Les Bonbons d'Halloween - Michael McDowell

Fidèle à sa politique de vulgarisation de l'œuvre de Michael 'Blackwater' McDowell, Monsieur Toussaint Louverture propose encore une nouvelle gratuite à télécharger jusqu'au 6 mai 2024. Alors, presse-toi lecteur ! Les Bonbons d'Halloween est un texte basé sur le scénario de l'épisode 28 de la série Tales from the Darkside , diffusé pour la première fois en 1985. On y lit un récit qui a le caractère self-contained de ces petits épisodes fantastiques qu'on aime regarder à la télévision, un récit qui se conclut sur une chute assez imprévue pour être excitante. Les Bonbons d'Halloween , c'est l'histoire d'un très désagréable Scrooge américain qui n'aime rien ni personne et prend un malin plaisir à ne pas satisfaire les enfants d'Halloween qui viennent frapper à sa porte pour obtenir des bonbons. Mais tout à son atrabile, Killup, le sale bonhomme au centre du récit, a oublié que les enfants d'Halloween n'expriment pas une simpl

Ascenceur social par l'échafaud


"The Faithful Executioner : Life and Death, Honor and Shame in the Turbulent Sixteenth Century" (ouf !) est une biographie historique du spécialiste américain de l’Histoire allemande Joel F. Harrington. Dans une démarche proche de celle d’Alain Corbin avec Louis-François Pinagot, Harrington tente d’écrire la vie d’un homme à partir d’un minimum d’informations. Comme Corbin, il tire tout ce qu’il peut de son matériel, croise avec des sources plus générales, et quand il ne sait pas, il le dit clairement. Ressort de son texte un intérêt bien plus grand qu’à la lecture de celui de Corbin, tant la personne de Frantz Schmidt, bourreau de la ville de Nuremberg à la fin du XVIème siècle, nous donne l’occasion d’apprendre sur la peine capitale, le pouvoir de l’Etat naissant, et la vision du monde d’hommes antérieurs à la Déclaration des Droits de l’Homme et à la généralisation de l’enfermement comme peine.

A partir du journal personnel, de plus en plus disert au fil des années, des exécutions et des punitions corporelles de Schmidt, et de la pétition qu’il envoya à l’empereur Ferdinand II dans le but de recouvrer l’honneur de son nom, Harrington reconstitue une image vivante des actes de Schmidt dans son époque, et de l’homme lui-même, par déduction.

Qu’en ressort-il ?

Tout d’abord une illustration éclairante de la distinction que fera Max Weber, trois siècles plus tard, entre classe économique et groupe de prestige. Dans le monde de Schmidt, le bourreau peut être un homme aisé économiquement, il n’en est pas moins partie d’une profession honteuse, soumis à stigmate et socialement discriminé. Impossible d’avoir de relations sociales avec à peu près tout ce qui n’est pas la lie de la société, interdiction de participer aux fêtes, processions, rassemblement communaux, interdiction de presque tout service religieux, impossibilité pour ses enfants d’entrer en apprentissage où que ce soit, quasi impossibilité pour ses enfants de se marier hors d’une profession déshonorée – avec pour conséquence l’apparition de « dynasties » de bourreaux.

Le bourreau n’est là, socialement parlant, que pour assurer ce que Richard Van Dülmen appela « le théâtre de l’horreur » : condamnation, marche à la mort, exécution. Et il doit l’assurer convenablement. Car si tous acceptent la peine capitale et ses formes, très cruelles à nos yeux, une exécution ratée, durant laquelle le condamné souffre au-delà de ce qui était prévu par la Cour, peut conduire à des émeutes graves. Pour préserver tant sa vie que l’ordre public, le bourreau doit donc être un professionnel compétent qui réussit son geste, au même titre que n’importe quel artisan. Il doit produire ce qu’on nommait « une bonne mort », c’est à dire une mort qui, sans cruauté superflue, assurait l’effroi des spectateurs et affirmait l’autorité fragile d’Etats encore jeunes.

