La Nuit ravagée - Jean-Baptiste Del Amo

Milieu des années 90, Saint-Auch (une petite ville résidentielle non loin de Toulouse) , entre les lotissements des Acacias et des Genêts. Alex, Max, Mehdi et Tom sont quatre copains d'enfance auxquels vient de s'adjoindre Léna, qui arrive de Montauban. Les cinq vivent la vie des lycéens de l'époque, et même si Léna, nouvelle venue, est à la fois plus proche de Mehdi que des trois autres et de surcroît une fille, la bande s'entend bien et partage à peu près tout. Ils traînent leurs espérances – qui à défaut d'être grandes ont au moins le mérite d'exister – entre les pavillons de leurs parents, le lycée Melville, et les serres désaffectées dont ils ont fait leur base. Une vie sans originalité ni aspérité, c'est ce qui caractérise le quotidien des cinq amis, de leurs familles et de leur voisinage. Mais à Saint-Auch, un lycéen est mort récemment dans des conditions qu'on dit étranges, et il y a, aux Genêts, cette maison abandonnée au bout de l’impasse des O...

Mille et un jours


Il y a de bons livres et il y en de beaux. "Chroniques des années noires" de Kim Stanley Robinson fait partie des deux catégories.
Début du Moyen-Age, la peste noire élimine la totalité de la population européenne. De cette date à nos jours, Robinson dépeint le monde alternatif qui résulte de cette catastrophe. Deux civilisations dominent et progressent en parallèle, la chinoise et la musulmane. Aux côtés des plus modestes sociétés indiennes, améridiennes, mongols, et japonaises, elles créent une histoire différente de celles que nous connaissons. Les passages obligés sont similaires car le monde sur lequel vivent ces gens est le nôtre et que les lois physiques n'ont pas changé avec la mort de l'Europe, mais ils se produisent dans des circonstances autres, et dans des organisations politiques et des superstructures idéologiques qui ne sont pas celles qu'a créées, dans notre réalité, la civilisation européenne chrétienne.
Nous sommes donc ici dans l'uchronie et Robinson est loin d'être le seul à en écrire. Mais par delà le simple plaisir du "Qu'est ce qui se serait passé si..." qui est l'essence du genre, "Chroniques des années noires" est un roman fascinant. Sur le plan narratif d'abord, l'ouvrage se compose d'une série de tableaux situés à des époques différentes et de plus en plus proches de la nôtre. Pour coudre ce décousu, l'auteur a eu une idée que je trouve particulièrement réussie. Reprenant à son compte le principe bouddhiste des incarnations successives il fait visiter l'histoire du monde par le même groupe d'incarnations qui d'époque en époque se réincarnent dans des corps et des destins différents, y compris animal. Liant les tableaux, il y a donc une méta-histoire qui est celle du groupe des réincarnés (une sorte de jati) qui au fil des siècles prennent conscience de leur communauté de destin. Les positions changent, les rôles changent, mais l'essence des protagonistes reste la même, ce qui fait que, progressivement, ils parviennent à se reconnaitre, jusqu'à une "Grande Guerre" presque éternelle, inspirée de 14-18, qui se passe simultanément sur le plan de la réalité et sur celui des âmes dans un corps descriptif très onirique. D'une écriture très érudite et parfaitement documentée, Robinson passe en revue quantité de concepts philosophiques ou religieux par le biais d'illustrations concrètes ou de longs dialogues d'une grande pertinence et d'un intérêt certain. Sur le plan stylistique ensuite, ce roman est un beau roman. Il est magnifiquement écrit, à la manière d'un conte, sans souci excessif de réalisme formel, et avec des variations de style d'une époque à l'autre. On ne peut s'empècher de penser à la traduction classique des "Mille et une nuits" par Antoine Galland. Les phrases sont belles et donnent envie d'accélerer la lecture pour en profiter plus.
"Chroniques des années noires" est donc une réussite à la fois intellectuelle et esthétique qui enchante simultanément le coeur et l'esprit.
Chroniques des années noires, Kim Stanley Robinson

L'avis de Tigger Lilly

L'avis d'Arutha

L'avis d'Efelle

L'avis de Lhisbei

Commentaires

Anonyme a dit…
Ouep, une superbe uchronie, et peut-être même la meilleure que j'aie jamais lue.
Aigo a dit…
après vérification sur wikipédia: Ah! il me semblait bien que c'était le nom de l'auteur de Mars la Rouge. (par contre, "Kim", jusqu'à maintenant, m'avait faussement induit à penser que c'était une femme).

Eh bien, cette uchronie semble passionnante. Dommage que j'ai peu de temps pour lire des fictions ces temps-ci... peut-être que je pourrais l'acheter pour lecture ultérieure?
Gromovar a dit…
D'autant que ça fait plus de 1000 pages. Désolé.
Anonyme a dit…
Et une chronique digne de ce bel ouvrage. Félicitations.
Anonyme a dit…
Bonsoir
Tout à fait d'accord avec vous
Par contre la traduction du titre m'a laissé rêveur : comment est-on passé de "The years of rice and salt" à "Chroniques des années noires" ?
Un peu tendancieux non ?
Cordialement
Uglah
Gromovar a dit…
Il y a longtemps que je ne cherche plus à comprendre les traductions. Certes, traduire "years of salt and rice" par "années noires" peut être considéré comme insultants pour nos amis musulmans et chinois. Mais les traductions sont parfois tellement aberrantes qu'il est possible que ce soit simplement une référence ratée à la peste noire qui initie l'histoire.