La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Tokyo Ghost - Remender - Dredd sans la Loi


Urban Comics commence la publication VF de Tokyo Ghost, un comic dystopique de Rick ‘Black Science’ Remender, Sean ‘Punk Rock Jesus’ Murphy, et Matt Hollingsworth, avec ce tome 1 intitulé "Eden atomique".

2089, Los Angeles. Ce qu’elle est devenue, plutôt. La ville est, à l’image du monde on le suppose, un enfer pollué et ultra-violent dans lequel la misère est endémique et les pénuries de nourriture ou d’eau fréquentes. On meurt jeune, on tue pour manger, la vie est dure puis on meurt. La norme pour presque tous, mais pas pour tous. Au-dessus et comme en apesanteur, vit une ultra-classe de privilégiés qui ne connaît ni souffrance ni manque, et utilise le vulgum pecus comme une ressource bon marché infiniment jetable et sacrifiable.
Pour fuir cette réalité littéralement insupportable, le gros de l’humanité s’est plongé à corps perdu dans la télé-réalité la plus trash, les réseaux sociaux, les flux de vidéos, notamment pornos, et la réalité augmentée. L’opium du peuple de l’ère numérique.
Les plus atteints des accrocs, qualifiés de technotox, ne sont plus que des « zombies » complètement immergés dans le virtuel, et n’ont qu’une vague conscience de l’existence d’un irl. Certains finissent même par mourir, par oubli de s’alimenter.
Notre monde à la puissance mille. Nous n’y sommes pas ? Patience.

Ce qui fait tourner le monde de Tokyo Ghost, le robinet corporate qui alimente l’omniprésente machine à divertissement abrutissant, est une mégacorp nommée Flak, dirigée par un ordurier ploutocrate qui laisse l’eau de son bain à boire à ses domestiques. Si mort et massacre sont des spectacles, et parmi les meilleurs qui soient, il importe néanmoins que les spectateurs ne meurent pas en trop grand nombre sous peine d’affaiblir l’audience. C’est alors qu’interviennent Led et Deb, deux agents sous contrat de la Flak, qui servent de barres de contrôle au chaos ambiant quand celui-ci devient trop instable pour le climat des affaires en éliminant les agents perturbateurs – tels le tueur de masse Davey Trauma.
Là, Tokyo Ghost pourrait être une simple histoire de mercenaires violents en dystopie. Simple et très efficace. Elle est bien plus en fait.
Car Led et Deb sont un couple, l’union mal assortie de Led le surpuissant technotox décérébré, et de Deb, la seule ZeroTech de Los Angeles, immunisée au virtuel car pas équipée pour. Perdu à lui-même, asservi à son addiction, Led, une vraie machine à tuer, ne doit le peu d’humanité qui lui reste qu’aux efforts incessants de Deb - qui veut retrouver le garçon qu’elle a connu dans le drogué qu'il est devenu - pour le ramener au réel et lui rendre une vie à lui. Pour cela, elle imagine un plan qui doit, sous couvert d'une mission Flak, les amener à Tokyo, enclave dont on dit qu’elle serait dépolluée et ZéroTech. Qu’adviendra-t-il des efforts de Deb pour sauver Led ? Et de Tokyo ? Il faudra lire pour le savoir.

Comme le suggère sa couverture, "Eden atomique" démarre sur les chapeaux de roue. Violent, frénétique, très graphique, le début est époustouflant. On se croirait dans un bon Judge Dredd. Deux héros inhumains (sens de la justice exacerbée pour l’un, addiction numérique pour l’autre) et quasi invulnérables dans deux mondes où la vie ne vaut rien, souvent pas même d’être vécue. Beaucoup d'action et de violence. Et puis il y a la moto…
Mais il y a aussi dans le comic une richesse d’idées rares dans ce type d’œuvres.

Outre l’inégalité presque inimaginable du monde, l’indifférence des uns aux autres qu’entrainent la virtualisation des rapports sociaux, la tolérance à l’ignoble qui impose d’aller toujours plus loin dans l’abject pour espérer un peu de distraction, la gamification du monde (Pikachu ?) fort bien mise en scène, et l’euphémisation de l’horreur, c’est à l’abrutissement du monde que s’attaque Remender sur un ton qui rappelle à bien des moments le film Idiocracy ou l’excellente série Urban, de Brunschwig. C’est excellemment fait grâce à une accumulation de détails qui composent un tout cohérent.
C’est aussi la propension du système consumériste à tout annexer et détruire sans manifester la moindre once de moralité qui préside à la deuxième partie du récit, dans une Tokyo temporairement régénérée, où, en dépit d’une de ces coïncidences foireuses dont je ne suis guère friand, le récit est globalement bon, aussi attristant que désespérant.
Enfin, c’est une belle histoire d’amour qui porte le tout. L’amour de Led pour Deb qui l’a conduit bien imprudemment à devenir ce qu’il est, celui de Deb pour Led qui veut refaire de lui un être humain complet. C’est l’amour de deux enfants perdus sans famille qui n’ont chacun que l’autre sur qui compter et de qui tirer la force de lutter dans un monde en déliquescence.

Le dessin, nerveux et très détaillé, soutient parfaitement le récit et lui apporte une myriade d’informations visuelles qui construisent le monde à parts égales avec le texte - comme dans Urban ou Chew par exemple. Il sait aussi changer, s’orientaliser, quand le rythme et la cadre de l’histoire changent. Les couleurs, contrastées et lumineuses, parachèvent l’ensemble.

Qu’arrive vite le tome 2.

Tokyo Ghost t1, Eden atomique, Remender, Murphy, Hollingsworth

Je ne résiste pas à l'envie de montrer cet image où, sur le flux de Led, les auteurs se moquent d'eux-mêmes dans la langue improbable de l’époque.

Commentaires

GeishaNellie a dit…
Pour ma part, je ne suis pas sûre d'avoir aimé. L'histoire me plaisait, mais j'ai eu déjà difficulté avec le graphisme. Je regarde le volume 2 (dernier volume) et je ne sais toujours pas si je vais me lancer ou non.
Gromovar a dit…
Le graphisme c'est toujours ce qui fait qu'on a envie ou pas - a priori - de lire un comic, alors je comprends qu'on puisse être arrêté.
Mais l'histoire est vraiment sympa ceci dit.