James Powell est un homme sympathique et abordable. Mais il est d'abord docteur en géochimie du MIT, et passionné par le réchauffement climatique. Il a enseigné, présidé, conseillé dans de nombreuses
institutions prestigieuses. Il a mis en forme ses craintes pour l'avenir dans l'inquiétant
2084. Il accepte aujourd'hui de répondre à nos questions. Je l'en remercie.
1)
Bonjour James. Merci de nous recevoir. Peux-tu te présenter pour les lecteurs français qui ne te connaissent peut-être pas bien ?
Je suis un géochimiste avec un doctorat du MIT. J’ai aussi été président de musée et d’instituts universitaires. En semi retraite, j’écris des livres de science grand public. Vous pouvez voir mes ouvrages sur mon site web,
JamesPowell.org
2)
Ton dernier livre « 2084 » est une dystopie sur les effets du réchauffement climatique. Je l’ai trouvé militant et effrayant. Aimes-tu la fiction, et c’est tout, ou penses-tu qu’elle est un meilleur moyen de toucher l’esprit des gens ?
Le problème que j’ai rencontré dans tout ce qui a été écrit au sujet du réchauffement climatique est que les livres et les articles nous donnent tous un moyen de nous en sortir. Le GIEC dit que le réchauffement peut causer une hausse de la température moyenne allant jusqu’à 6°C, mais d’un autre côté elle peut n’être que de 1°C, niveau que nous pourrions supporter. Le réchauffement peut avoir de graves conséquences, mais il peut aussi n’être pas si terrible que ça. Un livre est même intitulé « Ca tourne bien ». Je crois sincèrement que, si nous ne changeons pas notre façon de faire dans les quelques années qui viennent, le réchauffement sera le pire désastre auquel l’humanité aura eu à faire face.
3)
As-tu été influencé par « World War Z » de Max Brooks pour l’écriture de « 2084 » ?
J’ai cherché pendant des mois le bon angle pour expliquer ce que le réchauffement serait sur toute la planète. J’ai lu des dystopies et je suis finalement tombé sur « World War Z ». j’ai alors pensé que l’approche consistant à interviewer des habitants de plusieurs pays, chacun avec son point de vue sur la catastrophe, fonctionnerait bien. Les lecteurs jugeront.
4)
Dans « 2084 » les guerres de l’eau sont les guerres du 21ème siècle, et ça semble logique. Ne penses-tu pas que la pénurie de pétrole causera aussi des guerres ?
Oui, absolument. Rétrospectivement je me dis que j’aurais du inclure deux chapitres sur les répercussions du pic pétrolier, mais j’ai du couper le livre pour qu’il tienne sous la limite des 30000 mots qui est celle du format Kindle Single, aussi j’ai laissé tomber l’idée. La plupart des gens ne réalisent pas que le pic pétrolier et le pic climatique seront concomitants.
5)
Tu pointes le risque de pénurie d’électricité liée à la rareté d’eau courante, mais tu ne dis rien sur l’énergie nucléaire. Ne penses-tu pas que des réacteurs nucléaires pourront compenser, en particulier dans les pays riches ?
Nous devrons nous tourner vers l’énergie nucléaire à mesure que nous abandonnerons les carburants fossiles. Mais l’énergie nucléaire ne fera pas rouler des trains de marchandise ou voler des avions.
6)
Les parties les plus pathétiques de « 2084 » sont les interviews des représentants des peuples premiers. Que pouvons/devons nous faire pour essayer de les protéger ?
Ceux qui souffriront le plus du réchauffement, au moins au début, seront ceux qui en sont le moins responsables. Leur destin est entre nos mains et particulièrement entre celles de nos politiciens. Je crains que nous nous réveillions seulement quand il sera trop tard pour de nombreuses personnes des pays en développement et pour de nombreux peuples indigènes.
7)
Tu as clairement choisi le pire scénario, et même plus. Les Anglais disent « Espère le meilleur mais prépare-toi pour le pire ». Es-tu vraiment aussi pessimiste sur l’issue de cet événement ? En quelle année serait le point de non-retour pour toi ?
J’ai essayé de montrer à quoi pourrait ressembler le monde en 2080 si nous attendons jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour stopper le réchauffement, ce qui est le chemin sur lequel nous sommes en ce moment. Personne ne sait exactement quand serait le point de non-retour, mais si je disais et ressentais toujours les mêmes choses en 2025, à supposer que je sois toujours vivant, alors je crois qu’il serait trop tard.
