Les Bonbons d'Halloween - Michael McDowell

Fidèle à sa politique de vulgarisation de l'œuvre de Michael 'Blackwater' McDowell, Monsieur Toussaint Louverture propose encore une nouvelle gratuite à télécharger jusqu'au 6 mai 2024. Alors, presse-toi lecteur ! Les Bonbons d'Halloween est un texte basé sur le scénario de l'épisode 28 de la série Tales from the Darkside , diffusé pour la première fois en 1985. On y lit un récit qui a le caractère self-contained de ces petits épisodes fantastiques qu'on aime regarder à la télévision, un récit qui se conclut sur une chute assez imprévue pour être excitante. Les Bonbons d'Halloween , c'est l'histoire d'un très désagréable Scrooge américain qui n'aime rien ni personne et prend un malin plaisir à ne pas satisfaire les enfants d'Halloween qui viennent frapper à sa porte pour obtenir des bonbons. Mais tout à son atrabile, Killup, le sale bonhomme au centre du récit, a oublié que les enfants d'Halloween n'expriment pas une simpl

Estouffe gari


"Le sacrifice inutile", du philosophe canadien Paul Dumouchel, est un étrange livre. Présenté comme un essai sur la violence politique, il est plutôt une histoire passionnante et référencée de l’évolution de l’Etat moderne assortie d’une thèse ? deux thèses ? aucune thèse ? difficile à dire. Tout ce qui y est écrit est intéressant, mais présenté – lourdement - dans une confusion structurelle qui étonne.
Relisant Hobbes, commentant Carl Schmitt et Clausewitz, reprenant l’ouvrage d’Alain Corbin sur le Village des cannibales, Dumouchel utilise aussi les travaux en anthropologie de Sahlins et Evans-Pritchard pour tenter de faire une histoire de l’Etat comme détenteur du monopole de la violence légitime. Dans une approche girardienne, Dumouchel insiste sur la fonction sacrificielle de l’ennemi ou du traitre désigné, et postule que ce sacrifice est aujourd’hui devenu inutile car il ne permet plus d’affirmer l’unité du groupe des amis. Et s’il fait une généalogie satisfaisante de sa question, c’est lorsqu’il tente de démontrer qu’il devient bien moins convaincant.
Dumouchel part de la position anthropologique classique qui lie solidarité et hostilité (dans sa forme violente) dans le cadre des trois cercles concentriques de l’identité (solidarité obligatoire et devoir de vengeance), de l’adversité (conflit limités possibles, le domaine du kula ou du potlatch par exemple), et de l’hostilité guerrière (où l’extermination est envisageable, mais aussi l’échange comme relation sans obligation) - dans les sociétés lignagères ces trois cercles représentent autant des distances géographiques que culturelles. Il montre comment l’Etat moderne, né du traité de Westphalie et de la nécessité d’arrêter les guerres de religion, simplifie la distinction en la réduisant en ami/ennemi, ce dont Carl Schmitt fait l’essence du politique. Il montre comment les Etats naissants territorialisent la césure en posant comme principe qu’à l’intérieur des frontières tous sont amis (car la vengeance privée est interdite par le monopole de la violence légitime) et que les ennemis sont à l’extérieur (dans les autres groupements d’amis que sont les autres Etats). L’État territorialisé, reste à créer la nation qui lui est soumise. Pour cela, on choisira certains traits, considérés comme signifiants, dont on affublera tous les individus sous la férule de l’Etat (d’où les ancêtres gaulois). On gèrera aussi du mieux possible l'ennemi intérieur, de classe notamment. Il montre comment cette évolution longue aura plusieurs conséquences. D’une part, la nécessité de supprimer les groupes intermédiaires, toujours possiblement concurrents de l’Etat, amène progressivement à créer le citoyen, générique et isolé dans sa relation face à l’Etat. Cette atomisation, éclairée par Tocqueville qui n’est pas cité ici, est la clef du développement de l’indifférence. Dégagé (par le monopole étatique de la violence légitime) de ses obligations de vengeance, l’individu