Mirror Bay - Catriona Ward VF

Sortie de Mirror Bay , la version française de l'excellent Looking Glass Sound de Catriona Ward. C'est encore une fois magistral, tortueux, émouvant et rempli de faux-semblants  (il faut en profiter, ce n'est plus le cas dans le décevant Sundial pas encore sorti en VF) . Ne passe pas à côté, lecteur.

Le Léviathan, et après ?


"Eternity Incorporated" est le premier roman de Raphaël Granier de Cassagnac, après sa participation remarquée au Guide de Kadath, maintenant disponible en version numérique. "Eternity Incorporated" est aussi doté d'un site, bien fait et très complet.
Quelques siècles après l'anéantissement de la quasi-totalité de l'humanité par un virus mortel, un petit nombre d'humains, descendants des rares rescapés, survivent dans une cité sous bulle étanche, contrôlée par une Processeur qui gère les aspects techniques mais aussi sociaux de cette société en survie. Et voici qu’un matin, le Processeur ne fonctionne plus. Pourquoi, comment, que faire ?
"Eternity Incorporated" est le récit d'une double apocalypse. La première, située dans le passé du récit, a détruit presque toute l'humanité. La seconde, ici et maintenant, met en péril la société construite sous la bulle, non seulement dans son fonctionnement mais peut-être aussi dans sa survie même, car dehors existent le Virus et les mutants.
Le mystère entourant la panne du Processeur, la possibilité d’un complot, les efforts pour trouver un moyen, s'il en existe, de le redémarrer, entraînent le lecteur à lire vite et longuement pour savoir ce qui est arrivé, et quelle issue sera trouvé à cette première, et potentiellement dernière, crise que connaît la bulle. De ce fait, "Eternity Incorporated" est un véritable page turner, d'autant qu'un world building minimal en fait un texte assez court.
"Eternity Incorporated" est constituée de trois fils entrelacés qui suivent trois personnages principaux. De bref chapitre en bref chapitre, les points de vue alternent, et le lecteur progresse vers la résolution de l'énigme.
Le premier fil est centré sur Ange Barnett, officier de la garde externe. Cette femme forte, courageuse, charismatique, mène l'enquête externe, et quitte la bulle pour comprendre le virus puis la panne du processeur. Elle dévoilera des faits soigneusement cachés, et sera sans doute à l'origine d'une renaissance. Elle est la seule véritablement libre.
Le second s'attache à Gina Courage, responsable des connexions de la bulle. Femme intelligente, manœuvrière et déterminée, elle cherche sans relâche à comprendre la cause de l'arrêt du Processeur, et imagine de le redémarrer si cela était possible. Plus affectée que quiconque, du fait de sa relation privilégiée avec la machine, elle poussera plus loin que tout le monde (ce qui n'est guère difficile) l'enquête interne, et ira au plus près de la vérité.
En développant plus longuement ces deux fils, en construisant plus les personnages, en exploitant tout le potentiel de ces personnalités et de leurs quêtes, sans compter le rôle paradoxal du Processeur lui-même, il y avait matière à construire un roman mystérieux et inquiétant. J'aurais adhéré à ce roman.
Il y a malheureusement un troisième fil, celui concernant l'artiste Sean Factory. Factory n'est pas dans l'enquête. Par ses yeux, nous appréhendons, de manière trop fragmentaire pour être convaincante, la réaction du peuple de la bulle face à son inquiétante situation. Le troisième fil se veut politique, d'une manière qui empêche mon adhésion.
Sur la forme d'abord, la manière idyllique dont est présentée l'utopie, certes minoritaire mais largement répandue et en progression constante, de Factory et de ses amis m'a profondément gêné par son irréalisme. Les « progressistes » sont beaux (même laids, une fois nu, ils deviennent beaux), ils sont sympathiques, conviviaux, tolérants et ouverts. Ils ont quelque chose, dans leur innocence et leur pureté, qui n'est pas sans rappeler les bons sauvages, mais des sauvages intelligents. Superbe amalgame ! L'auteur oublie, dans son lyrisme et sa sympathie, que même les progressistes sont de vrais gens avec ce que ça suppose de mesquinerie, de névrose, de bassesse, comme l’expliquait Khalil Gibran, entre maints autres, quand il écrivait : « Ainsi le mauvais et le faible ne peuvent tomber au-dessous de ce qu’il y a également de plus bas en vous ».
Sur le fond, la confrontation inévitable et attendue entre les fascistes de service (naturellement nantis d'une milice violente vêtue de noir ! !) et les progressistes babas-techno-drogués-naturistes-libertaires-communautaristes est une occurrence devenue d'une telle banalité (même si ces progressistes-ci sont hauts en couleur ce qui rend encore plus incroyable l'écho qu'ils rencontrent dans la population), en particulier dans l'imaginaire français, qu'on la qualifierait en droit de « clause de style ». Pourquoi arpenter toujours les mêmes chemins usés jusqu’à la corde ? D'autre part, il me paraît peu crédible qu'aussi peu de temps après la chute du Processeur le gouvernement en place, si misérable et incompétent soit-il, cède spontanément la place et organise des élections. Il me paraît également peu crédible que les deux antagonistes, donc les méchants fascistes et les gentils progressistes, gagnent aussi facilement soutien et adhésion dans la population, à partir d'une situation initiale apolitique (les membres de ce qui tient lieu de gouvernement dans la bulle étant choisis par tirage au sort et servant essentiellement à relayer les instructions de l’omnipotent Processeur). Les évolutions politiques et sociales sont en général lentes, et même la crise de la bulle ne peut expliquer une évolution si rapide, dans la mesure où les citoyens ne sont jamais véritablement menacés de manière immédiate ou directe, car finalement la vie ne continue pas si mal malgré l’absence du Processeur. Enfin, et c'est ce qui me paraît le plus grave car cela semble être une réaction presque naturelle à la situation politique, l'auteur, dans ses trois dernières phrases (conclusives comme une morale et orientant donc inévitablement le sens à donner à la lecture), choisit, par l'entremise de Sean, ce que je qualifierais d'option hobbesienne. En privilégiant un Léviathan, l’artiste, dernier porte-parole des progressistes, prouve que ces « porteurs spontanés du Bien » ne respectent pas plus la liberté que ceux qu’ils se vantent de combattre. Misère du progressisme !
Eternity Incorporated, Raphaël Granier de Cassagnac


Lu dans le cadre du Challenge Fins du Monde de Tigger Lilly

Commentaires

Lhisbei a dit…
bon je t'envoie un mail ce soir pour qu'on discute de la fin (pour être sûre qu'on l'a comprise de la même façon) (ce soir parce que là je suis sur ma pause déjeuner de working girl et elle est assez longue pour un commentaire mais trop courte pour un mail :p)
Gromovar a dit…
On fait comme ça.
Cedric Jeanneret a dit…
C'est con parce que je serais aussi intéressé à cette discussion
Gromovar a dit…
Envoie moi ton adresse par le lien Contact de mon blog et je t'envoie la mienne par retour de courrier.
Alias a dit…
Amusant: je viens également de finir de le lire et je pensais mettre en ligne ma chronique dans pas longtemps. Conclusions similaire, mais mon développement est nettement moins réfléchi. ;)
Gromovar a dit…
Content d'être raccord avec toi :)