La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Lucy and the Test Tube Baby


"Inconceivable" est un roman de Ben Elton publié en 2000, puis adapté au cinéma la même année sous le titre « Maybe Baby ». Sam et Lucy, couple de trentenaires londoniens, tentent, de plus en plus désespérément, d’avoir un enfant sans y parvenir. De tentatives avortées en échecs cuisants, ils parcourent un chemin de croix qui les transforme irrémédiablement.

Dans "Inconceivable", Ben Elton traite à la fois l’histoire et le contexte, avec l’humour caustique et pince sans rire qui est sa marque de fabrique.

L’histoire est d’abord hilarante, avant de devenir progressivement plus émouvante. Etant le cold-hearted bastard que je suis, j’ai évidemment préféré la première moitié, mais d’aucuns ne répugnent pas, m’a-t-on dit, à un peu d’émotion et de romance. Alors…

Ce qu’Inconceivable raconte au lecteur, c’est le bouleversement que l’absence de grossesse peut engendrer chez certains couples. Sam et Lucy sont mariés et amoureux l’un de l’autre. Lui végète plus ou moins à la BBC en rêvant de devenir scénariste, elle est assistante dans une agence d’artistes. Elle veut un enfant, lui peut accepter l’idée. Mais, après soixante et quelques mois de rapports non protégés (Lucy compte à l’unité près ses règles), rien. Sur un conseil extérieur, ils se lancent alors dans la rédaction de deux journaux personnels et secrets, dans le but de « se relier à leurs émotions » et de ne plus être des « bouchons de liège ballotés par le destin ».

La technique des deux journaux contradictoires est éculée mais elle est ici bien utilisée. Après tout le pot au feu aussi est éculé, mais, bien réalisé, c’est un plat agréable. Ben Elton traite son double récit sur le mode de la caricature au sens positif que peut revêtir ce terme, c’est à dire qu’il identifie des traits masculins et féminins puis les grossit pour en faire éclater le ridicule à la face du lecteur (on m’objectera qu’il n’existe pas de traits féminins et masculins, mais il suffit d’avoir lu un peu de sociologie pour s’apercevoir que la plupart des comportements « librement choisis » que nous croyons nôtres sont décrits par les sociologues comme s’ils nous connaissaient personnellement. Socialisation 1 – Libre-arbitre 0). "Inconceivable", c’est un peu « Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus » en version drôle. Différences dans l’intensité du désir d’enfant, contradictions internes sur la nature de ce désir et la manière de le gérer, rôle et place différenciés des entourages, parts différentes attribuées à la vie professionnelle par rapport à la vie privée, décalages dans l’appréhension des sentiments, de la sexualité, de la tendresse, etc., même l’utilité de l’exercice n’est pas perçue également par les deux protagonistes. Elton se fait plaisir en exposant  les mensonges, même et surtout inconscients, que les uns disent aux autres et qu’ils se disent à eux-mêmes. C’est bien vu et vraiment drôle, certaines scènes étant des moments d’anthologie, et certaines répliques absolument inoubliables.

Puis le roman se met à lorgner sans le dire vers une approche plus romcom. J’ai moins apprécié cette deuxième partie, plus classique dirai-je, mais il est néanmoins difficile de ne pas être au moins touché par la dédication d’une Lucy qui accepte avec une fortitude née de la frustration les innombrables traitements que son corps doit subir pour tenter d’obtenir la grossesse désirée.

Sur le contexte, Ben Elton décrit avec ironie un monde qu’il n’aime guère, celui de l’Angleterre post-thatchérienne. Il pointe les dérives absurdes des privatisations des années 80. Chemins de fer aux grilles horaires rien moins que fiables, files d’attente interminables dans le service de santé avec pour corollaire le développement d’un secteur privé payant et cher, réorganisation et filialisation à la hache de la BBC, rien de ceci ne trouve grâce aux yeux de l’auteur. Le rire d’Elton est une politesse du désespoir face à un monde dans lequel ce qui faisait le quotidien rassurant des anglais disparaît, sacrifié sur l’autel d’une modernité qui considère que si le service public, du fait de l’absence de sanction par le marché, était source de gaspillages, il est alors judicieux de transférer les sommes gaspillés à des investisseurs privés pour qu’ils puissent rendre le même service dans des conditions moins favorables socialement afin d’accroitre leur fortune en captant la différence.

Mais si Elton n’est guère partisan de l’héritage de Thatcher, il n’apprécie pas beaucoup plus les années Blair. Des années durant lesquelles le Rule Britannia fut remplacé par le consensuel et fade Cool Britannia dont le nom en dit long sur ce que fut la nouvelle idéologie dominante. Restaurants dans lesquels le cadre, forcément hype, prend de plus en plus d’importance face à une cuisine de plus en plus prétentieuse dans sa quête éperdue de la modernité, prégnance des délires new age avec cristaux, aromathérapie, et lignes de force druidiques, chanteuses et animatrices télé d’autant plus dénudées que leur talent est mince, dans une sorte de proportionnalité incontournable, premier ministre s’invitant sur un plateau d’émission pour enfants afin de montrer combien il est cool, programmes ridicules et animateurs vedettes ricanants, producteurs et sociétés de production externalisées qui font dans les mêmes locaux et avec les mêmes salariés qu’avant ce que faisait la BBC mais en lui présentant dorénavant une facture, etc. Elton décrit un monde absurde dans lequel l’apparence à remplacé la substance. Il n’a guère plus d’indulgence pour les bobos dont il raconte l’histoire, qui négocient chaque fois que nécessaire leurs idéaux de gauche sans jamais cesser de les réaffirmer.

Dans le roman, Sam se demande si le scénario qu’il écrit devrait être comique avec un peu de romance ou l’inverse. Il conclut qu’il serait bon qu’il contienne un mix équilibré des deux. C’est cette même recette qu’Elton utilise dans son livre. On peut apprécier plus ou moins l’une ou l’autre des parties, préférer le rythme de la première moitié ou celui de la seconde, il n’en reste pas moins qu’Inconceivable est un livre drôle, touchant, particulièrement bien vu dans sa description critique de l’Angleterre des années 90 et de la frénésie reproductrice qui découle de la rencontre des techniques de procréation médicalement assistée et du concept, lié à la contraception, d’enfant comme choix.

Inconceivable, Ben Elton
VF : Maybe baby

On peut lire "Inconceivable" en écoutant les Toy Dolls, c'est même une bonne idée.

Commentaires

La Mettrie a dit…
Un diner mondain avec Ben Elton doit être une des choses les plus délicieuse au monde.
Je lirai certainement ce roman, ne serait-ce que pour y voir formulées avec le génie cynique propre à Elton certaines de mes observations en matière de "je veux un enfant coûte que coûte !".
Gromovar a dit…
Sur ce point, tu ne seras pas déçu.

Après, pour le diner mondain, je ne peux pas t'arranger ça :(