se libère aussi progressivement de ses obligations de solidarité. Pour Dumouchel, c’est l’indifférence qui rend inutile le sacrifice sacré. En effet, elle rend impossible la convergence de toutes les haines vers une seule victime, et empêche donc que le sacrifice amène l’apaisement des tensions. Même le sacrifice du traitre (réel ou supposé) ne parvient pas à apaiser le groupe. En effet, si le traitre, élément de l’extérieur caché à l’intérieur, est détruit, cela ne change rien à l’existence (et donc à la menace) de l’ennemi extérieur. La victime sacrificielle, ennemi symbolique de tout le groupe, ramenait la paix en mourant, le traitre ne le peut pas. D’autre part, la colonisation est le moyen pour les Etats européens de recréer un espace d’hostilité où la violence extrême, interdite entre adversaires, est possible. Il y viendront vite et transporteront l'horreur hors d'Europe, avant de l'y ramener quand cet "ailleurs" deviendra moins opératoire.
L’indifférence rendant inutile le sacrifice sacré, elle permet aussi à l’Etat de se détourner de sa mission primale qui est la protection des membres du groupe. Les Etats peuvent massacrer leurs citoyens pour tenter de refaire l’unité du groupe d’amis contre un ennemi, intérieur cette fois, plus menaçant car culturellement loin mais physiquement proche. Ils l’ont beaucoup fait au XXème siècle. Ils peuvent aussi abandonner à leur sort les perdants du système d’échange marchand, dans un monde dont les obligations de solidarité ont disparu. Indifférence et exclusion sont des crimes de paix, comme il y a des crimes de guerre.
C’est enfin l’indifférence qui est la source de la banalité du mal décrite par Arendt. Eichmann, les bourreaux hutus, massacrent presque sans haine, comme un travail à faire qui peut amener gratification, sous le regard d’autres qui ont autre chose à faire et qui ne se sentent pas liés. Ni suffisamment intéressés pour participer ni suffisamment intéressés pour s’opposer.
Pour expliquer la montée de l’indifférence dans les sociétés étatiques, Dumouchel montre comment les puissants sortiront les premiers de la réciprocité des obligations, entrainant une réaction qui amènera in fine, et entres autres, la Révolution Française. Noblesse n’obligeait plus. Il montre comment les différences, suspectes, sont niées, remplaçant de fait les groupes par des "publics" que ne lient qu’un intérêt commun à un moment donné (les eaux froides chères à Marx). Il ajoute enfin un troisième étage, bien moins convaincant, à sa démonstration. Charité et pardon, en permettant de s’extraire dignement du système d’obligations, auraient aussi amené les individus vers plus d’indifférence. Ce chapitre m’a paru faible (il critique d’ailleurs son propre texte dans une note de bas de page, ce qui est une preuve d’honnêteté intellectuelle mais dit bien qu’il y a problème).
Il y encore d’autres choses dans cet ouvrage. L’opposition guerre clausewitzienne/guerre morale, la création de l’Etat-Providence comme moyen de réintégrer l’ennemi intérieur (de classe) dans le groupe des amis, la Guerre Froide comme restauration de la distinction ami/ennemi recoupant la distinction ami/ennemi de classe, le traumatisme de la fin de la Guerre Froide, et le surgissement du terrorisme comme nouvel espace d’hostilité, extérieur tant qu’extérieur, transformant l’action d’Etats déjà métamorphosés par la réalité de la mondialisation, etc… Mais je vais arrêter ici, car la difficilement compréhensible construction de l’ouvrage me rend difficile la construction de cette chronique. (Elle est pas bellement construite cette dernière phrase ?)
Le sacrifice inutile, Paul Dumouchel

Commentaires

Le pendu a dit…
Très intéressant (les thèses, et ta lecture). Merci de faire ce genre de compte-rendu. Tu ne veux pas faire un post "pourquoi je perds mon temps à lire des essais de science sociale plutôt que de la SFFF?"
Gromovar a dit…
C'est en effet une bonne question. Je la garde au chaud ;-)