La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Mère Courage


"Talulla", de Glen Duncan, est la suite du Dernier loup-garou. Elle fait montre de qualités certaines, mais la surprise ne joue plus devant une histoire de lycanthropie enfin physique et matérialiste, et elle pêche par un excès d’outrances.

Jake Marlowe, le dernier loup-garou, est mort. Reste Talulla, dernière louve, enceinte de lui. Réfugiée en Alaska pour y accoucher en paix, elle voit son fils enlevé, à l’instant même de la délivrance, par une horde de vampires très bien renseignés. Sa sœur jumelle n’a même pas eu le temps de voir le jour.
Après une brève convalescence (les lycanthropes récupèrent vite), Talulla, accompagnée de son familier humain et encombrée de sa fille en langes, part à la recherche de son fils. Elle apprend rapidement qu’il aurait été enlevé par une secte vampirique dont les membres espèrent le retour d’un messie, Remshi, qui ne recouvrera la plénitude de son pouvoir qu’après avoir bu le sang d’un loup-garou, fut-il un très jeune bébé mâle. On imagine sans peine que celui de Talulla, de sang, ne fait qu’un tour, et qu’elle se lance dans une course contre la montre pour retrouver son fils avant qu’il ne soit trop tard.

Dans Le dernier loup-garou, Jake offrait le portrait d'un lycanthrope qui avait fait le tour de sa Malédiction, qui était au clair et en paix avec lui-même. Mais, coté face de la pièce, détachement, ennui, fatigue de soi meublaient aussi son quotidien. 200 ans, c’est long, sans doute trop pour un être vivant.
Talulla, au contraire, est une très jeune louve. Psychologiquement, elle en est à la construction de son identité composite, dans la phase où il faut accepter ce qu’on est devenu et en tirer le meilleur possible. Elle et les autres - car il y en a d’autres dans le roman, une toute petite meute - parviennent progressivement, et pas toujours sans regret, à laisser derrière eux leur existence humaine pour devenir dans leur tête les hybrides que leur corps sont déjà. Ce n’est ni simple ni rapide, c’est différent pour chacun, car les ressources biographiques ou mentales diffèrent de l’un à l’autre.
Le dernier loup-garou racontait une fin, "Talulla" des commencements.

Duncan se tire plutôt bien de la description des tourments maternels de Talulla. Inquiète, à raison, pour ses enfants, la mère humaine ne se départ pas pour autant de ses besoins physiques, tirée par la louve en elle qui hurle ses appétits primaires. Faim et désir s’expriment toujours aussi fort dans un corps qui n’est définitivement pas celui d’une vierge à l’enfant. Cela permet de faire passer, en le noyant dans du piment fort, ce souci constant de Talulla pour sa progéniture qui risquait d’être atrocement conventionnel. Et de fusionner par nécessité impérieuse les aspects antagonistes de sa personnalité : femme et louve, tueuse et mère, obligeant Talulla, à la dure et en accéléré, à accepter tout ce qu’elle est et à devenir pleinement toutes ses facettes.
Le personnage secondaire de Madeline, l’amie lycanthrope et ancienne amante de Jake, est une réussite féministe. Exploitée dans sa vie humaine, elle voit vite et bien ce que la monstruosité lui apporte. Elle en use paisiblement, sans haine ni désir de revanche, comme quelqu’un qui a enfin gagné sa liberté. D’ailleurs, on peut le dire, toutes les femmes du roman, jusqu’à la victime Natasha, sont ou deviennent fortes et autonomes, même si leur émancipation passe par une transformation en être surnaturel. Le monde n’est pas encore parfait à ce point.

Les personnages satisfont donc. Le style aussi. Certes Duncan digresse un peu trop. On a parfois le sentiment qu’il se regarde écrire et cherche la formule pour la formule ou la métaphore pour la métaphore. Mais, l’auteur déclenche aussi sur la tête du lecteur une avalanche de punchlines de qualité supérieure, dont beaucoup pourraient remplir une anthologie d’aphorismes cyniques. On se prend souvent à sourire de contentement devant une phrase particulièrement bien troussée ; et à constater que Duncan sait imprimer à sa plume la frénésie de son histoire.

Si je devais trouver un défaut important à "Talulla", ce serait l’accumulation d’actions trop spectaculaires et de rebondissements incessants, dont certains donnent l’impression claire de n’être pas indispensables. Ainsi que les Deus Ex Machina, dont on sait que je trouve l’utilisation détestable.
Défaut aussi, mais moindre me semble-t-il, la place accordée au drive sexuel dans le roman. Justifiée par la nature même des protagonistes, il m’a semblé qu’il était pourtant trop présent, bien plus que dans le déjà peu chaste premier tome, au point d’occuper de trop longs moments de lecture. Il équilibre néanmoins de manière efficace les tourments potentiellement mièvres de la mère meurtrie et était donc peut-être indispensable comme antidote à la bêtise.

Au final, "Talulla" est un roman trépidant qui se lit comme un regarde un blockbuster ; si on en aime les personnages, si on ne trouve pas leurs motivations ridicules ou misérables, on accepte de faire semblant de ne pas voir les trous du scénario. C’est le parti que j’ai pris ici et je ne le regrette pas. Mais je suis à ma limite ; si le ratio s’inversait dans le troisième tome, à venir, je n’adhèrerais plus au dosage.

Note additionnelle : Chose rare, le titre français est supérieur à celui VO « Talulla rising ». Par sa brièveté, sa simplicité, "Talulla" accroche. Comme Lolita en son temps, auquel il emprunte le nombre de syllabes, les consonnes et la finale.
Dans les bras de Walker, Miss D. est Talulla, et leurs destins sont scellés. Chapeau bas si la référence est volontaire.

Talulla, Glen Duncan

Commentaires

Efelle a dit…
Bon et bien se sera sans moi, pas assez crépusculaire.
Merci pour la chronique.
Tigger Lilly a dit…
Les consonnes de Talulla sont même exactement inversées par rapport à celles de Lolita :D

Bref ... J'ai vraiment beaucoup aimé ce bouquin, autant que le premier tome, ce qui est chose assez rare dans une suite.

Je vois bien le troisième avoir le point de vue des jumeaux en alternance.
Gromovar a dit…
Plus qu'à attendre.
Gilles Dumay a dit…
Rites de sang (Le dernier loup-garou tome 3) sortira début novembre 2014 ; on y suivra les destins croisés de Talulla, Remshi et Justine, la familière de Remshi. Avec comme ennemis avérés des loups-garou et autres vampires, le Militi Christi, un groupuscule mercenairo-catholique.
Ça va saigner !
Gromovar a dit…
Plus qu'à attendre novembre donc. Merci pour l'info :)