Mirror Bay - Catriona Ward VF

Sortie de Mirror Bay , la version française de l'excellent Looking Glass Sound de Catriona Ward. C'est encore une fois magistral, tortueux, émouvant et rempli de faux-semblants  (il faut en profiter, ce n'est plus le cas dans le décevant Sundial pas encore sorti en VF) . Ne passe pas à côté, lecteur.

The riddle



Les Inconnus dirent, il y a longtemps, « Tenter une résumance de la pensée fulgurante et spiritique de Skippy me paraît impossible… ». Il n’est guère plus simple de résumer "Elliot du Néant", le dernier roman de David Calvo. Je ne m’y essaierai pas plus que d’habitude (à quoi serviraient sinon les 4ème de couv. ?), mais cette fois avec un soulagement certain.
Que dire alors ? Je pourrais m’en tirer encore par une citation et dire, comme la Princesse Irulan au début du Dune de Lynch, « A beginning is a very délicate time », mais ce serait abuser. Alors, allons-y. Essayons !
Dans "Elliot du Néant" il y a des idées et des concepts. L’existence d’un verbe créateur, écho de croyances immémoriales de la Genèse à la syllabe Om en passant par Terremer ; le pouvoir de l’art, et conséquemment des artistes, comme créateurs du monde ; les plans à l’intérieur des plans, la réalité dans les interstices ; les angles comme lieux de passage, non seulement des Chiens de Tindalos de Belknap Long, mais encore de bien d’autres choses en quête de sens ; les dimensions repliées de la physique quantique ; les univers virtuels comme lieux modernes de l’au-delà mythologique, dont les concepteurs seraient les démiurges ; l’hommage à Alice au Pays des Merveilles par les changements de taille et l'intervention du morse. Ces idées et ces concepts fulgurent dans le texte, mais ils n’y sont pas didactisés. Ils sont évoqués, on les comprend, on les ressent, ils sous-tendent, en coulisse, comme des rémanences.
Le « héros » de "Elliot du Néant", Bracken, est un professeur de dessin. C’est tout ce qu’on sait de lui. Il est surtout un vide, un Néant lui-même, un vide taoïste caractérisé par la simple mais capitale capacité d’être rempli, jamais utilisée par lui. Par peur ou paresse il s’est laissé gagner totalement par le mouvement entropique de la vie, et a laissé les choix se faire d’eux-mêmes, fruits de la contingence et jamais d’une décision. Il plongera dans le Néant, non pour y trouver du nouveau mais pour finalement se remplir. Bracken nous ramène irrésistiblement à l’excellente Pragmata du même Calvo sur la procrastination, publiée dans l’Angle Mort n° 2.
Le monde dans lequel se passe (mais est-ce le bon terme ?) le roman est fait de boîtes, et de boîtes dans des boites. Une petite école en Islande près d’un volcan, au bord d’une plaque de lave, une chambre souterraine dans cette école, une caverne à l’avers (ou pas) de la chambre. Hors de ces lieux clos, rien n’existe si ce n’est Nik Kershaw (ben oui, là ma capacité digressive touche sa limite). Le monde extérieur n’est qu’une idée, il ne s’actualise pas, sauf à la fin. L’aventure est intérieure aux deux sens du terme : d’un Bracken vide vers un Bracken plein, et de plus en plus profond à l’intérieur des plans. C’est presque à un « Apocalypse Now » immobile qu’assiste le lecteur.
Et puis il y a Mallarmé. Cité explicitement dans le roman, personnage de celui-ci, son obsession de la création du monde par le vers est l’objet, semble-t-il, du roman. Sur le fond d’abord, mais surtout dans la forme du texte. "Elliot du Néant" est un roman très peu conventionnel, ardu, et illisible par un lecteur attendant une narration carrée et conventionnelle (on dira, sans trop se tromper, que ce texte peut être hermétique comme la poésie de Mallarmé). Il faut lire "Elliot du Néant" en acceptant de déconnecter sa raison, de ne pas avoir d’explications logiques, de ne pas comprendre toutes les implications ou toutes les images utilisées par l’auteur. Il faut se laisser porter par le rythme des phrases, les images, les associations. Le roman est de fait un long poème en prose, qu’il faut lire comme une incantation pour laisser les impressions, les sensations, les idées mêmes, infuser lentement, comme coulant du texte vers l’esprit du lecteur. Appelons encore le taoïsme à la rescousse et disons qu’il faut être dans le non-agir (wuwei) pour entrer en relation avec ce roman. Il ne faut pas lire ce livre, il faut le laisser entrer en soi, comme un récitatif muet qui se lirait lui-même.
Une expérience de qualité, à réserver peut-être aux lecteurs capables de lire « Les chants de Maldoror » en enfilade.
Elliot du Néant, David Calvo

Commentaires

Cédric Ferrand a dit…
Merci d'avoir prévenu, j'ai du mal avec les livres qui traitent de l'hémorragie de tes désirs qui s'éclipse sous l'azur bleu dérisoire
du temps qui se passe contre duquel on ne peut rien.

Je suis un béotien, moi.
Gromovar a dit…
Que c'est pas brave ;-)
Lorhkan a dit…
Très intrigant.
Mais je ne sais si ce livre est fait pour moi, j'ai du mal à l'appréhender...
Peut être devrais-je commencer par un autre Calvo pour voir si le style de l'auteur me convient ?
Gromovar a dit…
Essaie la revue numérique Angle Mort et la nouvelle Pragmata.
L a dit…
Effectivement j'ai lu Pragmata il y déjà quelque temps.
C'est spécial !... Mais assez jouissif en même temps !

Bref, je ne suis pas plus avancé... Si je tombe dessus, je tire à pile ou face...^^