La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Le livre de Job


"De taille et d’estoc", c’est la jeunesse, enfin révélée, de Guilhem d’Ussel, le héros récurrent de Jean d’Aillon.
C’est la description de la jeunesse errante d’un jeune garçon marseillais, orphelin et assassin par vengeance, à la fin du XIIème siècle, période de la première Guerre de cent ans.

Guilhem, 13 ans, après avoir vengé sa mère, quitte sa ville de naissance pour échapper à une exécution certaine. Jusqu’à l’âge de 18 ans, il erre sur les routes d’une France ravagée par la guerre que se mènent Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste, sans oublier les conflits qui opposent le comte de Toulouse, le roi d’Aragon, ou l’Empereur du Saint Empire Romain Germanique, entre autres, ou plus pacifiquement, l’opposition entre l’ordre de Cluny et celui de Clairvaux.

Du temps de Guilhem, la vie est brève, dangereuse, le trépas souvent atroce, qu’il résulte d’une maladie ou des violences du siècle. Seigneurs qui sont plus que toute autre chose « des guerriers heureux », chevaliers qui ne respectent rien des principes de la chevalerie qu’ils ont pourtant jurés de servir, le XIIème siècle est une époque dure, violente, où la mort vient vite et sans prévenir, pour les guerriers qui tombent dans les innombrables escarmouches entre seigneurs rivaux (où une simple blessure peut souvent tuer par gangrène), et pour les manants qui, considérés comme de simples ressources productives, sont éliminés dans le bût de priver un seigneur ennemi des hommes qui lui rapportent de quoi continuer la guerre, et de la manière la plus atroce possible afin de terroriser les autres.

"De taille et d’estoc" est un récit caméra à l’épaule comme on en lit rarement sur cette période (qui donne plus souvent lieu à des romans mettant en scène les grands du temps). Guilhem marche, chevauche, rencontre maintes personnes, négocie, combat, fuit, lie amitié et amour. Il croise des religieux, des artisans, des gueux, des guerriers, mercenaires souvent, chevaliers parfois, seigneurs plus rarement, quelques dames aussi. Les premiers étant majoritaires, d’Aillon plonge donc le lecteur dans la vie des manants et des petites gens, dans cette vie sans sureté ni protection qui était la norme alors. Il faut travailler chaque jour pour pouvoir simplement manger. Il est difficile de s’équiper en capital (même le plus basique) et presque impossible de changer de condition, sauf par la guerre. L’arbitraire est courant, exacerbé par la méfiance de chaque communauté envers tout ce qui vient de l’extérieur. La plupart des paiements, au sein du peuple, se font en nature ; l’or circule peu, sauf parmi les religieux ou les guerriers ; l’autoconsommation est dominante. Aucune position n’est acquise, aucune assurance n'existe, on passe très facilement de l’aisance à la misère. Quand à la liberté individuelle, hors d'une communauté quelconque (toujours étouffante) la simple survie est une épreuve quotidienne.

Mais "De taille et d’estoc" n’est pas que la peinture d’une époque où la barbarie règne, contrebalancée seulement par les tentatives de civiliser les chevaliers et le développement de la poésie ou du fin amor. C’est aussi une chronique qui, sur une période de cinq ans, raconte la vie d’un gueux devenant chevalier. C’est l’histoire d’un destin fait de fuites, de risques, mais aussi de courage et de volonté. Apprentissage, amour, pertes, traitrises, la vie de Guilhem est terrible. Balloté au fil d’évènements qu’il ne contrôle que peu, il voit mourir successivement tous ceux qui comptent pour lui, tout en devenant progressivement l’adulte qu’il sera dès Marseille 1198. Comme le Job biblique, il ne cesse d’être éprouvé, contrairement à lui, il se détourne logiquement de Dieu.

Beaucoup de jours en seulement 480 pages imposent une forme. Des dialogues parcimonieux, de grandes périodes temporelles narrées en quelques lignes, le récit saute de moment clé en moment clé, comme visitant les stations d’un calvaire, ou le minimum vital qu’il faut savoir pour comprendre qui est le Guilhem adulte. Cette forme, proche de celle de la chronique biographique, ne nuit jamais à l’intérêt du récit, tant le destin de Guilhem est captivant, et tant la maitrise qu’a l’auteur de cette époque impressionne. Vocabulaire spécifique, verbes médiévaux utilisés à bon escient (sans jamais faire pompeux), concepts juridiques, liens très complexes de féodalité, à la lecture du roman on peut croire sans grande difficulté (mais, non, ce n’est pas en ancien français) lire un texte écrit par un contemporain de Guilhem, racontant les premières années de sa vie comme on le faisait pour celles des rois ou des évêques.

"De taille et d’estoc" est un bien bel ouvrage, moins dense qu'un aventure habituelle de Guilhem d'Ussel mais adapté à la durée traitée, et une visite passionnante dans un Moyen-Age parfaitement décrit.

De taille et d’estoc, Jean d’Aillon

Commentaires

Djinnzz a dit…
Tut cela m'a mis l'eau à la bouche. J'aime beaucoup les romans historiques qui se passent dans un univers réaliste et qui permettent une immersion totale dans la vie de nos ancêtres.
J'ajoute juste une petite précision: si l'histoire se passe bien à la fin XIIè siècle, la France n'est pas encore plongée dans la guerre de 100 ans qui se déroule entre 1337 et 1453 (donc au XIV et XVè siècle)
Très bon article, comme d'habitude!
Djinnzz a dit…
Oups, au temps pour moi... Vous précisiez bien la "première" Guerre de Centa ans... nom donné au conflit entre la France et l'Angleterre entre 1152 et 1259.
Mea culpa! ;)
Gromovar a dit…
Aucun problème. La précision est une vertu :)
Efelle a dit…
Allez on va dire pour 2013.
A ton avis mieux vaut commencer par cette préquelle ou lire dans l'ordre de parution ?
Gromovar a dit…
Difficile à dire.

Je suis tenté de te dire de commencer dans l'ordre de parution (c'est à dire avec Marseille 1198) car la narration est plus classique (moins étirée si tu veux), que l'obscurité sur les origines de Guilhem participe d'un petit mystère intrigant, et que (argument bateau, mais bon) il est en poche.