La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Les fils de Diogène


Les politologues sont décidément de méchants hommes. De tous les chercheurs en sciences sociales ce sont ceux qui ont les meilleures oreilles, les meilleurs yeux, la meilleure mémoire. Et surtout ce sont des chiens qui ne lâchent jamais un os. Ils confrontent déclarations publiques et privées, présentes et passées, ils vont voir (ils veulent tout voir, tout savoir) comment sont mis en œuvre les textes, par qui, où, dans quel ordre...
Au final ils perdent toute innocence car ils voient le squelette sous la chair, la "Charogne" dont parlait Baudelaire. Puis ils écrivent des livres où ils font savoir aux autres ce qu'ils ont trouvé, de sorte que le simple lecteur perd aussi toute espérance dans une réalité qu'ils ont désenchantée. Les politologues savent que sous la patte blanche il y a un loup et ils le disent aux chevreaux, ajoutant au tragique de leur destin la certitude glaçante de sa survenue.
Guy Hermet, spécialiste de la démocratie et des populismes, reprend dans "L'hiver de la démocratie" la thèse de "L'Ancien Régime et la Révolution" de Tocqueville. Tocqueville écrit qu'en 1789 la changement social a déjà eu lieu, et qu'il ne reste plus qu'à l'acter au point de vue politique. La Révolution avait déjà eu lieu mais chacun s'évertuait, par inertie et tradition, à ne pas le voir. La Révolution française des livres d'Histoire est ainsi la conclusion d'un processus, pas un début.
Pour Guy Hermet nous vivons la même période pré-89. Le régime démocratique dans lequel nous croyons vivre est déjà mort (il remue encore un peu, mais ce sont des convulsions post-mortem), et celui qui lui succèdera est encore incertain.
Hermet fait d'abord un rapide historique de la notion de démocratie qui, de directe (mais que veut dire la démocratie athénienne assise sur l'esclavage ?) devient rapidement une démocratie représentative dans laquelle l'exercice du pouvoir est le fait de professionnels obligés d'utiliser sans cesse leurs compétences de tactique politique pour gouverner sans effaroucher le peuple. Hermet montre qu'à la démocratie politique du droit de vote et des libertés publiques a rapidement succédé une démocratie sociale incarnée de manière ultime dans l'Etat-Providence, et que l'aspect social est rapidement devenu celui qui prédominait dans la population (Ségolène Royal le sait bien qui disait lors de sa déclaration de candidature : "Le drapeau tricolore et la Sécurité Sociale, voila ce qui cimente l'appartenance commune" ; dans un registre plus noble, Marcel Gauchet parlait récemment de : "la citoyenneté du créancier social qui n'a plus grand chose à voir avec le devoir civique"). Or aujourd'hui cet aspect est en crise. D'une part, par un effet de cliquet à la baisse bien connu des économistes, quelle que soit la quantité des droits qu'ont les citoyens ils en veulent toujours plus, d'autre part, comme dans toute activité, les rendements sont décroissants et chaque extension de droit est plus coûteuse que la précédente, et enfin car dans un contexte de globalisation l'Etat-Nation est de moins en moins à même de mener des politiques originales.
Et pourtant cette crise est largement invisible. Dans le monde la "démocratie" progresse, si tant est qu'on appelle "démocratie" un régime semi-autoritaire installé sur les structures anciennes sans culture démocratique préalable et contraint de temps en temps à organiser des élections (dans ce cas l'Irak, le Kénya, par exemple sont des démocraties). Et dans les pays occidentaux la démocratie est en majesté, au point d'être "absolue" comme il y a eu une telle monarchie.
Mais cette démocratie-là n'est déjà presque plus un régime politique, essentiellement l'incantation permanente de quatre mantras hégémoniques : l'adoration des Droits de l'Homme, le culte du métissage, le respect de la Nature, le culte obsessionnel du corps et de la santé. Et le contrôle social sur le respect de ces mantras est fort et constant.
Alors qu'est ce qui vient après ? Pour Hermet c'est un mélange inédit de populisme et de gouvernance. Le populisme s'introduit dans toute l'Europe, et pour la première fois en 2006 en France dans le discours de candidats crédibles, au cœur du système électif. Il a pour vocation d'apporter les réponses de l'émotion a des problèmes objectivement secondaires, focalisant ainsi l'attention du peuple sur des sujets annexes mais qui le passionnent.
Dans le même temps les décisions structurantes au plan mondial sont prises dans un système de gouvernance où l'Etat-Nation n'est qu'un acteur de plus au milieu des grandes entreprises et des ONG autoproclamées "société civile" ; ces décisions sont prises dans la discrétion et les citoyens n'y sont jamais partie prenante.
Ce binôme n'a pas encore de nom mais il gouverne déjà notre monde. Il ne reste plus de place véritable à la démocratie entendue comme régime politique de la décision rationnelle majoritaire et citoyenne.
Il y a beaucoup d'autres choses dans ce livre mais j'ai déjà fait trop long.
L'hiver de la démocratie, Guy Hermet

Commentaires

Anonyme a dit…
Mille mercis Gromovar, l'homme qui lit les livres qui mettent les mots sur les maux - que nous percevons de manière plus diffuse que vous autres social scientists à l'oeil acéré.

Tout ça me rappelle le débat sur le TECE en 2005, tiens.
Gromovar a dit…
Sens-je une pointe d'ironie ? ^-^
A propos d'Europe, il y a un chapitre passionnant sur la folie de l'élargissement à outrance qui, amorcé dès les années 70, rend impossible toute construction politique de l'Europe et la condamne à être une zone de libre-échange. Le TECE n'était que le dernier avatar de ce mouvement. Je continue néanmoins à penser qu'il aurait rendu un peu plus gérable cette détestable zone de libre-échange de fait qui n'a pas besoin de TECE pour exister.
Gromovar a dit…
Et maintenant je vais me calmer et recommencer à lire des livres où des poulpes extra-terrestres et philosophes se lancent vers l'Infini et au-delà MUHAHAHAHA !!!
Anonyme a dit…
Ce genre de post met vraiment du baume au coeur. Merci bien. Demain, je reste au lit toute la journée.