La Nuit ravagée - Jean-Baptiste Del Amo

Milieu des années 90, Saint-Auch (une petite ville résidentielle non loin de Toulouse) , entre les lotissements des Acacias et des Genêts. Alex, Max, Mehdi et Tom sont quatre copains d'enfance auxquels vient de s'adjoindre Léna, qui arrive de Montauban. Les cinq vivent la vie des lycéens de l'époque, et même si Léna, nouvelle venue, est à la fois plus proche de Mehdi que des trois autres et de surcroît une fille, la bande s'entend bien et partage à peu près tout. Ils traînent leurs espérances – qui à défaut d'être grandes ont au moins le mérite d'exister – entre les pavillons de leurs parents, le lycée Melville, et les serres désaffectées dont ils ont fait leur base. Une vie sans originalité ni aspérité, c'est ce qui caractérise le quotidien des cinq amis, de leurs familles et de leur voisinage. Mais à Saint-Auch, un lycéen est mort récemment dans des conditions qu'on dit étranges, et il y a, aux Genêts, cette maison abandonnée au bout de l’impasse des O...

La Terre verte - Ayroles - Tanquerelle - Merlet


Le Groenland, une colonie danoise plus proche de l'Amérique que de l'Europe, est en déshérence depuis des décennies, isolée tant de son royaume-mère que du reste de l’Europe, de la Chrétienté ou du monde.
Au Groenland, ainsi nommé par son découvreur Erik le Rouge dans le but d'y attirer des colons, les descendants des Danois cohabitent difficilement avec les inuits qui les ont précédés alors que le climat se refroidit et que les longues nuits d'hiver sont de plus en plus difficiles à passer.

C'est au Groenland qu’arrivent, un jour d’été 1492, un dénommé Richard, anglais bossu et boiteux, laid et contrefait, et un certain Mathias, homme de foi venu directement de Rome pour être l’évêque d'une terre qui, pense-t-on, en manque.
Ces deux arrivées, permises par l'un des rares bateaux marchands qui font moins d'une fois par an la traversée entre le « trou du cul du monde » et la prospère Europe, bouleverseront la vie pénible et sans doute déjà condamnée de la colonie danoise (regarde, lecteur, comment on y allume un bûché!) et te démontreront une nouvelle fois, lecteur, qu'Ayroles est un dieu vivant de l'intrigue, de la narration et du dialogue (et qu'encore une fois aussi il est secondé par de bien bons artistes aux pinceaux).

Richard d'Angleterre, le prince killing king chanté par les Parisiens de Jack and the ripper, miraculeusement sauvé de la bataille de Bosworth (qu'il ne mentionne jamais directement sauf à la fin où sa vilenie s'illustre une fois encore), convaincu d'avoir un destin et un trône à reconquérir ; sûr aussi que le Groenland sera le marchepied de cette reconquête.
Il a pour compagnon d’infortune un Mathias déterminé à ramener la foi catholique sur des terres que l'Eglise aurait trop longtemps négligées.
Les deux vont se frotter à une société groenlandaise qui vise à l'égalité politique avec un Althing, Parlement libre qui désigne un exécutif pour prendre les décisions courantes, où les orientations politiques sont prises après maintes palabres et en référence à la tradition. Et même s'il y a des inégalités de richesse qui se traduisent en inégalités politiques, la société groenlandaise, pauvre et forcée de faire bloc, est donc très éloignée dans son fonctionnement des monarchies européennes et de la théocratie vaticane. Elle est donc dépourvue des anticorps qui auraient pu la protéger tant de Richard que de Mathias.
Car, s'insinuant peu à peu en elle, tels ces serpents de la terre que Conan traqua à Zamora, les deux nouveaux arrivants vont tenter de la modeler pour satisfaire leur foi et leurs ambitions. Au risque de la détruire.

Imaginant pour Richard III une suite, un destin possible dans lequel dans sa folie meurtrière et sa mégalomanie pourraient s'exprimer de nouveau pleinement, il rend un hommage appuyé à Shakespeare qui en avait fait un de ses personnages les plus saisissants.

Dès l'ouverture de l'album, tu seras cueilli, lecteur, par la célèbre exergue « C’est le malheur des temps que les fous guident les aveugles ». Tirée du Roi Lear cette citation donne le ton de l'ouvrage et aussi celui de la conversation entre Ayroles et le barde de Stratford. Car c'est bien de peuples fous guidés par des aveugles manipulateurs qu'il est question ici, de fous assoiffés de pouvoir et d'aveugles qui, ressentiment aidant, ne demandant pas mieux que d'être menés à leur perte. Ici résident les correspondances entre l’œuvre  d'Ayroles et celle de Shakespeare.
Le Roi Lear donc, et Richard III évidemment. Mais aussi Hamlet ou Macbeth, les citations, pour les uns comme pour les autres, étant autant textuelles que graphiques suivant les pages et les moments ; avec un grand coup de chapeau pour l'évocation des petits princes de la Tour de Londres au milieu de la sarabande des morts.
Car de morts il sera grandement question. De plein tombereaux de morts qui servent de marches à l'escalier que Richard veut gravir pour devenir le roi d'un Groenland qui en était jusque là dépourvu. Je n'en dis pas plus pour ne pas spoiler une bien belle intrigue.

Sache seulement, lecteur, qu'il y est question de la folie des hommes qui veulent le pouvoir for its own sake et que même l'amour ne peut pas sauver de leur malédiction. De la manière dont on sacrifie l'avenir au présent quand on n'a pas l'intérêt général en vue. De la façon dont on peut manipuler des proches qui ne demandent qu'à l'être. De la confrontation entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel, chacun ayant besoin que l'autre lui soit subordonné et serve ses propres objectifs propres – les Deux glaives disent assez bien la chose. De l'emprise populiste qui rappelle autant les dérives de notre monde que celles des « démocraties populaires » du passé avec leur Etat du peuple tout entier dans lequel aucune contradiction n'est possible car le peuple est un et que le populiste, qui seul le comprend, parle en son nom avec un cynisme qui n'a d'égal que son indifférence. Des malheurs donc qu'amènent la légitimité charismatique ou la technostructure populiste quand elle ne sont pas portées par un gouvernant éthique.

La recherche du pouvoir à tout prix écrase les peuples, les individus, les sociétés quand la folie devient le seul guide des actes et la mégalomanie la seule tare sur la balance de la justice. Elle touche les hommes comme les sociétés et détruit en profondeur les équilibres sociaux ou naturels.
Ce sont donc les thèmes de Shakespeare et aussi ceux d'Ayroles qui sont une nouvelle fois brassés avec brio dans cet ouvrage illustré de superbes planches aux couleurs évocatrices (le rouge du massacre des morses est saisissant, et le blanc des monts enneigés, et, et, et...).
De décision folle en décision folle on ne peut s'empêcher de penser aux Trumponomics (mais l'album a été écrit avant) ainsi qu'à toutes les politiques économiques délirantes conduites par les populistes de tous crins tout autour de la planète.

On est chez Ayroles, il y a donc après 250 pages de grande aventure, de meurtre, de trahison, et de déraison un twist futé avant une fin qui est magnifique, scénaristiquement et graphiquement magnifique.
Laissé essoufflé par une si bonne histoire si bellement comptée, on s’incline devant la qualité d'un album que tout amateur de BD se doit de posséder.

La Terre verte, Ayroles, Tanquerelle, Merlet

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