La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Le dormeur du val agonise les tripes à l'air


On sait (ou pas) que la guerre de 14-18, la Grande Guerre, me fascine comme la mangouste fascine le serpent. On en aura quelques preuves ici, , ou . Retour donc dans l’enfer de la plus grande conflagration mondiale de l’Histoire avec cet "Ambulance 13" dont le premier diptyque est paru, en attendant le suivant qui aura apparemment l’enfer de Verdun pour cadre.
Maintes fois traitée sur tous les supports possibles, la Grande Guerre est abordée ici sous un angle neuf et rare, à travers l’expérience de ce qu’on appelait alors une « ambulance », c’est à dire une sorte d’hôpital militaire qui suit une armée pour recueillir et soigner, autant que faire se peut (et souvent il pouvait peu), les malades et les blessés. Composées de militaires (médecins, tous officiers, et brancardiers Poilus, souvent assistés de religieuses), placées à l’arrière des premières lignes mais rarement en sécurité, les ambulances (dès les premiers mois de guerre passés) manquaient de tout, et travaillaient dans des conditions de danger, de pénurie, et d’urgence atroce. Elles étaient de plus, et comme le furent peu ou prou toutes les unités, soumises à des décisions tactiques souvent absurdes ou contradictoires, et fracturées par des divisions de classe qui surpassèrent rapidement l’unité nationale, le seul sentiment d’unité qui subsistera au combat étant la fraternité d’armes unissant ceux qui ont partagé la boue et la peur.
Dans "Ambulance 13", le lecteur suit la guerre de Louis-Charles Bouteloup, jeune médecin militaire humaniste et féru d’idées nouvelles. Fils d’un médecin général, homme dur et brutal par ailleurs député, Louis-Charles, contrairement à son père Emile, n’a ni les préjugés ni, surtout, la morgue de sa classe, ce qui fait de ces deux hommes des avatars courants de la bourgeoisie au début du XXème siècle. Alors qu’Emile lutte dans les eaux de la politique pour faire avancer sa position sociale et ses idées sur la guerre et le reste, Louis-Charles le fait sur le front pour survivre (d’abord) et sauver le plus de vies ou de membres possibles dans un service chirurgical où, faute de temps et de matériel, on trie les blessés à soigner et ceux à laisser mourir. Il y découvre, loin des discours enflammés des amoureux romantiques de la guerre, de la propagande qui décrit les hauts faits quotidiens des troupes et la bestialité de l’ennemi, et d’un arrière qui finalement ne vit pas si mal malgré la guerre et d’autant mieux qu’on s’élève dans l’échelle sociale, la réalité sordide d’un affrontement qui est tout sauf romantique. Il découvre que la mort à la guerre n’est pas jolie à voir, qu’on y meurt déchiqueté par les balles ou éparpillé aux quatre vents par les obus et rarement le sabre au clair et le sourire aux lèvres, qu’on passe le plus gros de son temps à y attendre dans le froid, la crasse, l’inquiétude voire la folie, avant de se lancer à l’assaut hors de la tranchée pour mourir sous les balles des mitrailleuses sans même arriver à vue de l’adversaire, qu’on y est souvent commandé par des officiers de réserve largement incompétents ou des officiers d’active hautains comme des aristocrates (même si tous, loin s’en faut, ne sont pas des ordures, quand ils le sont, la discipline militaire et l’état de guerre leur donnent un pouvoir de nuisance absolu dont seule la mort au combat peut délivrer leurs hommes). Il y découvre aussi le mécontentement des Poilus, le sentiment montant d’inégalité face au sacrifice, l’inquiétude et le ressentiment mêlés envers l’ « arrière ». Il y trouve enfin des preuves tangibles montrant que les Allemands peuvent être honorables et humains, et qu’ils sont victimes de leur gouvernement comme les Français le sont du leur. Confronté à l'horreur mais aussi a des actes quotidiens de courage, de sacrifice, et de dépassement de soi, Louis-Charles tente de rester humain dans un monde qui ne l'est plus.
On pourra me reprocher de parcourir encore une fois la même tranchée, mais qu’importe. "Ambulance 13" est doté d’un scénario solide qui développe tous les aspects humains de la Grande Guerre, il est joliment dessiné et colorisé d’une façon réaliste qui parlera aux historiens, il rappelle les classiques de Tardi par son message, j’ai donc pris beaucoup de plaisir à lire les deux volumes de ce diptyque.
Ambulance 13, Cothias, Ordas, Mounier

Commentaires

Guillaume44 a dit…
J'apprécie les bonnes BD sur la Grande Guerre. J'y jetterai un coup d'oeil.
Gromovar a dit…
Tu devrais aimer alors.
Verti a dit…
"Confronté à l'horreur mais aussi a des actes quotidiens de courage, de sacrifice, et de dépassement de soi, Louis-Charles tente de rester humain dans un monde qui ne l'est plus."

C'est joliment dit.Encore une série que je vais devoir acheter. Après druides et ténébres, ça commence à faire cher...
Gromovar a dit…
Je ne voudrais pas te pousser à la ruine ;-)
Verti a dit…
Oui, surtout que lorsqu'il faut les faire venir jusqu'à Shanghai, ça coûte plus cher:)
Gromovar a dit…
OUla; tu fais quoi si loin ?