La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Humankind as a dead media


"Accelerando" est un roman de Charles Stross, publié originalement en 2005, et aujourd’hui, dans une traduction française, par Piranha.

Lauréat du Locus 2006, nominé pour le Hugo et quantité d’autres Prix, "Accelerando" est sans conteste un roman - ou faut-il dire une série de nouvelles publiées antérieurement avant d’être reliées biographiquement dans un texte unique ? - important, en dépit de ses imperfections. Et si je vous dis qu’un des premiers actes du roman voit la prise de contrôle de robots spatiaux par des consciences de homards numérisées, vous comprendrez que je ne mens pas.

Au début du troisième millénaire, Stross - plus connu en France pour son cycle de la Laverie, piquant mashup pastiche de Lovecraft et de roman d’espionnage – imaginait, avec "Accelerando", que le monde se lançait dans l’accélération, une marche en avant volontariste vers la Singularité technologique, moment de bascule où l’évolution technique permettra l’intelligence artificielle et la numérisation des consciences. L’humanité parviendra alors à quitter son hardware de viande et à créer autour d’elle un écosystème nouveau de consciences synthétiques dont elle ne sera qu’une partie parmi d’autres. Cerise sur le gâteau, elle entrera peut-être aussi en contact avec les civilisations extra-terrestres qui ont déjà sauté le pas. « Quitter le puits de gravité », l'horizon de Neuromancien, is so passé ; c’est de quitter le hardware si lent de la chair qu’il s’agit ici.

"Accelerando", manifeste transhumaniste et prophétie peut-être autoréalisatrice, raconte ce passage à travers le destin de trois générations successives de la famille Macx.

Du début à la fin du XXIème siècle, le lecteur suit donc les destins de Manfred, génie altruiste et militant de la gratuité et de l’économie de l’abondance, Amber, sa fille par inadvertance qui se taille un royaume dans les environs de Jupiter et envoie l’une de ses consciences à la rencontre d’entités extraterrestres, et Sirhan, le fils d’Amber, aux multiples enfances virtuelles, né dans l’espace et témoin des derniers moments de l’humanité au sens où nous entendons le mot. Les accompagnent dans cette épopée Pamela, ex-femme de Manfred et mère d’Amber, qui refuse le changement, ainsi qu’AINeko, un chat doté d’une intelligence artificielle bien peu commune.

Le roman commence « aujourd’hui », presque. Le monde d’Accelerando est le nôtre, que Stross exagère juste un peu en le poussant à son évolution logique. Une Terre totalement mondialisée, des gouvernements tous plus ou moins en faillite, des mégacorps dominant la vie sociale. Le capitalisme, surtout dans sa forme contractuelle et libertarienne, est le mode d’organisation normal du monde. Tout est contrats, sociétés, droits de vote, royalties. Mais, là où un Gibson inventait le futur de Neuromancien, noir, violent, peuplé de cadres très supérieurs et de mercenaires, Stross imagine une réalité tout aussi augmentée, violente certes, mais dans laquelle la popularité sert de monnaie (pour certains en tout cas, qu’on se souvienne de Dans la dèche au Royaume Enchanté de Doctorow), et où est caressé le rêve d’un monde débarrassé de la rareté, le rêve d’une économie de l’abondance peuplée d’IA et de consciences numérisées vivant des vies et des expériences sans fin en laissant la manipulation de la matière aux nanos, une économie qui serait un premier pas vers la Culture de Banks ou L’âge de diamant de Stephenson. C’est une utopie de l’homme libéré du besoin et du temps qu’imaginent Manfred et son entourage. Pamela, son ex, n’adhèrera jamais à l’idée et la refusera de façon militante, Adamiste hamiltonienne dans un monde d’Edenistes en marche.

D’année en année, au long du XXIème siècle d’abord, de développements techniques en sauts conceptuels, l’humanité fait du corps biologique un support obsolète. La conscience peut tourner tellement vite et mieux dans une simulation informatique. Copies de soi (mais qu’est ce que Soi ? Existe-t-il seulement un Soi unique et identifiable comme par un checksum ?), mondes dans les mondes, fils de pensée parallèles, réglage de la vitesse du système dans lequel tourne la conscience et donc de la pensée elle-même, le monde de Stross se dirige vers celui décrit par Rajaniemi dans la brillante trilogie du Voleur quantique, finissant par aller à la rencontre de consciences étrangères dans une résolution élégante du paradoxe de Fermi.
Ajoutons-y des projets de Sphères de Dyson, voire de Matrioshka Brains, et j’en passe. Je le répète, "Accelerando" est un manifeste transhumaniste de la meilleure eau, indispensable à tout lecteur de SF conséquent.

Hélas, dans ce grand roman d’idées, les personnages souffrent d’une incarnation trop faible, et qui ne tient pas à leur état parfois bien peu physique. C’est le défaut principal du livre, un point faible qu’on trouve aussi parfois chez Doctorow, mais qu’importe, on est abasourdi par la masse d’idées et d’informations brassées par le texte.

Enfin, parlons de la traduction. Il faut savoir qu’Accelerando est disponible en téléchargement gratuit VO sous licence Creative Commons (économie de l’abondance quand tu nous tiens !). Alors faut-il acheter "Accelerando" en français ? Si on peut lire en VO (mais tout n’est pas très accessible), il vaut mieux le faire. La traduction est faible et ne rend pas justice à un roman qui, s’il n’est pas d’un grand styliste, méritait mieux. Si on n’ose pas tenter la VO, alors va pour la VF, le fond le justifie, en sachant bien qu’on devra faire avec une version française dont on aurait voulu qu’elle fut autre.

