troupes allemandes dans l’immensité de son territoire. Alors qu’Hitler est vieux et malade, la question de la poursuite de la guerre à l’Est se pose, et les vues de l’armée diffèrent fondamentalement de celle des SS sur cette question ; une lutte à mort pour le contrôle du régime entre militaires et paramilitaires nazis semble inévitable quand le Führer mourra.
Et tous, Etats comme factions, veulent la bombe atomique.

J’apprécie beaucoup les uchronies, et je garde un excellent souvenir du Fatherland de Robert Harris. J’aime aussi beaucoup les policiers historiques de C.J. Sansom. "Dominion" avait donc tout pour me plaire, à priori.

Ce roman a trois qualités. D’une part, il est très bien documenté, la qualité de la reconstitution historique est y donc grande, notamment en ce qui concerne les arcanes de la politique britannique. D’autre part, il présente une vision « réaliste » de la Résistance. Loin d’être monolithique, l’organisation secrète est composée d’hommes et de femmes aux passés politiques, aux motivations, et aux statuts sociaux très divers, infiltrant toute la société britannique, au péril de leur vie, pour rendre sa liberté au royaume ; c'est d'ailleurs vrai aussi de l’autre camp, entre idéalistes et opportunistes. Enfin, Sansom décrit, de manière « réaliste » encore, l’attitude d’une population britannique qui se partage entre quelques collaborateurs, quelques résistants, et une majorité qui ne fait que continuer sa vie sous un nouveau régime et tente de survivre aux duretés du temps.
Ajoutons que l’utilisation du Grand Smog de Londres était plutôt judicieuse même si elle donne lieu à une coïncidence salvatrice difficilement crédible.

Mais il, a malheureusement, de trop nombreux défauts pour être satisfaisant.

Je peux commencer, connard élitiste oblige, en disant qu’il est trop évidemment grand public. La grande et désespérée histoire d’amour de guerre, plus l’amour finissant, plus l’amour platonique, il y dans ce roman une triple dose de cet amour que le grand public associe inévitablement aux romans historiques (les tourments de la passion dans les tourments de l’Histoire) et qui le motive à les lire. Il y a aussi de petits secrets biographiques qui ne servent pas le récit mais font frétiller la ménagère. Il y a encore une violence largement hors-champ qui ne correspond guère aux pratiques du temps, notamment dans les caves de la Gestapo. Il y a enfin un père séparé de son fils par un divorce, un enfant mort, etc. Et des « people » (Elizabeth II, Churchill) qui font des apparitions inutiles, en guest stars. Et puis, évidemment, un happy end, à la fois de l’histoire du roman et de la situation européenne, même si les deux ne sont pas liés ; il fallait simplement que tout finisse par s’arranger. Tout ceci sent tellement la grosse ficelle que ça en est déprimant. Et je passe sur les rebondissements heureux, pour ne pas trop spoiler.
Je suis étonné qu'XO (Lire pour le plaisir ^_^) ne soit pas l'éditeur.

Si ce n’était que ça, le roman pourrait au moins plaire à ce grand public qu’il cible ouvertement. Mais il est aussi beaucoup trop long. Emporté par sa reconstitution, Sansom décrit trop pour une période récente. Au bout d’un moment je ne lisais plus les innombrables descriptions de jardinets, de commodes, ou de boutonnière. Ce qui fait sens dans un historique médiéval est excessif ici. Si on y ajoute les flashbacks biographiques dont tous ne servent pas le récit, et les très énervantes scènes dans lesquelles un autre point de vue, de peu d'utilité narrative, est donné sur un évènement dont l’issue est déjà connue, on obtient un roman trop lourd dont la lecture, pourtant rapide et facile, finit par donner l'envie de courir prendre un citrate de bétaïne.

Enfin, et c’est le défaut capital et insurmontable du roman, tant la transmission du secret que sa résolution sont irréalistes. Que peut-on dire, fin saoul, que les scientifiques adverses n’auraient pu découvrir tout seul ? Et surtout, pourquoi lancer une telle opération de récupération avec ce qu’elle coutera en vies humaines, réseaux démantelés, risque politique, alors qu’il suffisait d’assassiner le détenteur du secret pour régler définitivement le problème de sa diffusion éventuelle ?
Mystère. Ou plutôt non, pas de mystère. Parce que sinon pas de roman.

Dominion, C.J. Sansom

L'avis d'Uchronie Lhisbei (LC)

Lu dans le cadre de la LC D-Day sur les blogs (you understand why)

Commentaires

Lhisbei a dit…
Je partage ton avis mais, comme d'hab, tu l'exprimes mieux que moi :p
Lhisbei a dit…
Et c'était un plaisir de lire en compagnie d'un connard élitiste :D
Gromovar a dit…
Le plaisir était partagé. Et tu sais que les LC c'est presque à l'opposé absolu de ma conception des raisons pour lesquelles on lit. Mais là, il aurait été dommage de laisser passer l'occasion.
Lhisbei a dit…
Ma conception des LC c'est juste : lire ensemble et papoter, rien de plus ^^ (il manque la bière et le thé c'est tout ^^)