La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

The Book of Joan - Lidia Yuknavitch - A l'estomac


« ...provocative dystopian novel reminiscent of Station Eleven by Emily St. John Mandel », couv.
MUHAHAHAHAHAHA, n'importe quoi !

"The Book of Joan" est un roman post-apo de Lidia 'Misfit's Manifesto' Yuknavitch. C'est un roman misfit, comme elle, et absolument pas un dystopique ou post-apo au sens habituel du terme.

Futur hélas trop proche. La Terre a été bouleversée au-delà du reconnaissable par la Géocatastrophe. Succédant aux Guerres Globales qui ont embrasé le monde et fait de chaque humain (homme, femme, enfant) un combattant ainsi qu'une victime à venir, la Géocatastrophe a anéanti presque toute l'humanité, remodelé la planète, et quasiment éteint la lumière solaire. Les seuls qui ont « échappé » au désastre sont une grosse poignée de privilégiés qui ont fui pour le CIEL – des stations en orbite – et y survivent depuis lors en pompant le peu de ressources qui restent à la Terre. Ils y vivent sous la férule de Jean de Men, un dictateur ploutocrate issu du monde de la célébrité facile (toute ressemblance...). Mais, incapables de se reproduire, ils sont les derniers de leur (notre?) espèce.
La seule à s'être opposé à de Men est Joan, une Jeanne d'Arc réinventée par Yuknavitch. Retrouvée, capturée, elle a fini brûlée sur un bûcher. Mais, à l'insu de tous, Joan a échappé à la mort ; et elle doit maintenant finir sa mission : initier un nouveau cycle pour la vie et la matière.

A partir de ce pitch, Yuknavitch aurait pu peut-être écrire un roman SF classique. Ce n'est pas le choix qu'elle a fait.
D'abord, quantité des événements du roman sont inexplicables par la science traditionnelle. Joan, enfant, a été habitée par une lumière et une chanson qui ne l'ont plus quittée. Elle y a gagné des dons miraculeux, jusqu'à celui de rendre brièvement la vie.
Ensuite, si les Guerres sont une suite logique des tensions et apories mondiales, la Géocatastrophe est largement d'origine surnaturelle.
Enfin, l'humanité – ce qu'il en reste – a subi une transformation radicale et inexpliquée. Métamorphosés en sorte de pantins parfaitement blancs, les humains ont perdu leurs organes sexuels et ne sont plus capables ni de s'accoupler, ni, a fortiori, de se reproduire.
Rien de tout cela n'a d'explication rationnelle. C'est advenu, c'est tout. Comme une conséquence de l'impasse que constitue l'humanité qui a fait de la vie – forme animée de la matière – un vouloir et un pouvoir alors que la simple existence de la matière est suffisante à l'expression de son essence.
Là où la Jeanne originale entendait Dieu, c'est l'univers qu'entend Joan, c'est à lui qu'elle est connectée, matière et énergie, c'est de lui qu'elle tire ses dons et sa mission. Elle est une sorte de Dr Manhattan, pouvoirs, vision, et détachement compris.

Sur ce fond, qu'il faut admettre pour pouvoir lire le roman, Yuknavitch raconte une histoire en trois parties, comme les actes d'une tragédie ou les panneaux d'un retable.

Livre I : Où l'on découvre la révolte de Christine Pisan et de son impossible amant Trinculo dans un  CIEL où l'on se scarifie pour créer et où le sexe est une offense capitale.
Livre II : Où l'on suit Joan et son amie Leone sur une Terre ravagée, de fuite en survie et de survie en fuite. On y entrevoit parfois les quelques humains restants, au-delà de toute aide possible. On y pressent la confrontation à venir.
Livre III : Où Joan, Christine, Leone et Trinculo se dressent contre de Men dans CIEL, et où Joan initie un nouveau cycle de la réalité.

Ce que raconte Yuknavitch c'est l'obscénité humaine. Des super riches bien sûr mais pas seulement. De l'humanité toute entière.
Ce qu'elle dit c'est la consubstantialité de l'humanité avec la création tout autant qu'avec la destruction.
L’aveuglement qui détourne l'humain de sa matérialité.
Le caractère inévitablement sexué de l'espèce humaine.
La rupture d'avec la parole qui signe celle d'avec tout sentiment humain.

Elle le fait dans un style d'une richesse folle, que le souci de vraisemblance ne limite jamais. Elle accumule les affirmations, empile les idées, élève un monument baroque qui captive le regard. Elle raconte les choses les plus incroyables sans jamais perdre un lecteur progressivement hypnotisé.
Elle renvoie l'humain a sa matérialité intrinsèque. Odeurs, humeurs, pisse, merde.
Elle place le sexe au centre. Comme nécessité vitale, comme soif inextinguible, comme crime capital de tous les totalitarismes. L'humain n'est pas qu'un pur esprit.
Elle décrit la mortification du corps, auto-infligée ou imposée comme sanction. Crémation, écorchement, aigle de sang. Corps détruits, mutilés, amputés. L'humain n'est pas qu'un pur esprit.
Elle décrit la mortification de l'humanité par elle-même (qui d'autre ?).
Elle décrit la mortification de la Terre par l'humanité.
Elle décrit le début (peut-être) d'une nouvelle histoire pour cette matière dont est constituée l'humanité ; nous sommes faits d'atomes de carbone inertes inchangés depuis des milliards d'années.

C'est barbare, violent, cruel. C'est une incantation primale. De la littérature sans limite.
C'est du post-apo, certes, mais au sens ultime du terme, et pour l'appréhender c'est vers Jérôme Bosch qu'il faut regarder, ou Ligotti, ou encore la fin du cycle d'Elric.

The Book of Joan,  Lidia Yuknavitch

Commentaires

Un livre qui a tout pour me plaire. De l’originalité dans le post-apo et une vision de l'humanité sans concession et particulière. Personnellement, j'adore lorsque l'auteur me parle de l'humain sans filtre.

J'espère qu'il y aura une traduction !
Gromovar a dit…
Time will tell ;)