Accelerando, Charles Stross

Commentaires

Anonyme a dit…
>>>>La traduction est faible et ne rend pas justice à un roman qui, s’il n’est pas d’un grand styliste, méritait mieux

Ah merdouille. Des années que j'attends une traduction, la joie d'apprendre qu'elle va finir par sortir...et maintenant on me dit que cette traduction n'est pas terrible ?
C'est vraiment moche ? Tu as des exemples ?
Gromovar a dit…
Pas pris de notes personnellement (je lis au lit) mais quelques collègues l'ont fait. Je les cite donc (ils se reconnaitront s'ils passent dans le coin) :

"Spring-Heeled Jack" traduit par "Jack-Agiles-Talons"

“I -” He shakes his head, which hurts.
- Je... (Il hoche la tête.) Ouille.
...
(...) there are ten microprocessors for every human being (...)
(...) on compte dix millions de microprocesseurs pour chaque être humain (...)
...
Et les "lobsters" sont devenus des "langoustes".

"Pas vraiment le gars que tu me verrais voter pour, non ? Alors, que m'imagine-t-il pouvoir faire pour lui ?"

"his brain feels like a surgical scalpel that's been used to cut down trees"
->
"il a la cervelle aussi rabotée qu'un scalpel de chirurgien qu'on aurait utilisé pour abattre des arbres."
...
Toujours la même page :
"He can't spin off threads to explore his designs for feasibility and report back to him."
->
"il ne peut plus lancer des sondes explorer ses projets de faisabilité et lui rendre compte ensuite."

Lorhkan a dit…
Dommage pour la traduction, pas hyper adroite en effet au vu de exemples que tu donnes...
Ceci dit, le fond semble vraiment mériter qu'on s'y penche.
Bonome a dit…
Je vais le tenter en VO (même si je sens que je vais souffrir vu mon niveau d'anglais) et j'espère pouvoir m'entretenir avec le monsieur aux Imaginales (oh joie). Le sujet me botte bien en tout cas (les homards de l'espace, ça m'a fait penser à Stephen Baxter et ses calamars dans "Temps").
Gromovar a dit…
L'espace-temps est truffé de crustacés ;)
Tigger Lilly a dit…
Ça se laisse lire sinon ?
Gromovar a dit…
Ca ne contre-attaque pas en tout cas ;)

Faut aimer les idées, plus sérieusement.
Herbefol a dit…
Les "lobsters" de la vo sont plusieurs fois appelé "spiny lobsters" qui sont bien des "langoustes", il n'y a donc peut-être pas erreur sur ce point. :-)
Gromovar a dit…
Possible en effet que le cas des langoustes ne soit pas clair :)

Ca n'enlève rien au reste des phrases d'un français douteux ;)
Vert a dit…
Je crois que tu m'as un peu paumé avec ton billet, j'ai un peu peur de lire le roman du coup xD (même si j'ai bien envie de lire d'autres Charles Stross)
Gromovar a dit…
C'est super intéressant mais un peu traduit avec les pieds. Up to you !
nolive a dit…
Méat coule pas (c'est pour rester dans le ton Bonnefoy) pour les langoustes. Mais pour le reste... Les quelques exemples cités (tous issus d'une seule page !) ne rendent pas justice à l’extrême pénibilité de la lecture en VF. J'ai eu l'impression de devoir lutter physiquement avec chaque paragraphe pour pouvoir avancer.
Et je confirme ce que dit Gilles D. ailleurs ; les personnages manquent sérieusement d'incarnation.
Gromovar a dit…
"Pas vraiment le gars que tu me verrais voter pour", c'est quand même la grande classe.

Sinon, Gromovar n'est pas l'identité secrète de Gilles D. ;)
Anonyme a dit…
Cela fait très longtemps que je n'ai pas été déçu à ce point par un roman, et je lui décernerais bien, pour ma part, le titre de livre le plus pédant de la décennie. Il est probable que cette impression soit encore renforcée par la traduction française, qui laisse sérieusement à désirer. Ceci dit, le roman aligne tellement de termes techniques par phrase, et la narration en est parfois tellement décousue que ça ne devait pas être simple à traduire !

Pour ceux qui auraient des velléités de découvrir ce roman, quelques exemples au hasard :

"Le culte des ancêtres prend une signification toute nouvelle quand les vecteurs d'état de tous les précurseurs d'entités filiales sont archivés"… "Un excursion sémiotique incontrôlée est en cours"…"Un réseau classique de compagnies indépendantes, instanciées sous la forme d'automates cellulaires au sein de l'environnement commuté du service juridique de l'Imperium de l'Anneau"…

Et c'est comme ça sur 500 pages. Dans Accelerando, les personnages ne partent pas à la découverte de l'espace lointain : ils "instancient un spectre dans le carnespace". Ils ne tombent pas amoureux et font des enfants, mais "fusionnent leurs phénotypes afin de filialiser leurs ADN mitochondrial". Ils ne changent pas d'avis : ils "réorientent leur vecteur d'état".

Ad nauseam. En oubliant au passage de construire une véritable histoire.
Gromovar a dit…
Nous sommes au moins d'accord sur la traduction ;)