Rich Larson - The Sky Didn’t Load Today and Other Glitches

Quelques mots sur The Sky Didn’t Load Today and Other Glitches , le tout récent recueil de micro-nouvelles de Rich ‘ Fabrique des lendemains ’ Larson . 30 textes, chacun lisible en une à six minutes, grand maximum  (une ou deux déjà traduites en français dans le recueil susnommé) . Du court, du court, du court, du bon, du bon, du bon. De la SF, du post-apo (voire très post-apo) , du cyber, du body-horror/weird, du genemod. Je ne peux pas raconter, même un peu car, les nouvelles étant courtes et parfois à chute, ça spoilerait trop. Qu’on sache juste que c’est globalement très bon, que lorsque ça l’est moins c’est court, et que, même si le background n’est pas toujours cyber, ça forme, par la noirceur et l’inventivité technologique de l’ensemble, ce qui se rapproche le plus aujourd’hui d’un très bon recueil cyberpunk/SF. Pour donner un peu envie (si ce qui précède ne te suffit pas, ingrat de lecteur) , je liste ci-dessous, en vrac, quelques-uns des tropes que tu croiseras dans les pages

Théorie du chaos


Il y a une dizaine d’année, j’enquêtais, pour un mémoire de science politique, sur les mobilisations de sans-papiers. J’interviewais quantité de personnes, d’origine étrangère, vivant dans le Val d’Oise. Parmi ces gens avec qui je parlais, il y avait beaucoup d’africains noirs et beaucoup de maghrébins. En parlant avec les noirs, j’ai eu plusieurs fois connaissance du renvoi au "pays" (ou au moins d’une tentative) de jeunes considérés comme impossible à contrôler en France. Cette pratique s’appelle le fosterage. Elle est décrite et expliquée dans le livre d’Hugues Lagrange. Et, comme le montre Lagrange, en dépit de conditions socio-économiques proches je n’ai jamais rien entendu de tel dans la bouche de maghrébins. Il semble bien qu’il y avait là un hiatus culturel.
"Le déni des cultures" est LE livre qui fait polémique en cette rentrée : il y est écrit que la réussite scolaire et la délinquance sont corrélées, entre autres, à l’origine culturelle des personnes. Je ne crois pas que cet ouvrage mérite ces excès d’indignation. Son projet politique (puisque Lagrange en a visiblement un) est totalement compatible avec la démocratie et nos valeurs (quoi que ce mot puisse recouvrir dans une société dont les valeurs centrales de cohésion se réduisent à une peau de chagrin dissimulée derrière une vulgate).
Sur le fond, Lagrange pointe une réalité oubliée, me semble-t-il, par la sociologie, française en particulier. Les individus sont les réceptacles d’une culture familiale qui, même réinterprétée, est prégnante dans leurs comportements. La socialisation primaire modèle fortement l’individu, d’une manière que les socialisations subséquentes auront du mal à contrer. Pour prouver ses dires, il commence par une généalogie des crispations, en Occident et dans le Sud, qui aurait peut-être pu être placée en annexe. L’Occident et le Sud se rencontrant parfois dans les villes françaises, il montre, nombreuses statistiques à l’appui, que les familles migrantes d’origine sahélienne sont plus victimes que les autres d’échec scolaire et de méconduites délinquantes, toutes choses égales par ailleurs. Pour tenter de valider les causes de cette surreprésentation, Lagrange se livre à de nombreuses recherches de corrélations autres ainsi qu’à de longues comparaisons historiques ou sociétales. Il retombe toujours sur le même constat : par delà les différences liées à des facteurs économiques ou sociaux (qui interviennent évidemment et que Lagrange ne nie pas) existe un résidu (au sens où Malinvaud utilisait le terme pour désigner le progrès technique) qui ne peut s’expliquer que par des différences culturelles.