On y constate ensuite que Frantz Schmidt vécut au bon moment, celui qu’on appela « l’âge d’or des bourreaux ». Cet âge, durant lequel apparurent les bourreaux employés à temps plein des cités, doit autant aux tentatives des Etats naissants d’affirmer leur pouvoir et leur souveraineté en contrôlant ce qui pouvait l’être dans un monde violent où la vie ne durait guère, qu’à la Lex Carolina qui formalisa les procédures criminelles en un temps où les moyens d’investigation étaient très limités.

Pour être employé à temps plein et généreusement payé par la ville de Nuremberg, Schmidt dut prouver ses qualités personnelles et professionnelles. Il acquit sa compétence, comme tout enfant d’artisan de l’époque, par apprentissage auprès de son père puis tournée de « professionnalisation » dans des villes qui n’avait pas les moyens de payer un bourreau à l’année et n’en engageait, à la tâche, qu’en cas de besoin. Sa compétence reconnue et régulièrement démontrée, Schmidt choisit, au contraire de la plupart de ses condisciples, une éthique professionnelle stricte, une vie pieuse, sobre, et en tout point respectable, évitant même absolument tout contact avec les franges sociales du demi-monde habituellement réservées aux bourreaux. Cela lui permit, vers la fin de ses jours et après avoir obtenu la parcimonieuse citoyenneté de Nuremberg, de recueillir le fruit de l’effort de toute sa vie, faire réhabiliter son nom par décret impérial et ouvrir à ses enfants d’autres voies que les siennes. Car si Frantz Schmidt devint bourreau et le regretta toute sa vie, c’est à la suite de son père qui fut forcé dans cette condition qui n’était pas la sienne par l’application d’une vieille tradition germanique. Frantz n’aura de cesse d’œuvrer pour corriger cet accident biographique et ramener sa famille dans l’honorabilité. Existentialiste avant l’heure, Schmidt passa toute sa vie à prouver par ses actes qu’il valait mieux que la honte de sa famille.

On y entre enfin dans la tête du bourreau. Schmidt l’écrit, il aurait voulu être médecin – il sera d’ailleurs pendant cinquante ans un soigneur qui traitera, selon ses dires, environ quinze mille patients – et seul un destin contraire l’obligea à devenir bourreau.
Et dans cette fonction, Schmidt est un homme qui accepte et valide l’ordre social de son temps, ainsi que ses pratiques en matière de châtiment.
C’est un homme aussi qui fait preuve d’un profonde empathie pour les victimes des condamnés, à fortiori quand les forces étaient disproportionnées, que les victimes étaient sans défense, ou que le condamné avait fait preuve de cruauté ou de préméditation. L’agression signifie une trahison de l’ordre social et de la civilité ; elle est encore plus grave s’il y avait confiance personnelle entre l’agresseur et sa victime. Elle doit donc être sévèrement punie ; il n’y a pas de doute dans l’esprit de Schmidt.
Homme équilibré, il ne tire jamais de plaisir sadique des traitements qu’il fait subir aux criminels – il conseille même souvent aux juges des mesures de clémence, se traduisant par des formes d’exécution moins douloureuses ou humiliantes - mais dans un monde où des bandes de routards, souvent anciens lansquenets, écument routes et fermes, tuant, violant, et mutilant, dans un monde où même un petit vol peut signifier de grands malheurs pour une population pauvre dépourvue tant d’assurance que d’aide sociale, il réserve sa compassion à la victime. Ceci d’autant plus qu’il croit profondément que le repentir sincère, et toujours recherché, du condamné ouvrira à celui-ci, après son exécution, la porte des cieux.

Schmidt a donc tenté, sa vie durant, de vivre en honnête homme, et de placer intégrité et vertu au centre de ses actes, bien loin de l’image romantique du bourreau taré, obscène et priapique, dissimulé derrière une cagoule noire et dénudant des femmes pour se rincer l’œil en cherchant des marques de sorcière.

Cette vie nous ouvre un monde qui nous est étranger mais dont la cohérence est certaine, et où des hommes, qui comprennent le bien et le mal, vivent en accord avec leurs valeurs, c'est à dire exactement comme nous le faisons.

The Faithful Executioner : Life and Death, Honor and Shame in the Turbulent Sixteenth Century, Joel F. Harrington

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