La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Future for Dummies


Difficile d’écrire une chronique qu’on n’a pas envie d’écrire. Pas envie car on aimerait dire qu’on a vraiment aimé et qu’on ne le fera pas. Pas envie car après s’être beaucoup ennuyé en lisant, la rédaction d’une chronique ressemble à la dernière station du calvaire.

"The Peripheral" de William Gibson donc.

Le livre avec lequel la légende revient à la SF pure après trop longtemps erré dans les arcanes, forcément passionnants n’est-ce-pas, de l’überclass. On imagine comme il était attendu. Par moi, les autres, le monde. Et bien, ce n’est pas une réussite imho.

The sky above the port was the color of television, tuned to a dead channel”. C'est si loin. Hélas ! On ne refait jamais son premier livre, ni le meilleur.
"The Peripheral" est donc un long pensum, jamais palpitant, qui a obtenu des critiques dithyrambiques de tout ce que la presse US compte de reviewers. On n’a pas dû lire le même livre.

Deux fils narratifs. Le futur proche, dans l’Amérique rurale, et un futur plus lointain de quelques décennies, à Londres. On ne comprend le lien entre les deux fils que vers la page 80. Je ne dis pas ce qu’il est pour ne pas spoiler, juste qu'il ne faut pas être trop regardant sur la plausibilité.

Sur le plan du style, Gibson fait se succéder les chapitres (124 pour 485 pages) minuscules. On y lit des phrases régulièrement très courtes, des dialogues du même tonneau, le tout souvent dépourvu de verbe conjugué, au point qu’il est parfois nécessaire de relire pour être sûr de qui parle à qui et de quoi. On est ici au-delà du cut, plutôt dans l’épilepsie.
De plus, la plupart des actions se passent hors champ. Parfois on n’en voit que la toute fin, parfois elle sont commentées après coup par les personnages, suscitant dans les deux cas un sentiment d’extériorité qui rend chimérique toute volonté d’immersion dans le récit.
Enfin, c’est descriptivement sec, minuscule, étique. Il y a un monde, c'est clair, mais on n’en voit pas grand chose à part quelques détails, des widgets verbaux, censés donner l’impression qu’il y a une réalité derrière la scène sur laquelle se déroule ce qu’on doit appeler action même s’il n’y en a guère. Après le « Show, don't tell » de bon aloi d'un Rajaniemi par exemple, Gibson fait le pas de trop avec son « Don't show, don't tell, let them guess ». Il livre, de fait, une littérature entre écran d’accueil de smartphone et présentation Powerpoint.

En ce qui concerne le fond, c’est dramatiquement mou. Un meurtre au début, un autre peu après, ailleurs, toujours suffisamment flous pour ne pas être le moins du monde impliquants. Un témoin qui pourrait identifier un meurtrier et 400 pages à se préparer à l’identification. Puis une fin rapide, presque Deus ex machinesque, dans une prison de Newgate reconstituée pour l’occasion comme un parc d’attraction avec un méchant qui rappelle les malfaisants de série B des années 50. Entre les deux, ça parle, ça développe peu des personnages dont globalement on se fout, ça offre une pseudo-révélation censée ébouriffer le lecteur sur les bizarreries qu’amènent les manipulations temporelles. C'est peu.

Alors, bien sûr, il y a quelques idées. En vrac : on imprimera plein de choses en 3D, il y aura plein de drones qui serviront à plein de trucs, la génétique permettra de créer des clones anencéphaliques qu’on pourra utiliser comme des périphériques personnels, l’argent c’est de l’information, la finance contrôle le monde, l’avenir du monde est à la soft apocalypse, les riches s’en tireront mieux que les pauvres quand ça arrivera et ils continueront d’autant plus après leur vie de ploutocrates obscènes, assistés qu’ils seront par des nano constructeurs, etc. Que du bel et bon, mais rien dans le récit qui soutienne l’intérêt.
Le style et les choix narratifs ne sont pas engageants et tout ceci a déjà été fait, souvent mieux :
Pour la manipulation du passé, il dit lui-même qu’il a pris l’idée à Bruce Sterling. Pour les drones, voir Westerfeld et Les légions immortelles. Pour l’impression 3D, Doctorow et Makers. Pour la possibilité de revêtir un clone après avoir transmis une conscience sous forme numérique, Morgan et Carbone modifié. Pour la soft apocalypse, qui d'autre que Will McIntosh et Notre fin sera si douce ? Pour les riches, presque toute la littérature dystopique. Pour les nanos, Neal Stephenson et L’Age de diamant. Pour l’inégalité et la capitalisme qui dominent le monde, le Capital de Karl Marx n’est pas mal. J’arrête, je vais lasser.

"The Peripheral" est donc un roman étique en terme de littérature, une sorte de Powerpoint qui se déguise en objet complexe alors qu’il ne fait que vulgariser sans profondeur des conjectures techniques ou sociétales bien connues dans le genre. C’est un roman de SF difficile pour dummies. En France, la collection s’appelle « Pour les Nuls ».

William Gibson ferait mieux de continuer à gagner très bien sa vie en faisant des conférences sur le futur tel qu’il le voit et ne plus tenter d’en faire des romans. Quelques flashes ne font pas un objet littéraire ; je ne vois que les personnages du consternant Love is Strange (de Sterling justement, qui se ressemble s’assemble) pour être des lecteurs ébouriffés par son "The Peripheral".

The Peripheral, William Gibson

Commentaires

Anonyme a dit…
Tiberix : ouch...
Gromovar a dit…
Pour le grand public, en version comment croire qu'on est profond parce qu'on lit des livres qu'on ne comprend pas.
Lorhkan a dit…
Ouch bis...
Ce sera traduit ?
JeFF a dit…
cela étant dit cela fait longtemps qu'il n'est plus ni lisible, ni pertinent, le Gibson. Ses derniers titres 'überclass' avec l'expertise marketing qui gerbe devant le bibendum michelin, etc, c'était bof, très bof ...
Gromovar a dit…
Plutôt d'accord.
John Warsen a dit…
Merci pour la dissuasion efficace alors qu'il me faisait de l'œil dans la vitrine de la librairie l'atalante.