La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Les eaux glacées du calcul égoïste


« Si l’apparence coïncidait avec l’essence, toute science serait superflue. »

Cette phrase tirée du Capital est au cœur de la thématique de "Freedom and Necessity", le roman historico mystique de Steven Brust et Emma Bull. Mais c’est le Freedom and Necessity d’Engels, le balancement dialectique hégélien entre volontarisme et déterminisme qui lui a donné son titre.

Au milieu du XIXème siècle, alors que la Révolution Industrielle transforme l’Angleterre de fond en comble, bouleversant les hiérarchies anciennes et créant de nouveaux rapports entre de nouvelles classes sociales, James Cobham, un aristocrate flamboyant que tous croyaient mort noyé, se rappelle au souvenir de son cousin en lui expédiant une lettre depuis une auberge dans la campagne anglaise.

L’a-t-on poussé à l’eau ? Si oui, qui ? Pourquoi ? Et où a-t-il passé les deux mois séparant sa disparition de son retour dans le monde des vivants ? Confronté à un péril inconnu, James choisit de commencer par rester caché et, assisté d’une partie de sa famille et de quelques contemporains, il se lance alors à la recherche de ceux qui ont voulu sa mort. Sa quête, épistolaire pour le lecteur, le mènera sur les traces d’une société secrète de magiciens traditionnels et dans les méandres de la politique d’un siècle en ébullition entre nationalisme, socialisme, et contre-révolution.

Lors d’une (trop) longue aventure, le roman ballade le lecteur dans un XIXème anglais tiraillé par des forces sociales, politiques et culturelles contradictoires.

Les lois sur le blé ont été abolies quelques années auparavant (Ricardo, militant fervent pour leur suppression n’aura pas vécu assez longtemps pour voir sa victoire), signant l’arrêt de mort de l’aristocratie terrienne, et la montée en puissance de la bourgeoisie industrielle à qui la réforme des lois sur les pauvres va offrir la main d’œuvre exploitée, sinon servile, dont elle aura besoin pour réaliser son rêve d’accumulation du capital. Les premiers mouvements féministes militent sans grand succès encore, à tel point que la réforme électorale de 1832, qui augmente le nombre des électeurs censitaires sans instaurer le suffrage universel, ferme formellement la porte à un suffrage féminin. Le chartisme anglais, qui exigeait des droits politiques plus étendus, est moribond après trois pétitions sans suite et quelques graves émeutes. Pendants politiques des romantiques, nationalistes et révolutionnaires font florès en Europe, renversant les régimes, brisant les équilibres géopolitiques, et menaçant les dynasties. Le socialisme commence à prospérer sur le continent et en Angleterre même, dans le secret, car les socialistes sont susceptibles partout d’être arrêtés, déportés, voire exécutés pour sédition. Un monde meurt, un autre peine à naitre.

Au nexus de ces convulsions, la famille Cobham synthétise l’époque. Elle répondra involontairement à toutes les questions du moment par l’entremise de ses différents membres. Quelle place pour les femmes dans ce nouveau monde (entre indépendance à conquérir et mariage traditionnel) ? Est-on déterminé par sa naissance ou peut-on choisir sa classe ou sa nation ? Comment dévoiler la domination cachée ? Quel est le prix de la clandestinité pour soi et pour les autres ? L’action clandestine corrompt-elle autant que le pouvoir exercé ? Peut-on former des leaders révolutionnaires ou existe-t-il des leaders naturels ? Est-il raisonnable de retarder un mouvement révolutionnaire pour lui donner plus de chance d’aboutir ? Peut-on faire la révolution sans le peuple (comme le pensent les blanquistes) ou ne faut-il créer qu’une avant-garde éclairée (comme l’affirment les communistes) ? Et plus intimement : Quel est le prix du mensonge ? Qu’implique la confiance ? A qui confier sa vie ?

Tout ceci est intéressant, et les conversations entre les Cobham (mais aussi Friedriech Engels) abordent également des questions de philosophie, d’art, de culture.

Malheureusement le tout est bien trop long. Trop de bavardages, de conversations annexes, à tel point qu’on se croirait chez Stephen King lorsqu’il tire à la ligne. Ca n'en finit pas. Et, cerise sur le gâteau, on obtient finalement moins de détails concrets sur le monde que dans un roman historique classique car les lettre s’échangent entre gens qui savent de quoi ils parlent et ne ressentent donc jamais le besoin de décrire ce qui est évident pour eux. Restent quelques jolies phrases.

Freedom and Necessity, Steven Brust, Emma Bull

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