La Nuit ravagée - Jean-Baptiste Del Amo

Milieu des années 90, Saint-Auch (une petite ville résidentielle non loin de Toulouse) , entre les lotissements des Acacias et des Genêts. Alex, Max, Mehdi et Tom sont quatre copains d'enfance auxquels vient de s'adjoindre Léna, qui arrive de Montauban. Les cinq vivent la vie des lycéens de l'époque, et même si Léna, nouvelle venue, est à la fois plus proche de Mehdi que des trois autres et de surcroît une fille, la bande s'entend bien et partage à peu près tout. Ils traînent leurs espérances – qui à défaut d'être grandes ont au moins le mérite d'exister – entre les pavillons de leurs parents, le lycée Melville, et les serres désaffectées dont ils ont fait leur base. Une vie sans originalité ni aspérité, c'est ce qui caractérise le quotidien des cinq amis, de leurs familles et de leur voisinage. Mais à Saint-Auch, un lycéen est mort récemment dans des conditions qu'on dit étranges, et il y a, aux Genêts, cette maison abandonnée au bout de l’impasse des O...

All we ever got was cold


Il y a trois ans, je découvrais Mélanie Fazi à travers le superbe Serpentine. Et cela fait trois ans (j'ai peine à y croire) que je tourne autour du second volet du diptyque publié à l'époque, "Notre-Dame-aux-Ecailles". Pourquoi une si incroyable attente ? "Serpentine" a été un tel choc que j'ai eu peur de la déception. D'autant qu'était écrit partout que "Notre-Dame-aux-Ecailles" était plus adulte, moins énergique. Fallait-il alors prendre le risque de faire descendre Mélanie Fazi du piédestal où je l'avais mise ? N'écoutant que mon courage, je me suis enfin lancé dans "Notre-Dame-aux-Ecailles". J'avais tort d'avoir peur, et raison de m'inquiéter.
"Notre-Dame-aux-Ecailles" est constitué de douze nouvelles dont certaines sont antérieures à celles de "Serpentine", et d'autres non. La tonalité générale est plus adulte que pour "Serpentine". Qu'est ce à dire ?
Les personnages de ce recueil sont (semblent ?) plus âgés. Et je n'ai pas l'impression qu'ils y aient gagné beaucoup. Indécision professionnelle, amoureuse, biographique, croisée de chemin offrant trop ou pas assez de choix, ils exsudent un désarroi qu'on attribue aujourd'hui aux trentenaires, entre Génération X et Génération Précaire. L'énergie, la rage, adolescente est perdue. Aucun mythe mobilisateur (ou simple projet de vie cohérent) ne l'a remplacée. Dommage pour moi, mais surtout pour eux.
Néanmoins, ça reste du Mélanie Fazi. C'est à dire, d'abord, que l'écriture est belle et riche. On retrouve dans "Notre-Dame-aux-Ecailles" la richesse sensorielle qui caractérise les nouvelles de l'auteur. Ses personnages voient, sentent, entendent, touchent. Ils vivent dans un univers de sensations, retranscrites à destination de lecteur, qui donnent une grande réalité au monde dans lequel ils évoluent. Et leur vie intérieure n'est pas moindre ; le lecteur pénètre dans les tourments de leur âme, jusqu'au fond du gouffre.
Plus sensuelles, les nouvelles de "Notre-Dame-aux-Ecailles" montrent que le corps peut donner du plaisir, et pas seulement de la souffrance, et c'est peut-être la seule découverte positive que l'âge adulte a apporté.
Je n'ai pas tout aimé dans "Notre-Dame-aux-Ecailles", mais je vais dire un mot sur les nouvelles qui m'ont touché.

En forme de dragon est une superbe histoire sur la création artistique, sur le pouvoir de la musique, sur la transmission. Emouvante et fine.

Langage de la peau est une vraie réussite. Transcrire la passion physique aussi justement est rare. Donner à voir l'animalité aussi.

Le noeud cajun m'a cajolé, attiré, puis un peu déçu. J'aurais aimé une conclusion. Par construction, ce n'était pas possible.

Noces d'écume est une illustration du talent de l'auteur. Lovecraftienne sans jamais être cthuluesque, elle prouve que Mélanie Fazi a su dépasser l'écume de la forme pour capturer le fond de ce qui est l'horreur lovecratienne. Rien d'étonnant alors dans sa participation au superbe Kadath.

Fantômes d'épingles est une belle histoire sur le déni de la mort et l'évacuation du deuil qui caractérisent notre monde. On y voit que le seul endroit où les morts continuent à vivre, c'est dans nos souvenirs.

Au final, un recueil qu'il fallait bien que je lise pour me le sortir de la tête (trois ans c'est long), et que j'ai bien aimé, même si "Serpentine" m'a semblé bien plus excitant.

Notre-Dame-aux-Ecailles, Mélanie Fazi

L'avis d'Efelle

Commentaires

shaya a dit…
Tout comme toi j'ai adoré ce recueil, peut-être plus que Serpentine à vrai dire, dont j'ai moins de souvenirs en fait ^^ Et totalement d'accord, suis tombée amoureuse de la nouvelle sur l'Ecume ^^(et please, donnez-moi la musique dont la seconde nouvelle parle !)
Efelle a dit…
Je vais essayer de le lire dans pas trop longtemps du coup.
Gromovar a dit…
Je suis assez partant aussi pour la musique.
Lhisbei a dit…
Trois ans ? pas mal (je compatis : je repousse la relecture des Chroniques du pays des Mères depuis 8 ans maintenant ...)
Gromovar a dit…
Oula, trois ans. C'est quoi le problème dans ce cas ?
Lhisbei a dit…
la peur de ne plus retrouver les mêmes sensations mais surtout la même intensité. Ce roman m'avait complètement chamboulé, avait modifié ma perception de certains concepts, m'a ouvert des horizons, m'a poussé à réfléchir... bref il m'a profondément changée. J'ai une trouille bleu de le relire et de ne plus revivre ça . et comme j'ai effectivement changé, la lecture sera différente, mais est-ce que j'y trouverais d'autres sensations aussi fortes ? Est-ce qu'il me marquera autant ? pas sûr donc je tergiverse. et puis j'aime bien aussi jouer avec le souvenir de la lecture et du vertige ressenti à l'époque qui est profondément gravé en moi.

(fin du mode psychanalyse ;))
Gromovar a dit…
Ca fait au moins vingt ans que je n'ai plus rien relu. J'ai déjà tellement de mal à lire tout ce que je voudrais lire pour la première fois que ce serait un crève-coeur de relire.