La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Un héros anonyme


Naissance d’une nouvelle série de one-shots thématiques chez Delcourt, « L’homme de l’année ». Elle se propose de mettre en scène un personnage anonyme, admirable ou répugnant, d’une année charnière de l’histoire. Ce n’est pas de l’uchronie, pas de l’histoire secrète, disons alors de l’histoire discrète, même s’il est question ici d’un pied de nez fait à l’Histoire avec un grand H. Comme si on découvrait que le Louis-François Pinagot d’Alain Corbin avait eu à son insu un destin exceptionnel inconnu de tous.

Pour sa première installation, sobrement intitulée "1917", la série a choisi de raconter la « véritable » histoire du Soldat inconnu. Et c’est une vraie réussite.

"1917" raconte la guerre d’un de ces hommes qui furent envoyés d’Afrique noire en France métropolitaine pour combattre dans les tranchées de la guerre de 14. Tirés de leur pays, et sans doute plus encore de leur monde, pour participer à un conflit qui ne les concernaient pas, souvent sacrifiés par des généraux qui les considéraient, plus encore que les blancs si c’était possible, comme de la chair à canon, ils découvrirent l’horreur d’un conflit effroyable, le froid, la neige, le désespoir qui finissait par tuer presque autant que les obus.
Ils furent plutôt bien acceptés par les biffins blancs qui admiraient souvent leur valeur guerrière, et terrorisaient des allemands dont les propagande disaient d’eux qu’ils se livraient au cannibalisme dans les tranchées.
Certains étaient volontaires. Pas tous, loin de là. Les révoltes contre l’enrôlement forcé furent nombreuses et entrainèrent des milliers de morts, parmi ceux qu'on appelait les « indigènes », lors de répressions sanglantes. La guerre, secondée par l’esprit colonial, tua donc même là où elle n’était pas.

La « force noire » de Mangin perdit plus de 30000 hommes durant les combats. Leur sacrifice ne fut reconnu que bien des années plus tard.

Par delà l’énorme intérêt historique et moral qu’il y a à remettre en lumière le sacrifice imposé de ces hommes, l’album vaut par une histoire qui est magnifique. On y voit les contradictions de la colonisation (illustrées par les figures de deux colons moralement très différents, même si le système colonial leur paraît évident à tous deux). On y vit les grandes batailles de la guerre à partir de Verdun, ces grandes boucheries dans lesquelles un mètre d’avancée se payait de mille vies humaines. On y est témoin de la camaraderie qui se crée sur le front entre des hommes qui découvrent que, par delà leur différence de couleur, le chemin de croix qu’ils vivent est le même, et le destin qui leur est promis, semblable. On y voit ces nombreux mois (que peu connaissent vraiment) durant lesquels l’armée française resta sur les champs de bataille pour déterrer les morts, les identifier si possible, pour les renvoyer à leur famille ou au moins leur dire où ils étaient tombés. Les autres, les sans noms français et allemands furent ensevelis ensemble dans de grand cimetières militaires ou des ossuaires tel que celui de Douaumont.

On y suit surtout vivre et combattre un homme courageux, bon et noble, au destin anonyme admirable (et à la postérité inattendue) qui donne un visage, une famille, et une vie à tous ces sacrifiés un peu oubliés par la métropole (sauf à Reims qui construisit dès 1924 un Monument aux Héros de l’Armée Noire, ou Marseille en 1927) qui ont combattu dans les batailles les plus meurtrières de la guerre. Gide écrivit qu’on ne faisait pas de bonne littérature avec de bons sentiments, ici on en a fait de la très bonne BD.

Le dessin, simultanément typé et agréablement réaliste, soutient parfaitement le récit.

Un bien beau début pour la série « L’homme de l’année ». Espérons que la suite sera à la hauteur.

L'homme de l'année, t1 1917, Duval, Pécau, Mr Fab

Commentaires

Efelle a dit…
J'ai hésité à le prendre... Je n'aurai pas dû.
Guillmot a dit…
Voilà qui est intéressant, je le note.
Gromovar a dit…
Next time (pour vous deux).
Efelle a dit…
Demain en fait...
Gromovar a dit…
C'est du rapide :)
Efelle a dit…
Quand je te dis que j'étais tenté. Je voulais même t'en parler mais je n'avais plus les références.

Gromovar a dit…
Bon ben, tu me diras.
Anonyme a dit…
Bonjour,

Encore un bouquin intéressant, le genre qui fait augmenter la PAL déjà fort grande...

Bonne journée
Belette
Gromovar a dit…
Tu peux y aller en confiance. C'est du bon.
Efelle a dit…
Vraiment EXCELLENT.
Superbe, dramatiquement ironique.

Merci pour ta chronique.
Escrocgriffe a dit…
Argh, même remarque que belette291175...
Gromovar a dit…
Les PAL sont impitoyables ;)
Escrocgriffe a dit…
C’est clair ! :)