La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

L'excellent jet prismatique est de retour


Difficile exercice de commenter un livre hommage à Jack Vance, auteur dont j’avais lu le « Cycle de la Terre Mourante » adolescent et plus rien depuis. Est-ce dans le ton ou pas ? J’avais adoré le Cycle; j’ai un souvenir du ton, mais il est lointain. Et pourtant, la lecture des nouvelles rassemblées dans "Chansons de la Terre Mourante" m’a ramené, avec grand plaisir, des années en arrière. Le pari est donc réussi.

Parler de Jack Vance est difficile aussi. Sur des auteurs devenus classiques, tant a été écrit qu’il est presque impossible d’innover. Sur la Terre Mourante, cette Terre à la fin des temps, tournant autour d’un soleil agonisant, et attendant dans la nostalgie et le désespoir la nuit définitive, cette Terre peuplée d’humains en décadence, de monstres absurdes, d’esprits et de démons, que même la plupart des magiciens ont fui vers des dimensions innommables, que dire aussi qui n’ai déjà été dit ?

Tranchons le nœud gordien par une comparaison (et même celle-ci , personnelle et biographique, n’est pas originale). Dans la même paire d’années, j’ai lu Les Mille et Une Nuits et Un monde magique. A l’époque je n’ai pas fait le lien. Impossible de réunir logiquement un américain du XXème siècle et un ou plusieurs arabes inconnus du XIIIème. Avec plus de recul, au fil de mes lectures, j’ai progressivement vu dans la Terre Mourante les Mille et une Nuits de l’Occident. La Terre mourante est peuplée de démons, d’esprits, de sorciers, d’objets magiques innombrables, de monstres, de grottes, de palais somptueux ou en ruine, etc. On y fait des pactes avec des êtres non humains, on y boit des potions, on s’y mire dans des miroirs magiques, on y succombe à des illusions. Le lecteur y suit les pérégrinations de héros facétieux et brillants, corrompus et cupides, sensuels ou déprimés, répugnants ou séduisants, toujours extrêmes dans leur singularité et leur destin. Les décors sont terrifiants, surprenants, chatoyants, inoubliables ; rien n’est trop coloré, trop grand, trop baroque pour Vance (et pour ses continuateurs ici). Le merveilleux qui a bercé mon enfance avec ces Mille et Une Nuits en contes qui précédèrent leur découverte intégrale est présent à l’identique dans La Terre Mourante. Et si j’écrivais au-dessus que le ton y était, c’est parce que j’ai de nouveau été investi par ce merveilleux qui rend la réalité si fade. Ces textes amènent le plaisir de l’émerveillement ; dans un monde désenchanté ce n’est pas si fréquent.

Mais il ne suffit pas d’accumuler les éléments incroyables. L’œuvre de Vance est porté par sa gouaille, son ironie, son sens de la description. Elle est remplie de lumière, de couleurs, d’odeurs, de goûts. On y croise des personnages tortueux et lascifs, amateurs de bons vins, de bonne chère, de plaisirs autre encore. On y mange et on y boit beaucoup ; on tente aussi de profiter des opportunités. Comment vivre quand la Fin est proche ?

La quête du plaisir accompagne une perte de la morale commune et, sur la Terre Mourante, ce n’est pas souvent le plus héroïque ou le plus noble qui gagne. C’est plutôt le plus rusé, le plus malin, le plus roué, le moins moral ; mais c’est aussi parfois la Chance qui choisit seule qui elle favorise. Les héros de Vance arrivent souvent premier dans un concours de circonstances, pour le plus grand plaisir du lecteur tant l’enchainement des évènements fait de leur succès une évidence acceptable.

Répétons ici que les textes rassemblés dans "Chansons de la terre mourante" rendent justice au cycle original. Ils sont donc globalement fort appréciables.

Le meilleur est pour moi « Le Cru véritable d’Erzuine Thale » de Silverberg (avec peut-être le Martin). Décadent à plaisir, le fond y rejoint la forme d’une manière brillante par l’objet qui est au cœur du récit. Il fallait oser résoudre un problème comme le fait faire Silverberg à son héros ici.

« L’université de maugie », de Byron Tetrick, est amusant comme l’embryon d’un Harry Potter pour adultes. On y retrouve avec plaisir le facétieux Cugel, guère à son avantage.

« Abrizonde », de Walter Jon Williams, illustre à merveille comment le lâche ou le chanceux peuvent prospérer dans la mourante Terre. Bien écrit et bien vu.

« Une nuit au chalet du lac », de George RR Martin, est une inquiétante histoire de coupe-gorge. Nul n’aimerait passer la nuit dans cette auberge. Le chaleureux lieu de rencontre rebattu des héros de fantasy (penser à l’Auberge de dernier refuge au début de la saga Dragonlance par exemple, comparaison tout sauf anodine lorsqu'on sait combien Vance a inspiré Gary Gygax) semble ici vu à travers un miroir déformant. Très bon texte.

« La dernière quête du mage Sarnod », de Jeff Vandermeer, permet de retrouver des personnages du cycle original. Bien écrit, je lui reprocherai d’être un peu trop sérieux.

Moins réussis imho :

« La porte copse», de Terry Dowling, est dispensable, sauf à vouloir écrire un compendium de la magie de la Terre mourante.

Dans « Le bon magicien », malgré une histoire à enjeux élevés et pas déplaisante à lire, Glen Cook réussit par moments à être aussi incompréhensible que dans certains passages de La compagnie Noire.

Chansons de la Terre mourante, tome 1, Anthologie

Ces nouvelles participent au Challenge JLNN

Commentaires

Anonyme a dit…
Salutations,
Globalement d'accord avec ton article, à une ou deux nuances près.
Concernant le Vandermeer, je ne l'ai pas trouvé "trop sérieux", juste décalé au point de rester dubitatif, du moins au début.

yossarian
Vert a dit…
Merci pour cet avis, j'hésite un peu à me lancer dans l'aventure maintenant que j'ai fini la Terre Mourante. Je tenterais peut-être l'aventure en numérique !
Gromovar a dit…
@ Vert : Vas-y :)

@ Yossarian : je trouve qu'il manque un peu d'ironie vraie au Vandermeer. Et je suis aussi globalement d'accord avec ton article.
Efelle a dit…
Je dois le lire cet été, Yossarian m'ayant convaincu.
Tu me confortes dans ma résolution.
Gromovar a dit…
Si tu n'aimes pas, ça sera sa faute ;)
Efelle a dit…
Le casting est quand même beau (sur ce seul premier tiers) et les retours bons.
Lorhkan a dit…
Je compte finir "La Terre mourante" d'abord, mais je ne manquerai cette anthologie en trois volumes !

Et intéressante comparaison avec les Milles et Une Nuits, ça a du sens en effet !
Gromovar a dit…
Grazie mille :)