Lagrange tente alors de montrer en quoi la culture de (certains) immigrés sahéliens est un facteur facilitant de l’échec scolaire et de la délinquance. Il décrit longuement les diverses formes de famille au Sahel, les modes d’éducation (qui y impliquent la quasi totalité des adultes de la communauté), les relations entre les sexes (rarement égalitaires), la structure du prestige (déformée et déviante dans le cas des immigrés, déclassés en France et prestigieux, car riches, dans leur communauté d’origine). Il montre ensuite comment cette culture, adaptée à l’organisation sociale du pays d’origine, ne permet pas de fonctionner de manière satisfaisante dans une société individualiste et compétitive comme l’est la notre. Mère trop jeunes, soumises et disqualifiées par les pères, pères déclassés et autoritaristes, parfois polygames, absence de la famille élargie et de la communauté villageoise, fratrie pléthorique, focalisation sur la santé physique du petit enfant au détriment de son éducation explicite, tout ceci crée une situation dans laquelle les enfants (particulièrement les garçons) ne reçoivent pas les prérequis culturels et motivationnels qui leur permettraient d’envisager massivement une scolarité satisfaisante (et il est difficile d’expliquer cette carence autrement que culturellement). Dès le primaire beaucoup sont en difficulté, avec comme conséquence décrochages précoces et surdélinquance. L’échec dans la compétition scolaire, que leurs familles ne les ont pas préparés à affronter, est en effet un facteur important d’entrée dans la délinquance, car il faut bien pouvoir se renvoyer une image de réussite, quelle qu’elle soit (de plus, en l’absence symbolique de père respectable, c’est aux plus vieux frères de protéger la fratrie et de faire respecter son honneur). Fonctionnelle au Sahel, le système culturel des migrants africains n’est pas adapté à l’organisation sociale occidentale ; Durkheim déjà pointait l’anomie induite par une transformation trop rapide des structures sociales (et quelle transformation plus rapide que celle que vit une population transplantée). Même hors contexte délinquant, on assiste à des mouvements de re-traditionalisation (non spécifique des africains) très similaires à ceux qui ont touché l’Islam en terre d’Islam, et qui ont les mêmes origines : une réaction, oserais-je dire puérile, face à une modernité qui a déçu. Cet état de fait n’aide évidemment pas l’intégration, si l’on considère, comme moi et les interactionnistes, que c’est un processus qui nécessite des efforts réciproques.
Les quartiers d’immigration sont aujourd’hui le creuset de sous-cultures fonctionnelles en interne et dysfonctionnelles en externe, résultant de la confrontation des cultures d’origine et d’accueil. Ces sous-cultures ne doivent pas perdurer sous peine de renoncer à faire nation. Pour cela Lagrange propose, entre autres choses, la réalisation de statistiques ethniques pour mesurer les inégalités réelles et l’effet des politiques publiques d’égalisation, la mise en œuvre de capabilités au sens où Sen les entendait (il cite par exemple le busing pratiqué aux USA, idée reprise il y a quelques jours par Patrick Gaubert, président du Haut Conseil à l’Intégration), la mise en œuvre de mixité sociale même sans mixité ethnique, et l’empowerment des femmes.
(Trop) gorgée de postulats marxistes, et adhérant aveuglément à la fantasmagorie républicaine du citoyen générique sans attaches culturelles, la sociologie française ne veut pas connaître les cultures et ne voit que des déterminations socio-économiques. Elle oublie que l’homme n’est pas seulement un être social mais qu’il est aussi un être situé et un être historique. Du passé on peut faire table rase dans les institutions, pas dans les individus (ceux-ci sont chaotiques, très sensibles aux conditions initiales). Lagrange, sans nier les déterminants sociaux, veut en ajouter d’autres, c’est à dire enrichir la réflexion. Que des sociologues en discutent (Mucchielli en tête), même si je ne partage pas leurs analyses, fait partie de la bonne pratique universitaire. En revanche, quand la société civile commente un travail de recherche sur la base de postulats non scientifiques voire idéologiques comme c’est la cas en ce moment, je suis profondément ennuyé et je pense à Lyssenko.
Le déni des cultures, Hugues Lagrange

Commentaires

Cédric Ferrand a dit…
Je pense que nos aspirations égalitaires nous poussent par moment à un certain angélisme qui sert à camoufler ce que nous ne voulons pas voir en face.

