Une brève recherche sur Internet m'a donné l'impression d'être le premier à écrire une chronique sur "
Prototype" de
Brian Hodge. J'espère pour lui que je ne suis pas aussi son seul acheteur.
Certes, "
Prototype" est un roman difficile à chroniquer. Qu'en dire ? Clay Palmer est hospitalisé après un accès de violence extrême ; une psychologue s'attache à son cas et découvre qu'il est porteur d'une mutation presque unique, une trisomie sur la paire 12. Le roman raconte la quête de Palmer pour comprendre ce qui lui arrive, découvrir si son patrimoine génétique détermine son avenir, tenter de canaliser son ultra-violence.
Brian Hodge brasse beaucoup d'idées dans "
Prototype". Le lecteur y croisera le débat inné/acquis (qui est le coeur du récit), la peur de la solitude et de la singularité, le dégout de la société industrielle standardisée, la marchandisation du corps, le processus artistique jusqu'à l'autodestruction, la folie eugéniste, Nietzsche mal lu par un trafiquant d'armes, les grandeurs et petitesses de l'amour, entre autres. Commençant par des séances de psychothérapie dans un service hospitalier, "
Prototype" plonge dans l'underground artistique avant de se transformer encore, cette fois en road-movie. La lente progression de Clay Palmer et de celles qui l'accompagnent rappelle inévitablement celle du capitaine Willard dans
Apocalypse Now, toujours plus loin dans l'ipséité, plus loin dans l'horreur, plus loin dans le détachement du monde et la transvaluation, jusqu'à une vérité cathartique primordiale. Jung est convoqué, avec inconscient collectif et pratiques shamaniques ; psychologie, génétique et anthropologie s'accouplent scandaleusement ; "
Prototype" est un roman où on converse beaucoup, longtemps et intelligemment. Hodge confronte les idées, les hypothèses, ne donne jamais de réponse tranchée ou définitive. La quête est en cours, les réponses n'existent pas encore. Même à la fin, chacun pourra interpréter le dénouement comme il l'entend.
Au service de ce monumental fond, l'écriture de Hodge est impressionnante. Il décrit avec force détails un monde en corrosion, dans lequel des inadaptés tentent de survivre et de trouver un peu de plaisir et d'amour ; mais survivre serait déjà bien. C'est des marginaux dont il parle et de la souffrance que leur inflige leur marginalité. Son ton est juste, ses dialogues encore plus, ses descriptions, nombreuses et minutieuses, immergent le lecteur dans le monde de Palmer, entre attirance et répulsion.
My friends are freaks chantaient les Virgin Prunes dans cette chanson dont "
Prototype" m'a éveillé des échos. Et Hodge montre que les freaks, contrairement à ce que pensait
Tod Browning, ne forment pas une communauté aimante. Trop de pathos, trop de passif empêchent les relations simples. Et il est logique de se demander comme le faisait les Prunes
Is pain the only comfort ?"
Prototype" est un roman très noir. Je souhaite spoiler le moins possible en disant que l'espoir n'y a pas sa place, comme il n'y en avait pas dans
Lettres d'Iwo Jima. Voila peut-être ce qui a fait fuir d'autres chroniqueurs potentiels, avec le parti-pris de Hodge de multiplier les hypothèses sans imposer de solutions. Mais c'est avant tout un roman intelligent, beau, fort, nanti de personnages qui prennent au coeur et dont aucun malheur ne laisse indifférent, un roman qui parle tant au cerveau qu'à l'âme ; en définitive, c'est un roman qu'on termine en se disant qu'on a bien fait de le lire.
Prototype, Brian Hodge
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