Munir Hachemi est un auteur espagnol qui arrive aujourd'hui en France avec son roman L'arbre vient publié chez Christian Bourgois. Salto en dit qu'il « déracine les conventions littéraires ». Phrase creuse idéal-typique ou saillie drolatique. Quant à Christian Bourgois, il parle d'une littérature nécessaire. Diable ! Aussi nécessaire que respirer, manger ou boire ? Qu'en est-il réellement ? Futur indéterminé, sur un monde qui l'est tout autant. Les Mulaï sont un peuple à l'effectif faible qui vit chichement sur un monde qui n'est pas le sien. Descendants de l'expédition Futur, qui a un jour quitté la Terre pour une autre planète, leurs ancêtres y ont été oubliés avant qu'eux-mêmes ne soient redécouverts à l'occasion d'une communication radio inattendue. Sur le monde des Mulaï, on vit dans un cercle d'une centaine de kilomètres, protégé des froids polaires extérieurs par, sans doute, un système imparfait de contrôle climatique – à l...
La librairie Scylla vient de créer, par crowdfunding, une maison d’édition. Groovy !
"Il faudrait pour grandir oublier la frontière", de Sébastien Juillard, est l’un des deux premiers textes qu’elle publie à l’issue de l’opération réussie de financement. Une novella d’anticipation SF dans cette terre désolée de Palestine où les fanatiques de tous poils interprètent leurs textes sacrés comme des documents cadastraux.
Bande de Gaza, dans un certain nombre d’années - réalisant qu’on est bien après 2030, on pense à la Guerre éternelle de Haldeman, même si c’est plutôt d’un fragile d’espoir de paix qu’on parle ici. Car, conclusion inévitable ou vœu pieu de l’auteur, le conflit séculaire consécutif à la Nakba semble être en voie d’apaisement. Pourquoi, comment, qui à fait quoi, qui aurait dû, qui aurait pu, ce sera aux historiens de le dire, au jour peut-être. Il n’en reste pas moins que sans l’installation massive d’un fantasmatique peuple juif sur la terre palestinienne après la WW2, on n’en serait pas arrivés là. L’émigration juive en Alaska, envisagée un temps et matérialisée en rêve par Michaël Chabon, eut été préférable, au vu des conséquences engendrées depuis.
Dans "Il faudrait pour grandir oublier la frontière", le lieutenant Keren Natanel est un officier de Tsahal en poste à Gaza. Elle y accomplit une mission d’enseignement de l’hébreu auprès de veuves et d’orphelines de guerre candidates à l’émigration vers des secteurs plus calmes du complexe israélo-palestinien. Elle y est amie avec Jawad, un ingénieur palestinien qui « répare » les blessés avec des prothèses cybernétiques de récupération. Elle y côtoie Marwan Rahmani, un ancien fedayin longtemps embastillé, qui a maintenant abandonné la lutte armée pour tenter le développement de Gaza et la paix. Chacun essaie à sa façon et avec ses moyens de donner un avenir pacifique à une terre meurtrie.
Mais qui veut de la paix ? L’ONU, oui, un Hamas en recherche de respectabilité, sans doute (le Fatah de Yasser « Baraka » Arafat semble avoir disparu dans les combats précédents), ainsi que beaucoup d’hommes et de femmes fatigués par des décennies d’horreur et de spoliation. Mais pas les faucons israéliens, ni les promoteurs ou profiteurs de la colonisation. Pas non plus Ahmed, l’infatigable combattant de la cause palestinienne. Et encore moins les fanatiques du Djihad (…Islamique je suppose), toujours financés par notre « nouvel ami » l’Iran. Les derniers feux de la guerre sont attisés par des hommes qui ne veulent ni d’une paix des braves ni même d’une paix d’épuisement. Des hommes qui, à coup d’attentats suicide et d’enlèvements, tentent de faire capoter, une fois encore, un processus de paix qui ressemble chaque jour un peu plus à un supplice de Sisyphe. C’est à un fragment de ce moment d’équilibre instable entre guerre et paix que l’auteur convie son lecteur.
Juillard offre, avec "Il faudrait pour grandir oublier la frontière", une histoire hélas tragiquement contemporaine. On est dans l’avenir, les technologies ont évolué, de nouveaux moyens de s’entretuer ont été mis au point, mais le conflit a perduré. Ce n’est que sous l’égide de l’ONU, peut-être, qu’il s’achèvera, si les fanatiques ne parviennent pas à empêcher la paix, ce qu’ils s’évertuent à faire en faisant régulièrement remonter la tension par des atrocités visant à réactiver chez l’adversaire la loi du talion. Ils arrivent hélas le plus souvent à leur fin (j’ai l’âge d’avoir entendu, attéré, l’assassinat de Rabin en direct). Seul l’avenir dira donc lequel, du camp de la guerre et de celui de la paix, parviendra à ses fins. Si l’on en croit l’auteur, ce n’est pas avant encore quelques temps.
Juillard peuple son histoire de beaux personnages, habités par une idée, un désir, qui les dépassent. Les artisans de paix sont évidemment bien plus sympathiques que les fauteurs de guerre, mais tous sont mus par un un moteur plus grand qu'eux. Tous vivent intensément, au-delà d’eux-mêmes, si différents des Occidentaux du règne de la marchandise. Ils touchent et plaisent car ils sont vivants.
Juillard écrit enfin un manifeste pour une paix à portée de main, si chacun parvient à dépasser les anciennes vengeances. Dans une région où tant ont combattu si longtemps et si cruellement, sortir du besoin clanique, vital, de rendre la monnaie de sa pièce à l’autre est la condition sine qua non d’un possible apaisement. On ne peut faire la paix qu’avec ses ennemis. Et il faut parfois pour y parvenir oublier les frontières (physiques ou mentales), certes, se départir aussi des lieux réels ou fantasmés et des droits supposés qu’on aurait sur eux, mais encore éliminer ceux de ses anciens camarades de combat qui ne veulent pas se résoudre à remettre les armes au râtelier. Mission détestable mais indispensable. Juillard veut croire que toutes ces conditions sont réalisables.
Texte très écrit, joliment métaphorique, plein des images de Palestine – terre et massacre liés - "Il faudrait pour grandir oublier la frontière" souffre un peu pourtant de son format. 111111 caractères, c’était le deal. C’est trop court (et, encore heureux, ce n’était pas du binaire). On voudrait connaître plus les personnages, on voudrait une timeline de l’évolution historique, on voudrait un point géopolitique, on voudrait des développements plus longs pour creuser les récits. On aimerait voir bien plus longuement l’intrication des destins, des vengeances, des rancœurs, et des changements s’ils finissent par advenir. Il faudra y revenir, j’espère. Revenir et creuser le sillon, encore et toujours. Juillard a commencé son Captif amoureux, il lui fait le compléter maintenant.
Deux références que j’aime, pour finir :
Un superbe extrait de David Mitchell (The Bone Clocks) qui ne parle pas de Palestine mais qui dit tout ce qu’il y a à en dire.
Et Territory, une chanson de Sepultura.
Il faudrait pour grandir oublier la frontière, Sébastien Juillard
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