La Nuit ravagée - Jean-Baptiste Del Amo

Milieu des années 90, Saint-Auch (une petite ville résidentielle non loin de Toulouse) , entre les lotissements des Acacias et des Genêts. Alex, Max, Mehdi et Tom sont quatre copains d'enfance auxquels vient de s'adjoindre Léna, qui arrive de Montauban. Les cinq vivent la vie des lycéens de l'époque, et même si Léna, nouvelle venue, est à la fois plus proche de Mehdi que des trois autres et de surcroît une fille, la bande s'entend bien et partage à peu près tout. Ils traînent leurs espérances – qui à défaut d'être grandes ont au moins le mérite d'exister – entre les pavillons de leurs parents, le lycée Melville, et les serres désaffectées dont ils ont fait leur base. Une vie sans originalité ni aspérité, c'est ce qui caractérise le quotidien des cinq amis, de leurs familles et de leur voisinage. Mais à Saint-Auch, un lycéen est mort récemment dans des conditions qu'on dit étranges, et il y a, aux Genêts, cette maison abandonnée au bout de l’impasse des O...

La mort blanche


Pour le sociologue américain Erwin Goffman (plus tard rejoint sur un thème proche par Michel Foucault), l’hôpital peut être défini comme une institution totale, c’est à dire « un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées. ».

Dans Asiles, il montre comment ce type d’institution place en face à face deux catégories de population, les « reclus » et le « personnel », la seconde étant en situation d’ordonner toute la vie de la première. La force de l’institution engage de fait les malades dans une « carrière » qui doit correspondre le mieux possible aux attentes de celle-ci. Le malade doit y tenir son rôle, sous peine de se voir infligé des sanctions qui paraitront normales et justifiées à ceux qui les infligent. Dans ce type d’institution, le malade cesse progressivement d’être un sujet (de droit) pour devenir un objet qu’il faut traiter (à tous les sens du terme).

Au mieux ce type d’institution amène déshumanisation, perte d’autonomie, et brouillage de l’identité, au pire, toutes les dérives y sont possibles. Partant d’une célèbre légende urbaine américaine, celle du sanatorium hanté de Waverly Hills, Christophe Bec choisit l’option du pire. Il faut dire que le lieu a très mauvaise réputation, et qu’il servit, hors de toute considération paranormale, de lieu de relégation tant la tuberculose fut longtemps une maladie terrifiante car très pénible, souvent mortelle, et contagieuse par le plus simple des contacts.

Mêlant cruauté humaine et paranormal, "Pandémonium" raconte l’histoire du calvaire vécu par une petite fille et sa mère dans le sanatorium, entre détournements, brimades, folie mégalomaniaque, médecine expérimentale dépourvue de toute éthique, voire meurtres. Il montre la soumission du personnel soignant à des mandarins de droit divin, la hiérarchie impitoyable qui empêche toute révolte, la « disponibilité » de malades dont les médecins peuvent faire ce qu’ils veulent. Dans les années 50, on est loin de la loi de 2002 sur les droits des malades ; on pratique même encore la ségrégation raciale en enfermant les malades noirs, à l’écart, dans un dénuement extrême.

Comme dans Sarah, Bec parvient à raconter son histoire d’une manière qui engendre tension et malaise chez le lecteur. C’est, avec le mystère entourant l’affaire, la grande force de ce récit. C’est aussi une des choses que Bec fait le mieux (et il n’est guère facile d’effrayer à l’aide d’images fixes), dans cette série comme dans d’autres. Le récit est haletant, et les tribulations auxquelles se heurtent Cora et sa mère, malades et menacées, sont à la fois inquiétantes et émouvantes. On lit vite.

Pour cette intégrale des trois tomes parus, le graphisme s’améliore de volume en volume, et c’est surtout la colorisation qui devient de bien meilleure qualité dès le second tome (on en déduira ce qu’on voudra en lisant les crédits).

En ce qui concerne le récit, si les deux premiers tomes font monter progressivement la tension, le troisième, conclusif et publié trois ans après le second, paraît trop rapide. Il donne l’impression que l’histoire, et la série avec, devait se terminer quoiqu’il arrive avec ce seul troisième volume. C’est chose faite et c’est tant mieux (tant de séries ne connaissent jamais de fin), mais on ne m’enlèvera pas l’envie ou le regret d’une version longue (comme en DVD) tant j’ai eu l’impression d’un montage bien trop frénétique.

Pandémonium, Intégrale, Bec, Raffaele, et al.

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