Bog
People est une « Working-class anthology of folk horror », éditée par
Hollie Starling.
Working-class
anthology car, dixit Starling en préface, les textes rassemblés dans ce volume
parlent de cette classe populaire britannique qui est l’objet d’une attention
ambivalente de la part des CSP+, dans une société où le système des classes est
bien plus évident et prégnant qu’en France.
Working-class
anthology encore, car dixit toujours Starling, les auteurs réunis ici ont montré
patte blanche sur leur appartenance présente ou passée à la classe populaire. Une
forme de #OwnVoices donc. Fidèle à l’assertion de Max Weber selon laquelle il n’est
pas besoin d’être César pour comprendre César, je suis toujours aussi peu fan
de cette approche ; nous verrons bien, rien ne dit que ça nuise.
Folk horror ensuite car c’est du peuple tel qu’en lui-même que veulent nous parler ces
textes, de ce peuple britannique qui continue à exister loin de la modernité
mondialisée, de ces somewhere donc qui – à tort ou à raison – veulent le rester
et craignent parfois de devenir des nowhere.
Un
peuple attaché à ses traditions (parfois, folk horror oblige, peu ragoûtantes) et
qui perpétue des pratiques ancestrales ; un peuple fermé sur sa communauté,
qu’il ne fait pas bon quitter et dans laquelle on n’entre à peu près pas, quels
que soient les bons ou mauvais motifs de ceux qui veulent y pénétrer – qu’on
relise Durkheim ou Tönnies.
Dans
la communauté populaire, c’est l’étranger qu’on n’aime guère, que cet étranger
vienne du bout du monde ou simplement de Londres. L’étranger ne nous ressemble
pas, il ne nous connait pas, il va bouleverser voire détruire un mode de vie
qui – quels que soient ses vertus ou inconvénients – est celui qui nous a été
transmis par nos ancêtres et qui est, de surcroît, le seul que nous
connaissions.
Et
si on n’entre pas facilement – voire pas du tout – dans la communauté, on ne la
quitte pas facilement non plus. Partir est mal vu, c’est trahir. Revenir est
mal perçu car de quel droit veut-on reprendre une place qu’on a perdu ? D’autant
qu’on est souvent perçu, à tort ou à raison, comme méprisant/parvenu/condescendant.
Mais c’est parfois obligatoire, un devoir moral auquel se soumet celui qui était parti s’encanailler dans le vaste monde.
Solidarité
mais contrôle social, violence latente ou réalisée, arriération technique et
tradition oppressante, c’est la solidarité mécanique, qui survit loin des grandes
villes, qui se donne à voir ici, avec ses aspects protecteurs et aussi ses
aspects étouffants ; Lovecraft la décrivait déjà dans les terres reculées
de la Nouvelle-Angleterre (qu’on pense à La Couleur tombée du ciel ou à L’Abomination
de Dunwich).
C’est
donc un peuple ambigu que nous présente cette anthologie, plein de cette ambiguïté
qui explique qu’une partie non négligeable de la Gauche occidentale ne sache
pas comment lui parler ou même s’il faut le faire.
Après
un exergue de John Ball et une préface de Hollie Starling, on lit dix textes
(dont un comic strip) de longueurs à peu près équivalentes. Des textes dans lesquels
on parle beaucoup « populaire », en argot, patois ou anglais
incorrect. Des textes souvent inquiétants car on sent vite que s’y affrontent
des enjeux dissimulés par d’insondables secrets.
The
Ossuary, de AK Blakemore, est le premier texte. Il présente une vieille femme qui
synthétise toute l’opposition bog world/open world. Inquiète, raciste, déprimée,
elle souffre de voir son monde disparaitre, et son fils, plus ouvert, ne pas la
suivre dans son raisonnement. Pour elle, in fine, une seule issue possible.
Perpetual
Stew, de Daniel Draper, raconte le retour du fils ainé après le décès du père (quand
on a fui/trahi/réussi à progresser et à s’ouvrir au vaste monde, un décès est souvent
la seule cause de retour). Cette réapparition du fils prodigue trouble gravement
l’espèce d’équilibre dans lequel s’était installé le fils cadet au sein d’une
communauté qui rappelle furieusement par ses rites antédiluviens les Midsommar
ou Wicker Man.
Carole,
d’Emma Glass, dit toute la misère qui provoque des drames, des drames qui eux-mêmes
en provoquent d’autres. Un texte un peu « surréaliste » qui accroche
par sa description poignante de la dérive mortifère d’une femme qui en a trop
encaissé.
Eldritch,
de Mark Colbourne, est une critique fictive d’un album folk fictif. Je goûte
assez peu ce genre, le texte m’a laissé froid.
Vient
ensuite The Spit in your Mouth And The Bile in Your Stomach, un comic strip comptine
à l’intérêt limité.
Yellowbelly,
de Hollie Starling, amuse par son utilisation extensive du patois des Fens et sa
mise en scène détournée d’une poupée IA. Les nombreuses références féministes, en
revanche, semblent un peu hors-sujet, à moins de présumer que la classe
populaire est typiquement violente et méprisante envers les femmes.
The
Hanging Stones, de Jenn Ashworth est encore une histoire de retour après décès.
Trois frères et sœurs qui ne s’apprécient guère se déchirent autour des cendres
de leur père. Des années plus tard, seule la sœur qui est restée aura connu une
vie paisible.
The
Keepers, de Natasha Carthew, est encore une histoire à la Midsommar/Wicker Man.
Ancienne communauté, ancien culte, traditions antédiluviennes, retour au
bercail pour celle qui l’avait négligé. Et l’extérieur, qui menace et qu’il
faut repousser.
I
Am Hagstone, de Salena Godden, est une histoire de pierre magique et de gars
infidèle et menteur. Le parti-pris féministe gêne encore imho au vu de la
thématique de l’anthologie.
Enfin,
It Fair Give Me The Spikes, de Tom Benn, est une histoire de meurtre et de
malheur à la diction très heurtée qui fait immanquablement penser à une longue
chanson réaliste accompagnée à l’orgue de Barbarie. Ici, l’approche féministe
(et très sexuelle) est pleinement justifiée par le style qui évoque Fréhel ou
Berthe Sylva.
C’est
donc une anthologie très intéressante par son originalité que propose Hollie Starling.
Je ne peux que conseiller d’aller y jeter un œil. Trust me, gov’nor !
Bog People, anthologie par Hollie Starling

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