La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Cruelles muses


J'aime beaucoup José Carlos Somoza. C'est une sorte de Borgès qui aurait réussi le tour de force d'ajouter du rythme à l'étrange. "Clara et la pénombre" et "La caverne des idées" en particulier sont deux grands textes fantastiques pétris d'interrogations sur l'art, et mis en tension par une intrigue captivante.
"La dame n°13" est, pour mon plus grand plaisir, de la même facture.
Suspension d'incrédulité : la poésie contient de rarissimes "vers de pouvoir" capables d'avoir l'effet de sortilèges s'ils sont bien prononcés, d'altérer la fabrique de la réalité. Un convent de sorcières millénaires inspire les poètes, et cherche, dans l'océan de la poésie écrite, les "vers de pouvoir", utilisés comme armes. Le pouvoir du verbe est une fiction de longue date. De "La Genèse" au "Terremer" d'Ursula Le Guin en passant par "Dune", ce thème traverse le temps ; Somoza développe ici le pouvoir, souvent inconscient, des poètes.
"La dame n°13" conte l'histoire d'une vendetta au sein du convent sus-cité, vendetta dans laquelle se trouve impliqué un, puis plusieurs, "innocents". La poésie y est utilisée comme une arme, les souvenirs aussi. Les morts interviennent, à leur corps défendant. La cruauté et les chatiments infligés sont extrêmes. Et on comprend progressivement que nul n'est là par hasard, et qu'un complot ourdi de très longue date est en train de parvenir à sa conclusion. L'histoire progresse de manière logique, sans deus ex machina, sans jamais être absurde. Elle est fondamentalement crédible, lovecraftienne en ce que l'inconnu surgit dans la normalité la plus totale et la met en pièces, et c'est ce qui fait sa force. On compatit, on prend parti, il n'est pas possible de rester indifférent. Et, si on a une fibre littéraire, l'effet est encore plus fort. Somoza livre ici un cri d'amour à la poésie, source, pour lui, de création et de destruction. Il nous interdit définitivement de la considérer comme une activité anodine dont la seule finalité serait de produire de jolis sons. Elle est plus que cela, elle sous-tend le monde, comme le mantra Om. En réponse au "Art is quite useless" d'Oscar Wilde, Somoza affirme dans toute son oeuvre que "Art is quite useful".
La dame n°13, José Carlos Somoza

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