La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Magellan et Drake voguent de conserve


"Destination Ténèbres" de Frank M. Robinson vient d’être traduit et publié par Denoël, une vingtaine d’années après sa sortie en VO. Bonne idée, ma foi.
Moineau, jeune assistant tech sur le vaisseau-arche Astron, se réveille à l’infirmerie après un grave accident lors de l’exploration d’une exoplanète. Son corps s’éveille mais pas sa mémoire, Moineau est totalement amnésique. Il va devoir redécouvrir le vaisseau, sa mission, son équipage, et surtout son identité. Etrange vaisseau, étrange mission, étrange équipage, étrange identité. Rien n’est clair ni simple ; Moineau est un Sysiphe au pied de sa colline.
Parti de la Terre il y a 2000 ans, l’Astron parcourt la galaxie à la recherche de vie extra-terrestre. A son bord, 100 générations d’astros se sont succédées sans jamais rien découvrir. Certains croient avoir vu, d’autres sont sûrs de n’avoir rien vu, mais aucune preuve irréfutable de vie n’a jamais été ramenée à bord de l’Astron. D’attrition en entropie, ils ne sont plus que 300 dans un bâtiment qui porte les stigmates de l’âge et dont les deux tiers des structures sont abandonnées. L’Astron est vétuste, usé, au point que les astros utilisent des simulations pour le voir plus beau qu’il n’est ou recréer des paysages fantasmés, au point qu'on peut se demander jusqu'à quand il pourra voler. Peu importe, la mission continue. Car le Capitaine Kusaka (qui est, paraît-il, immortel) ne renoncera jamais.
La mission de l’Astron est un pari pascalien. Interprétant de manière optimiste l’équation de Drake, ses concepteurs l’ont lancé à la recherche d’une vie qu’il pensaient avoir de bonnes chances de trouver. 2000 ans d’échecs, et des centaines de systèmes visités, n’ont pas suffit à convaincre le Capitaine Kusaka de l’inanité probable de ses efforts. Tel un Achab de l’Espace, il court après son obsession, prêt à tous les sacrifices pour la rejoindre. Ils sont de moins en moins nombreux à partager sa foi.
Que devient un fragment d’humanité confiné dans un espace clos pendant deux millénaires ? Comment ce mini corps social peut-il fonctionner ? Robinson pointe, comme Silverberg avant lui dans les Monades Urbaines, la nécessité d’éliminer les frustrations sexuelles par une codification des pratiques, et celle d'une civilité extrême qui est le prix de la stabilité. Il pose aussi le problème des règles, ritualisées, autorisant la reproduction, et par voie de conséquence, de celles concernant l’élevage des enfants. Il suppose qu’une culture pacifique, inévitable car toute autre option serait autodestructrice, s’instaurera à l’intérieur de la prison que constitue l’Astron, même si une hiérarchie formelle subsiste. Il imagine que les astros divergeront, même biologiquement, de leurs ancêtres terrestres.
Et pour finir, qui est Moineau ? Que lui est-il vraiment arrivé ? Qui a (aurait ?) tenté de le tuer ? Pourquoi personne ne veut-il lui révéler son passé ? Pourquoi est-il apparemment si proche du Capitaine ? Comment se positionner, entre ceux qui croient toujours, et ceux qui ne croient plus et veulent rentrer sur Terre ? Confronté au mutisme de tous, le jeune astro essaie, à grands peines, de reconstituer son Histoire, qui paraît si importante pour l’équipage du vaisseau, de se garder de ses ennemis, de prendre la contrôle de son destin. Les non-dits, les mystères, les secrets font de sa quête une épreuve constante. La confiance ne peut être accordée qu’à grand peine, et il y a toujours des masques derrière les masques derrière les masques.
Il y a d’autres thématiques encore, liées au temps et à la mémoire notamment, que je ne peux citer sous peine de spoiler.
Robinson livre au lecteur un roman attirant par la progression qu’il offre dans la compréhension. De questions en réponses et de réponses en nouvelles questions, le lecteur ouvre les poupées gigognes et avance, tant dans le dévoilement de la vérité sur Moineau que vers la conclusion du conflit qui agite l’Astron. Le rythme est satisfaisant, les personnages impliquants, les questions trouvent leur réponse (ce qui est loin d’être toujours le cas dans ce type de roman). "Destination Ténèbres" est un livre sensible et agréable, émouvant et intrigant, qui témoigne de surcroit d’un amour pour l’espace et ses merveilles qui ne peut que charmer l’amateur de SF.
Destination Ténèbres, Frank M. Robinson

L'avis d'Efelle

L'avis de Lorkhan

L'avis des Palabres Eclectiques

Lu dans le cadre du Summer Star Wars V



CITRIQ

Commentaires

Guillmot a dit…
Ce n'est pas très gentil de me tenter comme ça avec tous ces billets :D
Gromovar a dit…
Tu aimerais sûrement.
Gromovar a dit…
J'aurais bien ajouté ça à la fin de mon post, mais j'ai eu peur que ça se voit.

"Commence alors pour Moineau un long cheminement à travers ce vaisseau spatial quasi désert et semblant tomber en pièces, accru par l'hostilité de l'espace et la vision déprimante de planètes pourvues de décors somptueux mais totalement stériles et hostiles à toutes formes de vie. Alors que les tensions s'accroissent et que des antagonismes se dévoilent, les révélations et coups de théâtre se succédent à un rythme soutenu, rendant le livre difficile à refermer...

Avec Destination Ténèbres, Frank M. Robinson livre un superbe roman, plein d'images marquantes soutenues par une narration haletante sans faille. Un excellent moment de SF et une approche réaliste de la question "Sommes nous seuls ?" et du paradoxe de Fermi."
Patrice a dit…
Très beau titre pour ce billet! Bien trouvé.
Sinon, mes palabres sont éclectiques, pas électriques. ;-)
Efelle a dit…
On est bien d'accord sinon ta prose est plus inspiré que la mienne, pas la peine de plagier... :D
Gromovar a dit…
@ Patrice : Oula. Je corrige.

@ Efelle : Avec 15 jours de retard :-(
Unknown a dit…
En retard en retard...c'est moi qui fait le coup du lapin blanc dans l'histoire.

Même pas sûre de trouver du temps ce week.

En tout cas, Guillaume, laisse-toi tenter ! Pas le meilleur space opera de tous les temps mais il y a de très bonnes choses dans ce roman.
Guillmot a dit…
C'est surtout une question financière :) J'ai abusé dernièrement.
A.C. de Haenne a dit…
Très bonne chronique pour un très bon roman !

A.C.
Lorhkan a dit…
Yeah, belle chronique ! L'attente en valait la peine ! ;-)
Vert a dit…
Je lis que des bons avis sur ce titre... va falloir que je le guette à la bibliothèque (parmi tant d'autres...)