8)
Ton dernier interviewé prédit la naissance d’une société nouvelle, plus humble (presque amish). Ca m’a rappelé le « Soft Apocalypse » de Will McIntosh ou « En panne sèche » d’Andréas Eschbach. Ne crois-tu pas en la possibilité d’une nouvelle (et bon marché) source d’énergie ? Ou en des choses comme le géoengineering ? Ces espoirs sont-ils seulement illusoires ?
Je suis sceptique sur le géoengineering, ainsi que sur la possibilité d’une nouvelle technologie ou d’une source d’énergie bon marché qui apparaîtraient et nous sauveraient de nous-mêmes. Si nous sommes capable de géoengineerer la planète et d’empêcher les carburants fossiles de causer du réchauffement, tout ce que nous ferons alors c’est en bruler plus, puis quand nous devrons arrêter le géoengineering, ce qu’il faudra faire tôt ou tard, notre situation sera pire qu’avant. De plus, le géonengineering est sans retour.
9)
Dans mon panthéon personnel, tu fais partie du mouvement « Soft Apocalypse » avec des gens comme Will McIntosh, Andreas Eschbach, Steven Amsterdam, mais aussi l’économiste Tyler Cowen. Acceptes-tu ces proximités ?
Je suis désolé de dire que je devrais ajouter ces auteurs dans ma liste de lecture. Quand j’ai commencé à travailler sur « 2084 », j’ai arrêté de lire des dystopies ou de l’Histoire future pour garder mon esprit vierge des idées des autres.
10)
Tu as travaillé pendant des années avec plusieurs agences officielles. Peux-tu nous donner la vision d’un insider pour comprendre l’inertie politique sur le réchauffement ?
Il est très difficile pour quiconque de comprendre comment, alors que l’Académie des Sciences des USA venait d’affirmer que le réchauffement était avéré, causé par les activités humaines, et dangereux, la Chambre des Représentants a pu rejeter une motion qui disait strictement la même chose. C’est sans doute la première fois qu’un corps législatif entier a pris une position aussi évidemment anti scientifique. Dans ce pays, au moins, les climatosceptiques gagnent et ils ont converti un parti entier. Le seul espoir réside dans la certitude que l’anti science finira par perdre.
11)
A ton avis, qu’est ce qui pourrait donner aux sociétés la volonté de combattre vraiment le réchauffement ? La civilisation occidentale, et le monde humain par extension, sont-ils déjà condamnés ?
Il est encore temps, mais ça n’arrivera que si les gens ici en Amérique et en France et tout autour du monde votent pour des politiciens qui acceptent d’écouter ce que disent les scientifiques. Si la science continue d’être soumise aux jeux politiques, alors la vie de mes petits-enfants sera bien pire que la mienne, pire que tout ce que j’aurais pu imaginer.
12)
Je te remercie pour ta gentillesse. Si tu veux dire quelque chose d’autre aux lecteurs français, c’est le moment.
N’écoutez pas Claude Allègre. Il a été un grand scientifique mais aujourd’hui c’est un barjo.
Traduit par Gromovar. Chapeau bas à Fazi, Brèque, et aux autres ; rendre en français les images et concepts que le texte anglais fait naitre dans le cerveau n'est pas chose aisée.
Commentaires
Je ne pensais pas qu'Allègre était connu à l'étranger. Je pensais que c'était juste un crétin de classe national.
Car c'était avant le drame, malheureusement. Mais ce n'est hélas pas le seul cas de scientifique ayant tourné crétin :(
Merci pour la question 2/ qui répond à mes propres interrogations ;)
Dans une société où dieu est mort, il semble que seule la science soit à même de fournir les éléments pour consolider une nouvelle morale.
C'est une idée que j'avais lu pour la première fois dans un papier anglo-saxon, et je la trouve aujourd'hui d'une évidence fracassante.
FG : c'est intéressant ce que tu dis. Cela dit la science est confrontée à un sacré paradoxe : elle doit définir la morale liées à l'usage de ses propres inventions. Voilà qu'on se retrouve avec des "savants fous" du coup.
Ce que propose Powell dans un monde où les plus grands défis sont scientifiques, et je suis assez d'accord avec sa position, c'est, pour paraphraser Platon, que les rois deviennent scientifiques ou les scientifiques rois.