Le hic, c'est que ce genre de constatation utilise tout un chapelet de mots ou de concepts dont la droite extrême s'est accaparée depuis longtemps. Du coup, dès qu'on met le nez là-dedans et que l'on cherche à changer de point de vue, on a le sentiment de travailler pour ceux d'en-face et l'on s’arque-boute sur nos principes un brin utopistes.
FG a dit…
comme dit Cédric, c'est vrai que les termes utilisés pour ce genre d'étude sont très connotés et que du coup il y a déferlement défensif des personnes (souvent bien pensantes à la petite semaine) qui s'arrête à la surface du propos et qui ne prennent pas la peine de regarder ce qu'on y dit vraiment.

j'ai regardé une émission où ce monsieur venait présenter son livre et même après ses explications claires et précises (où il montrait que c'était le fruit de donnés récolté sur le terrain etc...) les autres participants s'en donnaient à cœur joie pour lui envoyer de gros boulet de canon sous des motifs stupides et démontrant une profonde ignorance...
mais il en va ainsi en France, même pour des chercheurs qui font honnêtement leur travail...
Gromovar a dit…
Le problème c'est d'être tétanisés par l'extrême droite. Si l'extrême droite dit que le soleil se lève à l'est, ça ne devient pas faux pour autant.
Je renvoie à Max Weber distinguant absolument l'éthique du savant de celle du politique. J'ai toujours préféré celle du savant.
Et si vous voulez le savoir, je crois de plus en plus, à mon grand regret, que la sociologie ne sert à rien. La force des préjugés et des idéologies est toujours supérieure.
Avec les précautions qui s'imposent, une démarche similaire semble avoir refait surface aux Etats-Unis pour analyser une certaine culture de la pauvreté, après un long hiatus durant lequel les recherches avaient d'autres orientations. Voir :

http://www.nytimes.com/2010/10/18/us/18poverty.html
Gromovar a dit…
Merci pour la référence. Je vais y voir.
Munin a dit…
Que fait la sociologie, justement, si ce n'est montrer la force des préjugés et des idéologies ? Si elle n'a qu'une utilité, c'est bien celle-là. Mais toutes les approches scientifiques sont contestées et contestables par la société civile, dès lors que le sujet est un peu sensible ou médiatique. Regarde ce qui s'est passé après l'attribution du Nobel de l'économie cette année...
Gromovar a dit…
C'est précisément ça le point (la "polémique" sur le prix Nobel).
Les sciences sociales, même les sciences aussi mathématisées que l'économie, sont considérées par tout un chacun comme appréhendables spontanément. Dans "Le métier de sociologue" Bourdieu écrit que le fait est conquis contre l'illusion du savoir immédiat. Il l'écrit mais nul ne le croit (et d'ailleurs nul ne le lit à part des gens déjà convaincus de la chose).
Je regrette parfois de ne pas être prof de microélectronique, au moins mes affirmations ne seraient pas reprises de volée par le premier lycéen venu sur la base de l'expérience vécue de sa grand-mère.
Autre aspect de la chose (et qui justifiait la saillie de mon commentaire précédent), peux-tu me citer une décision politique majeure qui ait été prise sur le fondement de l'énorme connaissance sociologique existant aujourd'hui ? Au débotté je n'en vois pas.
Munin a dit…
Je n'en vois pas non plus. Mais est-ce un échec de la sociologie, ou de la politique ?

Tu as cité le métier de sociologue, qui fait référence à ce que Durkheim disait déjà dans les Règles de la méthode sociologique à propos des pré-notions. 115 ans après, on en est toujours au même stade. Mais je pense que le réinvestissement du collectif et du lien social, s'il se produit un jour, - et je souhaite conserver mon idéalisme et ma naïveté, merci, - ne viendra pas d'une décision politique réformatrice.

Bon, tu as décidé de transformer ton blog en blog sur l'épistémologie ou quoi ? :)
Munin a dit…
Ouf. J'ai eu peur. Il y a trop peu de blog sur le zombisme, il aurait été dommage que tu t'arrêtes.

;)