La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Black ops



Quand on n’a des Guerres de religion que des souvenirs scolaires, on se souvient qu’Henri III, le roi bougre (un adjectif dont le sens a été oublié avec le temps), et ses « mignons », sont détestés du peuple français, que le futur Henri IV, seulement de Navarre à l’époque et chef du parti protestant, finira par ceindre la couronne en acceptant la messe, que le duc de Guise est le chef du parti catholique, qu’il y a un Condé qui a sûrement un rapport avec celui qui s’entremit avec Bonaparte, que ces guerres ont été longues, cruelles, qu’elles ont culminé dans les atrocités de la Saint Barthélémy, etc. Tout cela est lointain, et un peu vague.
Dans "Les rapines du duc de Guise", Jean d’Aillon plonge le lecteur au cœur de cette période très troublée, capitale pour l’Histoire de France. Un meurtre horrible, commis dans la maison pourtant sécurisée d’un bourgeois parisien, est le point de départ d’une enquête qui mettra progressivement à jour une immense fraude fiscale dont le but, outre l’enrichissement personnel de quelques corrompus, est de voler l’argent des taxes dues à Henri III pour le remettre au duc de Guise et à sa « Ligue », afin de financer les projets de renversement du pouvoir royal de ce dernier.
Comme chaque roman de Jean d’Aillon, celui-ci est le fruit de longues recherches bibliographiques, et on les sent à la lecture (même le personnage principal, Nicolas Poulain, n’est pas fictionnel, et on le trouve par exemple dans une histoire de Sismondi, et naturellement dans ses Confessions de Nicolas Poulain). La France et le Paris que montre l’auteur sont très proches de ceux que décrivent les historiens. Les détails sont innombrables (sur le mobilier, l’équipement, les modes de vie, l’hygiène, l’habillement, les repas, etc…), le vocabulaire juste et précis, les citations nombreuses, les personnages abondants. Le lecteur trouvera donc dans "Les rapines du duc de Guise" un monde en transformation profonde. La foi catholique n’est plus hégémonique, elle est contestée, y compris au sommet du pouvoir, par sa version réformée contestataire, en France mais aussi dans les royaumes européens. Pilier de l’ordre social, elle manœuvre et engrange les soutiens ou les défections politiques en fonction des convictions des puissants, mais aussi des succès ou des échecs de ses supporters. Le roi est catholique certes, le plus puissant seigneur français aussi, mais la perspective d’un roi protestant est presque insupportable, à cause entre autres de la doctrine selon laquelle cujus regio, ejus religio, même si Henri de Navarre veut faire montre d’une grande tolérance dans le domaine religieux. Sous une forme ou une autre les Guerres de religion dureront presque un siècle, et les persécutions se poursuivront sporadiquement un siècle de plus.
Quand commence le roman, en 1585, le traumatisme de la Saint Barthélémy n’est pas guéri, et la longue durée de la guerre civile, avec son cortège d’atrocités et de victimes collatérales, l’a rendue odieuse à une partie de la population. Mais qu’importe, les puissants veulent conquérir ou conserver le pouvoir, et ils entrainent à leur suite des palanquées d’insatisfaits (souvent manipulés) par l’appauvrissement du royaume et les dépenses somptuaires du roi, de croyants convaincus de lutter pour leur foi et leur salut éternel, ainsi qu’une majorité d’hommes sans foi ni loi qui ne voient dans le conflit qu’opportunités de pillages, de viols, de meurtres. Constante des révolutions : être presque puissant, et donc la faire, en utilisant les petits, pour le devenir complètement.
On verra Henri III, faible et indécis, qui ne veut pas le retour de la guerre, et qui pour cela aligne concessions et reculades jusqu'à perdre son pouvoir effectif et se transformer en roi virtuel qui ne contrôle plus grand chose, même s’il ne perd jamais tout. Les villes basculent pour la Ligue, les bourgeois parisiens, largement autonomes depuis les Etats d’Etienne Marcel, sont majoritairement ligueurs et complotent à n’en plus finir pour se débarrasser du monarque, certains voulant même l'assassiner, le projet ultime étant de le remplacer, mort ou vif, par le cardinal de Bourbon, homme de paille du duc de Guise.
On verra, une fois encore, l’incroyable complexité administrative caractéristique de l’époque, et l’imbrication des hiérarchies et des allégeances qui rend largement imprévisibles les alliances qui se noueront et les trahisons qui ne manqueront pas.
On verra enfin la corruption d’un royaume peu contrôlé par des détenteurs de charges achetées (qui font donc "produire" à leur position du rendement en se servant sur la bête), la brutalité d’un Etat qui est très loin d’être de droit, l’avidité des détenteurs des plus petites parcelles de pouvoir, la fraude à grande échelle, et la folie d’un roi et de grands seigneurs qui se mettent dans les mains des banquiers (on verra d’ailleurs fonctionner le système bancaire du moment, avec ses lettres de change, ancêtres des billets de banque).
Au final, un passionnant roman de complot et de meurtre qui rend le lecteur bien plus érudit qu’il ne l’a pris. Je regrette juste, car rien n’est jamais parfait, le personnage de l’assassin catholique, qui, à force d’échecs, finit par ressembler aux méchants éternellement malheureux des dessins animés.
Les rapines du duc de Guise, Jean d’Aillon

Commentaires

Munin a dit…
Ah ben ça change des descentes en règle dans les chroniques précédentes ! Je me suis demandé un moment si vous aviez fait de la métempsychose, Cédric et toi. :)
Gromovar a dit…
Quand ça me plait, je le dis ;-)
Efelle a dit…
Voilà qui irait bien dans la continuité de ma lecture des Jours étranges de Nostradamus.

Mais il ne faut pas que je craque, j'ai commandé trop de bouquins dernièrement.
Gromovar a dit…
MUHAHAHAHA !!!