Choisir c’est renoncer. C’est la première chose qu’on apprend en économie. C’est la malédiction de Dom Juan.
Choisir un
Lunes d’Encre pour le chroniquer (
à l'invitation de Gilles Dumay, pour l'anniversaire de la collection), c’est accepter de ne pas parler des autres. Ou pas. On peut au moins dire ce qu’on ne choisit pas, comme lorsqu’on dit «
et je ne parlerais pas de… » et que, précisément, c’est ce qu’on s'apprête à faire.
Parmi les
Lunes d’Encre qui ornent ma bibliothèque (27 ouvrages sur 132 publiés), tous n’ont pas été chroniqués. Je n’ai pas toujours blogué, et je n’ai pas non plus toujours chroniqué toutes mes lectures. Revenant sur mon histoire avec cette collection, je m’aperçois de deux choses liées. D’une part, que le niveau d’exigence de la sélection y est très élevé, d’autre part, que, de ce fait, je n’ai pas toujours adhéré, car faire des choix éditoriaux forts c’est prendre le risque de déplaire.
Je réalise aussi que la collection et moi avons au moins un goût évident en commun.
Lunes d’Encre publie beaucoup de RC Wilson, et j’en lis beaucoup. Le choix apparaît alors évident, tant, sur mes rayons, Wilson et
Lunes d’Encres sont, d'une manière éclatante, visuellement liés. Restait à choisir UN Wilson. Là, pas à réfléchir, tant Wilson sera pour toujours l’homme qui a écrit
Spin.
Je ne parlerai donc pas de
Cleer, brillant roman symbolique, lauréat du
prix des Blogueurs 2011, auquel j’ai eu la joie d’apporter ma pierre (au prix, pas au roman, qui n’en avait pas besoin). Ni de
L’Age des lumières, à l’écriture ciselée et chatoyante. Ni d’
Isolation qui porte pourtant l’utilisation romanesque de la notion de fonction d’onde à un niveau rarement égalé. Ni du
Difficile d’être un Dieu et de son analyse de l’interventionnisme politique.
Je ne parlerai pas non plus des deux premiers romans indispensables que sont
Les Tours de Samarante et
Treis, altitude Zero. Pas plus, d’H2G2, l’hilarante et brillante parodie de space opéra. Ni de
La tour de Babylone, écrin de la merveilleuse nouvelle « L’histoire de ta vie ». Ni du subtil et intrigant
Destination Ténèbres. Ni du
Fleuve des Dieux, qui pourtant l’aurait mérité.
Je ne parlerai pas non plus, par courtoisie, de ceux que j’ai moins voire pas aimés. Pas non plus de ceux qui ne sont pas chroniqués, même si, pour certains, je le regrette.
Ni de l’Échiquier de Mal, publié alors que Simmons n’était pas encore, dans l’esprit de beaucoup, devenu infréquentable.
Je parlerai - comment faire autrement ? - de
Spin (on remarquera que le post cité est très court, je débutais ; mais à l’époque je ne chroniquais que ce qui me paraissait indispensable, et Spin apparaissait comme une évidence). Et s'il y a encore des gens qui ne connaissent pas l'immense Spin, en voici le résumé fourni par l'éditeur : «
Une nuit d’octobre, Tyler Dupree, douze ans, et ses deux meilleurs amis, les jumeaux Jason et Diane Lawton, quatorze ans, assistent à la disparition des étoiles. Bientôt, l’humanité s’aperçoit que la Terre est entourée d’une barrière à l’extérieur de laquelle le temps s’écoule des millions de fois plus vite. La lune a disparu, le soleil est un simulacre, les satellites artificiels sont retombés sur Terre. Mais le plus grave, c’est qu’à la vitesse à laquelle vieillit désormais le véritable soleil, l’humanité n’a plus que quelques décennies à vivre… Qui a emprisonné la terre derrière le Bouclier d’Octobre ? Et, s’il s’agit d’extraterrestres, pourquoi ont-ils agi ainsi ? ». Précisons aussi, pour être exhaustif, que
Spin a gagné le Hugo 2006, le GPI roman étranger 2007, et qu'il a été nominé pour le Locus 2006, et le John Campbell Award 2006.
Roman SF aux enjeux extraordinairement élevés, tranches d’humanité disséquées par Wilson et offertes aux lecteurs comme des réponses possibles à l’incroyable. Ce dont parle
Spin, c’est d’un mystère presque inconcevable et de la manière dont ce mystère transforme les individus, les institutions, et les sociétés dans leur ensemble. Risque, opportunité, quand l’Inconnu frappe à la porte, toutes les réactions sont possibles, des plus rationnelles aux plus délirantes. Que faire quand toutes nos certitudes sont battues en brèche ? Que faire quand la mortalité du système solaire cesse d’être un concept abstrait pour devenir une réalité tangible ? Jusqu’où va la capacité d’innovation et d’adaptation de l’Homme ? Comment faire entrer, finalement, le bouleversement dans nos vies et nos cultures ? Ce sont les questions, très humaines, éternelles que posent Wilson dans son roman en les exacerbant. Questions universelles qui, de fait, réservent
Spin à tout le monde ; je crois en effet que
Spin est l’un des rares romans de SF qu’on peut faire lire en confiance à quelqu’un qui n’en lit jamais. En cela, Wilson remplit le contrat qui est celui de la SF dès l’origine, montrer comment les évolutions scientifiques ou techniques interagissent avec la communauté humaine. Et je trouve qu’il le remplit de manière plus aboutie que quantité d'autres.
Très brillant roman de SF, première partie d’une trilogie mais pouvant être lu en stand-alone,
Spin est une lecture indispensable, non seulement pour les lecteurs de SFFF, mais j’insiste pour tout honnête homme.
Concluons en disant qu’on lira aussi avec profit les deux suites de Spin,
Axis et
Vortex. Et qu’on lira avec le même plaisir
Les Chronolithes,
A travers temps, ou Blind Lake (oups ! pas de chronique pour celui-ci). On y trouvera le même souci de l’humanité, la même attention portée à un développement cohérent des personnages, la même justesse dans les analyses psychologiques. Pour moi, il faudra que je trouve vite le temps pour son
Mysterium.
Commentaires
Dans mes bras, mon frère !