La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Vaincus, encore


De "Royaume de vent et de colères", le premier roman de Jean-Laurent Del Socorro publié chez ActuSF, je savais deux choses. Un, fantasy historique, genre que je ne goute guère. Deux, narration au présent, style dont je ne suis guère friand.
Mais il y avait aussi l’Histoire, et Marseille. Marseille rebelle puis Marseille matée, comme toujours. J’étais donc plus que dubitatif, et l’envie de ce roman lire le disputait sans cesse à celle de ne pas m’en approcher. Une opportunité me fit basculer. Tant mieux.

"Royaume de vent et de colères" est un roman court situé en 1596, au moment où l’éphémère rébellion marseillaise, menée par Charles de Casaulx, premier consul et despote ligueur en rupture de Ligue, tombe face aux armées d’Henri IV, roi converti progressivement reconnu comme légitime par tous, hormis, semble-t-il, une poignée d’irréductibles marseillais. Cette fois-ci il n’y eut pas de siège, contrairement à 1524 et surtout à 49 avant JC (une fois encore la ville avait choisit le mauvais cheval), car Casaulx fut assassiné - l’Histoire dit « par Pierre de Libertat », le roman dit autre chose - et les portes de la ville furent ouvertes aux armées royales, ce qui offrit Marseille sans grand combat à ses conquérants. La monarchie continua longtemps après à se méfier de la cité phocéenne, en témoigne la construction, autour de 1660, du Fort Saint Nicolas, destiné à contrôler et à mater la ville le cas échéant.

Dans "Royaume de vent et de colères", Del Sorocco invite le lecteur à suivre les destins de personnages plongés au cœur des ravages du siècle : Victoire - prénom cher au préfacier Ugo Bellagamba – vieille femme impitoyable à la tête d’une guilde d’assassins, Axelle, ancienne capitaine mercenaire devenue tavernière dont la détermination m'a parfois rappelé la Chien du Heaume de Niogret, Armand, religieux et sorcier en rupture de ban, Gabriel, vieux chevalier catholique au passé lourd de souffrances, et Silas, assassin trahi qui raconte l’histoire à celui qui le torture.

Le lecteur passe sans cesse de l’un à l’autre dans une succession de chapitres très courts qui évoquent autant un montage cut que la construction de certains romans policiers - Les rivières pourpres de JC Grangé me sont immédiatement venues à l’esprit.

La première partie du roman est une sorte de kaléidoscope à la Milliards de tapis de cheveux dans lequel chaque point de vue démarre à peu près quand et où s’achevait celui qui le précédait, le témoin passant d’un personnage au suivant et entrainant le lecteur dans les rues et les lieux d’une ville qui attend avec tension l’arrivée des armées royales.

La deuxième partie plonge dans le passé des protagonistes du récit. De nouveau les chapitres courts se succèdent, mais cette fois plus d’effet de relais, les lieux et les dates sont différents ; il n’y a guère que vers la fin que les fils commencent à se rassembler.

Enfin, troisième partie, l’entonnoir se resserre, chaque personnage va vers l’affrontement et la conclusion logique de fils biographiques parfois entamés des décennies auparavant. L’Histoire en convulsion sert alors de catalyseur, déclenchant ces réactions finales qui transformeront ou bruleront les personnages. Les histoires personnelles sont dénouées ou conclues par la rencontre brutale avec l’Histoire du Royaume et celle de la VIIIème Guerre de Religion finissante.

Rapide, vif, captivant, "Royaume de vent et de colères" offre aux lecteurs des personnages riches, au présent simple mais au passé complexe, dont le Moi est l’aboutissement d’une longue construction biographique, comme si chaque événement avait gravé une ride indélébile sur le visage de leur être. Il les invite à revisiter, en profondeur mais sans didactisme, une période noire de l’Histoire de France et une des nombreuses périodes troublées de l’Histoire de Marseille. Il met en scène et en action des valeurs et des sentiments forts : loyauté, lâcheté, volonté de rachat, dignité, courage, détermination, et colère.

De la fantasy, il n’y en a que vraiment très peu, jamais assez pour rendre l'Histoire absurde. Les phrases au présent servent le récit en plaçant le lecteur face à une vue « caméra sur l’épaule ». Enfin, "Royaume de vent et de colères" fait du marseillais sans faire de l’exotique, et ce n’est pas la moindre de ses qualités. Aucune partie de cartes dans le roman ; on y joue aux échecs.

Beau début.

Royaume de vent et de colères, Jean-Laurent Del Socorro

Commentaires

Baroona a dit…
Un excellent roman rempli de qualités. Ravi que tu l'aies apprécié ! =)
Gromovar a dit…
Tout à fait. Une lecture plaisante.
Totirakapon a dit…
"Rapide, vif et captivant", je crois que tu as trouvé les bons termes pour décrire ce récit.
Le roman est court et découpé en chapitres de seulement quelques pages chacun, on change de point de vue à chaque fois pour découvrir les événements par les yeux de chaque protagoniste et on assiste plusieurs fois à la même scène d’un point de vue différent pour mieux passer d’un narrateur à l’autre. Ce procédé est très bien maîtrisé et jamais artificiel.
Et puis ça se passe à Marseille, je me suis amusé à retrouver quelques lieux connus...Même si la ville était limitée à quelques quartiers autour du Vieux Port...J'aurais bien aimé voir insérée une carte de la ville à l'époque...
Gromovar a dit…
Vrai qu'une carte aurait été très plaisante à voir. Surtout pour réaliser à quel point la ville était minuscule par rapport à aujourd'hui.
shaya a dit…
En tout cas il a l'air très sympathique ce roman, l'histoire de Marseille n'est pas quelque chose que je connais, mais je découvrirais bien avec plaisir !
Gromovar a dit…
Tu peux tenter sans grand risque pour ton temps, ça se lit vite.
Vert a dit…
Je n'ai plus qu'à me le procurer quoi ^^
Lorhkan a dit…
Bon bon bon... Avec toutes ces bonnes critiques, il va vraiment falloir s'y intéresser.
Court, pas cher, pourquoi hésiter ?^^
Gromovar a dit…
Pourquoi en effet ?
Escrocgriffe a dit…
Belle idée que d’avoir choisi Marseille pour cette fantasy historique, sans parler de cette rébellion méconnue… Il faut que je lise ça un jour ;)
Gromovar a dit…
Ca te plairait sûrement.