La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Le géant enfoui : Vérité et réconciliation pour les Nuls

L’Angleterre ou ce qui la préfigure, juste après le règne d’Arthur. Axl et Béatrice forment un couple au crépuscule de leurs jours, des jours qu’ils vivent sans grand confort au sein d’une petite communauté qui ne leur montre guère de chaleur. Ils ont un fils, mais il est parti vivre ailleurs. Quand ? Pourquoi ? Il n’y a pas de réponse précise à ces questions au début du roman. D’ailleurs, peu de réponses précises à quoi que ce soit sont disponibles. Un brouillard d’oubli semble recouvrir le pays. La mémoire s’efface, celle de l’Histoire d’abord, puis celle des personnes. A tel point qu’Axl et Béatrice craignent d’oublier même qui ils sont l’un pour l’autre et quel amour les unit. Une seule chose reste sûre, stable, solide : leur fils ne vit pas loin, dans un village à deux grosses journées de marche environ. Et, quand le roman commence, Axl et Béatrice viennent de prendre la décision d’aller revoir ce fils si longtemps perdu de vue. Commence alors pour le vieux couple un voyage éprouvant à travers un pays plein de menaces sourdes et d’inquiétante magie. Un voyage qui va changer le pays lui-même.

Si le voyage d’Axl et Béatrice est périlleux, c’est pour plusieurs raisons.

D’abord, les deux vieillards sont fragiles, il leur faut se ménager et ne pas présumer de leurs forces dans un monde où le moindre accident peut être fatal. Ni pompiers ni secours d’urgence au milieu du wilderness dans le pays des Britons.

Ensuite, le pays est risqué. Il y a les ogres et leurs assimilés, les sorcières éventuelles, les bandits possibles, les soldats du chef de guerre briton Brennus, les saxons avec qui on est en paix mais dont on se méfie quand même, de saints moines auxquels on n’est pas sûrs de pouvoir faire confiance, et puis ces bateliers, fourbes au visage avenant, qui séparent les couples et, tels de funestes passeurs, déposent leurs passagers sur des iles où ne les attend qu’une solitude sans fin.

Et puis, il y a l’oubli. Un sort, un brouillard d’oubli qui semble avoir saisi le pays, rendant la pensée confuse et la réalité incertaine, un brouillard d’oubli qui inquiète tant Béatrice qui craint d’y perdre son amour. D’où vient-il ce brouillard ? Peut-on le lever ? Si oui, comment ? Et surtout, si oui, le faut-il ? Est-ce une bonne idée ? Oublier, est-ce la perte d’identité et de substance même que redoute Béatrice ou la condition sine qua non de l’apaisement après l’horreur comme semble l’inférer Axl ? Recouvrer la mémoire, est-ce le premier pas vers la justice ou le réenclenchement de la spirale de la vengeance ? Mais de quoi parle-t-on ? Qu’a vécu le pays ? Quel rôle a joué et joue encore ce Gauvain vieillissant - et Don Quichottesque - qui croise sans cesse le chemin du couple ? Qu’a ordonné Arthur ? Quelle parole fut brisée ? Et, last but not least, qui sont en réalité Axl et Béatrice ?

J’ai entamé "The Buried Giant, aka Le géant enfoui" avec un à priori très positif. L’auteur de The Remains of the Day ne saurait mal faire, pensais-je. Hélas, je me trompais.

Du côté des qualités, "The Buried Giant" est un roman joliment écrit, dans un style classique mais limpide. Kazuo Ishiguro est un habile littérateur, ça se vérifie dès les premières lignes qui présentent l’Angleterre de l’époque de manière fort subtile. Il est aussi un perfectionniste qui cisèle ses phrases tout le roman durant ; c’est agréable.

On ajoutera à cette première louange une seconde pour le thème abordé. Développant une allégorie de fantasy sur 400 pages, c’est de notre monde, de nos guerres civiles, de l’oubli et de la mémoire dont parle Ishiguro. Le thème est donc important. D’autant qu’à la différence de Jacobson, l’approche fantasy permet de justifier l’oubli bien mieux que ne le fait l’auteur de J sur une thématique proche mais avec un traitement réaliste.

Mais le roman souffre de trois défauts rédhibitoires imho.

D’une part, l’allégorie est tellement évidente (car le roman est très didactique en plus d’avoir été expliqué au long d’innombrables interviews) qu’elle ne véhicule au final qu’un symbolisme nunuche à destination des pauvres en esprit. Quand l’allégorie devient bijection, je lâche l’affaire.

D’autre part, le rythme est, volontairement j’imagine, très lent, exprimant le ralentissement du pays sous l’effet de l’oubli forcé. Pourquoi pas ? Mais comme l’allégorie est basique, la lenteur ne sert pas à donner le temps de la compréhension, elle donne juste le temps de s’ennuyer à mourir à regarder un tour de magie dont on a compris le truc.

Enfin, aucun des personnages, tant en raison du flou qui les entoure qu’en raison d’une mise en scène souvent irréelle, n’accroche le lecteur. Ni les tourtereaux qui se donnent des mots d’amour et geignent beaucoup trop, ni le rodomont chevalier Gauvain, ni les deux jeunes saxons qui les accompagnent n’inspirent la sympathie ou l'intérêt. Jamais. On lit donc en se disant que le thème est bien intéressant mais que, pour le coup, un roman réaliste aurait mieux touchée la marque.

The Buried Giant, VF Le géant enfoui, Kazuo Ishiguro

Commentaires

Comme toi, je l'ai entamé avec un a priori très favorable. Je ne l'ai même pas fini. On jurerait du Gene Wolfe sans la classe...
Gromovar a dit…
Yep. Une vraie déception.
Efelle a dit…
On est bien d'accord.